Следующая клиническая секция состоится 17.11.24. Скоро анонс!
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Жак-Ален Миллер , курс 1981-1982 гг
Скандирования в учении Лакана // Диалектика желания и фиксированность фантазма
5 сеанс 16 декабря 1981

Жак-Ален Миллер , курс 1981-1982 гг
Скандирования в учении Лакана // Диалектика желания и фиксированность фантазма
5 сеанс 16 декабря 1981
Je crois que j'ai suffisamment insisté sur cette différence qui structure l'enseignement de Lacan à ses commencements – opposition latente mais pourtant incontournable dès lors qu'on l'a reconnue – et qui est celle des lois de la parole et des lois du langage.

La fois dernière, à partir de cette opposition, je vous ai fait mesurer la distance qu'il y a entre prescrire comme fin de l'expérience analytique la reconnaissance du désir, c'est-à-dire la reconnaissance du sujet en cause dans le désir, et l'abolition du sujet que Lacan écrit d'un symbole aujourd'hui bien connu, $, et qui n'a pu prendre sa valeur que par le démenti qu'il a lui-même apporté à sa théorie antérieure. Je dis démenti puisque, dans une page des Ecrits qui mériterait d'être célèbre, Lacan, d'une façon tout à fait explicite, renonce à la pierre d'angle de son enseignement précédent. Lorsqu'il se dément et se corrige, il est plus discret que d'autres auteurs, mais cette page est néanmoins la plus explicite qu'il ait jamais écrite dans cet ordre du revirement.

Si ce sont les lois de la parole qui constituent la structure de l'inconscient, alors la fin de l'analyse c'est l'avènement du sujet à son identité par la médiation de l'analyste. Par contre, si ce sont les lois du langage qui structurent l'inconscient, il n'y a pas d'espoir d'identité pour le sujet. Le statut propre du sujet, c'est son abolition, et dès lors la psychanalyse n'est pas une expérience de médiation. Même s'il peut être question d'avènement du désir pour l'expérience analytique, elle ne comporte pour autant aucune identité du sujet.

Si on se fie aux Ecrits, il faut un an à Lacan pour tirer les conséquences de l'identité du désir et de la métonymie. La première conséquence, c'est qu'il n'y a pas de principe d'identité au niveau du désir. Le désir n'est rien d'autre que le renvoi d'un signifiant à un autre. A cet égard, Lacan se retrouve de concert avec une tradition logique et philosophique qui met en cause le principe d'identité. Relisez les articles qui concernent l'identité dans le Tractatus logico-philosophique de Wittgenstein, et vous verrez que Wittgenstein lui- même considère comme un abus l'écriture pure et simple de a=a, ainsi que les écritures que l'on peut faire varier à partir de celle-là. Il considère comme un abus conceptuel l'idée d'identité, ne serait-ce qu'à partir de la ligne d'écriture, puisqu'il faut écrire au moins deux fois le symbole, et que dès lors, même au niveau scripturaire, c'est de nature à faire douter de ce curieux concept d'identité. Il y a là une veine de réflexion à suivre, puisque l'on trouve effectivement, chez un certain nombre de logiciens, une inquiétude, une suspicion portée sur le concept d'identité. En tout cas, dès lors que le désir est identifié à la métonymie, à ce qu'un signifiant ne vaut que pour un autre, le sujet ne peut pas trouver son identité. C'est là quelque chose qui restera constant dans l'enseignement de Lacan.

Comment formuler la fin de l'analyse dès lors que le sujet ne peut pas trouver son identité? Eh bien, si je voulais faire un raccourci – qui j'espère ne vous égarera pas mais vous donnera au contraire un point de repère –, je dirai qu'il est clair que dès ce moment-là, l'identité n'est pas à recouvrer du côté du sujet. Cette identité, mettons-la entre guillemets, puisque ce n'est pas une identité signifiante – il faudrait forger un autre mot pour ça. Cette identité sera à trouver pour Lacan du côté de l'objet. A ce moment-là, ce n'est plus une identité signifiante, et c'est ce qui fait que toute la théorie de l'objet a à la fin de l'analyse dépend de l'argumentation que je vous précise ici.

Ce que le sujet peut avoir d'identité, on ne peut pas le trouver du côté du désir et de la métonymie. L'identité ne peut pas être trouvée du côté du sujet en tant qu'articulé à la chaîne signifiante, mais on peut la trouver dans une fonction d'un autre type. C'est là une exigence à proprement parler logique de la théorie lacanienne à partir de ce niveau qui est atteint en juin 1958.

L'argumentation que je vous restitue, permet par exemple de justifier tout à fait cette assertion surprenante de Lacan dans un Séminaire des années 70, qu'il n'a faite qu'une seule fois mais d'une façon suffisamment appuyée pour qu'elle retienne depuis lors l'attention, et qui est apparue comme une voie nouvelle qu'il n'a pas à proprement parler investiguée jusqu'au bout. Il a donc dit, dans un de ses Séminaires des années 70, que ce que le sujet pouvait attendre de mieux d'une psychanalyse, c'était peut-être de s'identifier à son symptôme. Comme il n'avait jamais dit quoi que ce soit de cet ordre, et que nous traînons après nous-mêmes la notion qu'il s'agit de thérapier le symptôme, d'en débarrasser le sujet plutôt que de le voir s'identifier avec, c'est apparu en soi-même comme tout à fait remarquable, et en même temps comme une élucubration dont on ne voyait pas le fondement et la place dans l'enseignement de Lacan. Or, ce que je vous dis vous permet de situer cela avec la plus grande précision, si vous n'oubliez pas toutefois la définition de Lacan dans "L'instance de la lettre" qui oppose le désir et le symptôme comme la métonymie à la métaphore. Evoquer l'identification au symptôme prend évidemment son sens de ce que ce n'est pas au niveau de la métonymie désirante que le sujet peut trouver son identité. Il peut, par contre, éventuellement la trouver au niveau de la métaphore du symptôme. A cet égard, ce symptôme comme métaphore, c'est-à-dire comme stase dans le processus métonymique, constitue, aussi bien que la fonction de l'objet a, une voie d'accès vers ce qui constitue l'identité entre guillemets du sujet.

Je ne vous donne là qu'un aperçu logique sur cet enseignement. Il n'y a pas chez Lacan de déclarations à l'emporte-pièce que l'on pourrait passer par perte et profit. Au contraire, cette déclaration énigmatique d'identification au symptôme trouve précisément sa nécessité à partir de cette configuration. Si nous voulons formuler à partir de Lacan une théorie de la fin de l'analyse, et si nous adoptons son concept et ses formules du désir, la même nécessité s'imposera à nous, celle de formuler cette fin à partir d'un autre point que celui de la métonymie désirante, c'est-à-dire à partir de la fonction symptômale ou de la fonction de l'objet a, voire à partir d'un autre point, mais qui devra lui aussi se distinguer du versant du désir avec sa métonymie et sa dialectique.

Après cette mise en place, je voudrais maintenant vous faire suivre les versions que Lacan a pu donner de cette abolition subjective au niveau du désir, et d'abord dans le texte même où il accomplit ce pas en avant qui consiste à démentir la première théorie.

Comment situe-t-il, dans "La direction de la cure", cette abolition subjective? Il l'appelle la refente, et il pose, sans le démontrer plus avant, que le sujet subit une refente du seul fait qu'il parle. A cet égard, la Spaltung – vous connaissez ce terme freudien que Lacan a accentué – tient au rapport du sujet et de sa parole. La valeur de cette proposition lui vient précisément de ce qu'elle dit le contraire de ce qu'impliquent les lois de la parole prises dans la théorie de la reconnaissance, où c'est au contraire du fait qu'il parle que le sujet peut espérer atteindre son identité et sa complétude. C'est certes par la médiation d'un Autre, mais cet Autre peut lui conférer cette identité. Cet Autre, dans la théorie de la reconnaissance, est un sujet qui parle aussi. Il faut savoir que c'est dans cet esprit-là que Lacan a reçu ses patients jusqu'en 1958. Par contre, lorsqu'il pose comme fondamentale la refente du sujet par rapport à la parole, l'Autre dont il s'agit n'est plus alors l'Autre qui parle. L'Autre dont il s'agit, c'est l'Autre signifiant qui, lui, ne peut pas délivrer d'identité au sujet mais ne peut que multiplier sa refente, la déplacer. Il faut bien voir que lorsque Lacan, dans ses premiers textes, dit sujet de la parole, c'est le sujet promis à l'identité, alors que lorsqu'il commence à dire sujet de la chaîne signifiante, c'est au contraire le sujet à jamais séparé de son identité par le signifiant.

Commet le désir se situe-t-il par rapport à ça? Lacan le dit très précisément page 634 des Ecrits. Il dit que le désir consomme "cette refente que le sujet subit de n'être sujet qu'en tant qu'il parle". Le désir n'est qu'un soulignage, c'est ce qui vient se couler dans cet intervalle qui sépare le sujet d'avec lui-même. C'est là, d'ailleurs, que nous allons voir cette ambiguïté du désir au sens de Lacan, puisque, dès ce moment-là, le désir n'apparaît qu'à la place du signifié. On connaît bien le schéma élémentaire qui figure dans "L'instance de la lettre", qui a servi à arrêter nos idées sur Lacan, et qui place le signifiant au-dessus du signifié – l'un étant écrit en lettres romaines, et l'autre en italiques et en minuscules. C'est là le genre de petits objets qui ne cessent de pouvoir être commentés quand ils ont été construits avec rigueur. On ne cesse pas d'avoir à se déprendre de l'évidence que ça véhicule à force d'habitude, afin d'en susciter encore une fois le réveil et de s'apercevoir à quel point ça guide nos pensées sans que nous en apercevions. A cet égard, ce petit schéma est une réussite. C'est économique comme moyen.

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Eh bien, il est évident que l'on peut répéter ce schéma quand il s'agit de la demande et du désir. Lacan n'a pas écrit grand D sur petit d, mais il aurait pu: D/d. Prenez tous les textes qui vont suivre cette coupure de 58, et vous verrez que le désir apparaît comme un effet de signifié de la demande, de la demande comme signifiante. De la même façon que Lacan met l'accent sur la fuite de la signification, sur le fait que le sens ne peut être localisé dans aucun élément de la chaîne signifiante mais qu'il est en quelque sorte entre les signifiants, il situe le désir comme un effet métonymique.

C'est une conception que vous retrouvez dans les schémas les plus familiers de l'enseignement de Lacan, celui par exemple de l'Œdipe lacanien, baptisé métaphore paternelle. La place que Lacan isole comme celle de l'effet de signification, c'est celle qu'il assigne au phallus comme signifiant du désir. C'est là encore dans l'ordre du signifié qu'il situe la position qui relève du désir. C'est ce qu'implique le fait du renvoi signifiant métonymique où la signification est prise. Cette thèse, vous la trouvez encore dans le Séminaire III: toute signification renvoie à une autre signification. C'est la thèse de "L'instance de la lettre" investie du désir. Ce terme d'investissement, de renvoi signifiant par le désir, c'est évidemment la même configuration que celle que vous trouvez dans cette phrase où Lacan évoque le désir comme consommant le refente que le sujet subit. Il y a là une articulation langagière fondamentale. Autrement dit, il y a là un niveau où l'on peut situer les lois du langage, et, dans un second temps, démontrer le désir se coulant dans cette articulation langagière, se coulant à la place du signifié.
Il y a donc un premier niveau qui est celui de l'articulation langagière sans qu'il soit question du désir et de la sexualité. C'est le niveau où se situe la première partie de "L'instance de la lettre", celle qui avait tellement plu aux littéraires, qu'ils s'étaient par là senti allégés de la psychanalyse. Puis il y a un deuxième niveau où le désir trouve sa place dans cette articulation langagière, mais en ne faisant en quelque sorte que la redoubler. Là où nous mettions signifié, nous mettons désir, en identifiant ce désir à la métonymie, c'est-à-dire à la fuite du sens. C'est seulement dans un temps troisième qu'il s'agit ensuite de situer quelque chose qui au premier abord a l'air de n'avoir rien à faire avec ça et qui est la relation sexuelle. C'est seulement dans un temps troisième que se pose la question de l'articulation du désir avec la sexualité.

Je me suis longtemps demandé ce qu'impliquait cette petite phrase des Ecrits, page 633: "Que l'acte génital en effet ait à trouver sa place dans l'articulation inconsciente du désir". Puis, je me suis aperçu qu'à un autre endroit des Ecrits, Lacan disait à peu près la même chose, à savoir que "la relation sexuelle occupe le champ clos du désir". Ce qui me paraissait au prime abord singulier, c'était cette séparation impliquée par ces deux phrases entre le désir et le sexuel. Puis je me suis aperçu que c'était tout à fait structurant dans l'enseignement de Lacan, que c'était même une des questions essentielles à quoi sa conception de l'inconscient structuré comme un langage l'introduit et le confronte.

Voici sa démarche. Admettons que nous puissions, à partir de cette structure de langage, rendre compte du désir freudien en tant que ce désir n'a pas en définitive d'autre nom, dans le texte de Freud, que le Wunsch, le souhait, c'est- à-dire qu'il se produit à partir de la demande. On peut donc, à partir de la structure du langage, rendre compte du désir freudien, avec son caractère insaisissable et inextinguible, dans son articulation au Wunsch, la façon la plus simple de faire étant d'identifier le désir au signifié comme effet du signifiant.

Mais il y a évidemment un hiatus entre le désir identifié au signifié et le désir comme sexuel. Je veux dire qu'il n'y a strictement rien, de prime abord, qui permette de passer de l'un à l'autre. C'est même pour cela que la théorie du désir chez Lacan a eu un tel succès. Puisque ça n'implique pas la sexualité, ça pourrait, en tant qu'articulé à la structure du langage, être un idéalisme ou, en tout cas, se compléter d'un idéalisme, puisque ça ne dit après tout rien d'autre que ceci, qu'on ne peut espérer trouver un objet qui nous satisfait. C'est en général à ce moment là qu'il y a des gens, depuis longtemps dans notre culture, pour indiquer où se trouve la solution du problème. On ne peut pas trouver ça dans la métonymie, alors on peut trouver ça dans la grande métaphore.

C'est là un point tout à fait tournant. Comment est-ce que ce pas d'articulation se fait? Qu'est-ce qui ne permet pas de faire de la psychanalyse cet idéalisme du désir, cet idéalisme signifiant du désir? Eh bien, je crois que vous pouvez déjà vous apercevoir de la contradiction qu'il y a entre la définition du désir comme métonymique, comme fuite et redoublement d'un renvoi indéfini, et l'affirmation que ce désir est essentiellement coordonné à un objet ou à un signifiant que nous baptisons le phallus. Il y a là une contradiction, une tension. C'est ce phallus qui résume l'articulation du désir – désir déduit de la structure du langage – avec la relation sexuelle. Ce n'est pas sans de nombreux essais, d'ailleurs pas tous homogènes, que Lacan arrive à rendre compatibles le désir déduit de la structure de langage et le phallus en tant qu'il résume la relation sexuelle dans la psychanalyse. Il y a là un hiatus, et ce que nous appelons l'enseignement de Lacan, ça consiste, pendant de nombreuses années – au moins deux ou trois ans – à essayer d'aménager ce hiatus. C'est pour cela qu'il faut resituer ses propositions et ses thèses par rapport à cette question: Comment est-ce que la relation sexuelle vient à occuper le désir déduit de la structure de langage?

Une façon peut-être simple de le formuler, c'est de s'apercevoir que dans le texte de Lacan il y a deux phallus, deux définitions du phallus. Le premier sur lequel il arrive dans son effort logique, c'est le phallus métonymique. C'est celui qui est supposé obéir à la structure du désir comme métonymique, ce désir qui est censé ne pas avoir d'objet puisqu'il est toujours dans le renvoi, ailleurs. Nous avons la métonymie en tant qu'essentiellement elle se supporte du manque-à-être, et la première façon de situer le phallus pour qu'il soit conforme à cette structure métonymique, ça ne peut être donc que de le situer comme un objet en tant que cet objet est manque-à-être. Il y a là une solution très élégante de Lacan, celle de dire que le phallus essentiel, celui qui domine toute l'affaire, c'est celui de la mère, c'est-à-dire précisément celui qui n'existe pas. La seule façon d'articuler la relation sexuelle avec la structure métonymique du désir, c'est de poser qu'elle se fait par le biais d'un objet mais en tant qu'il est manque-à-être, c'est-à-dire le phallus maternel dont on sait que Freud a développé l'incidence de nombreuses façons. C'est une solution évidemment extrêmement élégante. On se dit toujours, quand on voit ces strates de l'enseignement de Lacan, qu'il aurait très bien pu s'arrêter là et commenter ça pendant vingt ans.

Ce que je vous amène là, il faut le chercher à travers quelques indices, parce que rien de tout cela n'est développé dans les Ecrits. C'est à partir d'une phrase, d'une notation, qu'on peut reconstituer ça. Ce style allusif de Lacan est finalement très curieux. Il est à la fois assertif et élusif. Je suppose que c'est par l'élision, par ce fait de ne pas livrer tout ce qu'il pense, qu'il a pu continuer d'avancer, c'est-à-dire à ne pas s'identifier à un état de sa théorie. J'ai presque le sentiment d'être comme les kremlinologues. Vous savez que le Kremlin est fameux pour ne pas dire ce qu'il pense, et il s'est donc développée une certaine catégorie de personnes, d'observateurs du Kremlin, qui, à partir de petits détails infimes, essayent de savoir si Souslov passe avant Brejnev, à gauche ou à droite, etc. A partir de là, ils reconstituent toutes les embrouilles, toutes les querelles qui doivent se dérouler derrière les murs de ce bâtiment. Eh bien, quand on lit Lacan, c'est aussi à partir d'indices souvent extrêmement minces qu'on peut reconstituer ce qui faisait son tracas, son souci.

Je disais qu'il y a là une très belle théorie qui pourrait être développée comme telle: c'est essentiellement le phallus maternel en tant que manque-à- être qui permet de conjoindre le désir et la sexualité, précisément parce que ce phallus n'existe pas. Ca, c'est le phallus métonymique. Lacan l'évoque dans un Séminaire, quand il parle du phallus comme d'un objet métonymique qui circule comme le furet. On trouve ça présent dans les Ecrits également.

Il n'en est pas moins clair que nous avons, au niveau de ce qu'il a choisi d'appeler la métaphore paternelle, une autre structure du phallus, à savoir le phallus métaphorique. Ce n'est pas le phallus en tant qu'il glisse dans la chaîne et qu'il s'identifie au sens, c'est le phallus en tant qu'il est présent chaque fois qu'il y a stase, arrêt de la chaîne métonymique. C'est le phallus qui est toujours présent lorsqu'il y a lapsus. C'est ce que disait Freud: chaque fois qu'on rigole, le phallus est là. La métonymie maternelle, c'est celle par quoi le désir identifié à la fuite du sens se conjugue au manque-à-être de son phallus. Mais il y a une autre fonction qui supplante la fonction maternelle et qui est cette émergence métaphorique.

Vous voyez, à partir de ces deux articulations où le phallus est situé comme le signifié, que c'est encore un déplacement que de poser le phallus comme signifiant. Vous devez voir, même si j'essaye de vous restituer ça comme un itinéraire, que puisque ça se partage dans les mêmes écrits, ceux-ci sont parfois légèrement contradictoires à l'intérieur d'eux-mêmes. Ils ne sont donc pas complètement homogènes. Ne vous imaginez pas, quand vous prenez un écrit de Lacan, que vous êtes sur une plage de pensée strictement homogène. Lacan joue plusieurs parties à la fois dans un même écrit, et c'est bien cela qui fait la densité et la richesse de ses textes. Vous savez que dans le jeu d'échec, vous pouvez avoir toute une rangée d'échiquiers où chacun joue sa partie avec le maître qui joue simultanément toutes les parties. Eh bien, un écrit de Lacan, c'est pareil: il joue vingt parties à la fois. Evidemment, à un moment donné, s'il y a une pièce qu'il faut avancer ici, il n'y a aucune raison pour que ce soit la même qu'on doive avancer là. Donc, de paragraphe en paragraphe, il y a des configurations qui ne sont pas du tout homogènes les unes aux autres. Si vous répartissez les Ecrits selon cet itinéraire que je vous indique, vous verrez ces lignes de fracture.

C'est donc encore un pas que de poser le phallus comme signifiant. Lacan a poussé très loin l'utilisation des lois du langage. Il a même décidé de structurer l'Œdipe freudien à partir de ces lois. Pas seulement les émergences du lapsus et du mot d'esprit dans la séance analytique, mais aussi ce qui est, après tout, un concept freudien, c'est-à-dire l'Œdipe, avec ce superbe pied de nez que constitue la métaphore paternelle qui n'est pas autre chose qu'un mathème de l'Œdipe freudien – mathème qui a cette élégance de rendre compte à la fois de la place prévalente du père dans l'Œdipe et de la fonction phallique. C'est un moyen très économique pour les articuler ensemble. D'un côté Lacan articule le phallus à la fonction maternelle – c'est ce que j'ai baptisé la métonymie maternelle, qui n'est pas baptisée dans Lacan mais qui court dans tous les textes de cette période – et de l'autre côté il articule la fonction paternelle.

C'est exactement ce qui résout la question qu'il pose à la fin du Séminaire III. J'ai intitulé le dernier chapitre "Le phallus et le météore", en utilisant évidemment les termes qui se trouvent dans le texte. Eh bien, ce météore, c'est le phallus métonymique. Par contre, le phallus qui n'est plus un météore, le phallus stabilisé, opératoire, c'est le phallus de la métaphore paternelle, que Lacan n'a pas encore inventé à cette époque. On voit, dans toute cette construction, pourquoi il y arrivera. Ce phallus comme signifiant, il est en effet nécessaire d'y arriver. C'est nécessaire dès lors que Lacan pose que le phallus est ce qui concentre la relation sexuelle et qu'il y a le fait que le désir doit être inconscient. Si on pose qu'il n'y a que les signifiants qui sont refoulés, il y a alors une nécessité logique à construire le phallus comme signifiant. Seulement, construire le phallus comme signifiant en même temps que l'on situe le désir comme un effet de signifié, ce n'est évidemment pas tout à fait simple. Il ne faut pas lire Lacan comme la Bible. On ne demande pas à la Bible d'être cohérente. La Bible ne se pose pas des questions de logique. On prend un verset et on commence à délirer sur ce verset. L'enseignement de Lacan n'a rien à voir avec une Bible. C'est le témoignage d'un effort de pensée sur l'expérience analytique et l'oeuvre de Freud. C'est comme cela, me semble- t-il, que cet enseignement doit être lu. On a déjà essayé d'autres manières de le lire au cours des années précédentes et il se trouve que le résultat n'est pas brillant. Je ne peux pas promettre que le résultat sera brillant mais je pense que ça vaut la peine d'essayer de cette façon-là.

Il y a donc là un problème que Lacan déplace de Séminaire en Séminaire, à savoir la position du désir comme métonymie d'un côté et le phallus comme signifiant de l'autre côté. Ca a de quoi rendre fou puisque ça ne va pas du tout ensemble. Si Lacan fait ses Séminaires pendant des années et des années, c'est justement parce qu'il a des problèmes comme ça avec ses propres concepts. Il y a des articulation qui sont satisfaisantes à un certain niveau, mais ce n'est pas pour autant qu'elles sont cohérentes avec l'articulation d'à côté. C'est ça qui le motive à continuer.
Il faut aussi que je fasse une autre remarque sur ce pauvre phallus qui se trouve coincé dans la théorie de Lacan, à savoir que le phallus comme signifiant du désir n'est pas ce que Lacan définit en un autre point comme le phallus signifiant de la jouissance. Vous connaissez cet écrit de Lacan qui s'appelle "La signification du phallus". L'expression de signification du phallus est en elle-même un pléonasme, puisque toute signification est foncièrement phallique. Si le désir est une métonymie, la signification, elle, est phallique. C'est évidemment un tout autre abord dont il s'agit dans "Subversion du sujet", quand Lacan pose le phallus comme signifiant de la jouissance. Vérifiez d'ailleurs comment il l'introduit. Il dit que c'est par le phallus dans l'expérience analytique que "prend corps la jouissance dans la dialectique du désir". Cette phrase-là est exactement construite comme les deux autres phrases que je vous ai présentées auparavant. Là, entre 58 et 61, nous voyons toujours se reproduire le même type de phrases. Tout à l'heure, je me comparais à un kremlinologue et maintenant je pourrais me comparer à un égyptologue. C'est comme ça que Lacan explique la lecture de Schreber par Freud. Freud lit les Mémoires de Schreber comme Champollion. On prend un cartouche quelque part, puis on s'aperçoit qu'il y a le même un peu plus loin, et on a donc, par cette répétition, l'idée d'une certaine régularité. Si quelqu'un lisait Lacan sans rien y comprendre – ce qui est mon cas depuis longtemps, car si je vous fais part ici de la façon dont je m'y retrouve, c'est dans la mesure où il y a toute une partie où je ne m'y retrouve pas du tout, en tout cas selon mes critères – si donc quelqu'un lisait Lacan sans rien y comprendre, il serait plus rapidement capable que nous de mettre en série les trois phrases que je vous ai citées: 1) "L'acte génital doit trouver sa place dans la dialectique du désir." 2) "La relation sexuelle occupe le champ clos du désir." 3) "Par le phallus prend corps la jouissance dans la dialectique du désir." C'est chaque fois la même question d'articulation qui est posée. Il y a une autonomie de cette dialectique du désir qui peut être déduite des lois du langage, puis il y a la sexualité, et il s'agit de poser comment ça s'articule.

Le point par lequel ça s'articule, Lacan l'a identifié une bonne fois. Ce point, c'est le phallus. C'est de là qu'il prend sa place prévalente. Je vous ai cité à ce propos les textes des années 60, mais si je prends les textes des années 70, c'est la même chose, au moins dans leur début. C'est toujours au phallus, comme il le dit dans Radiophonie, que se résume "le point par quoi le désir est passion du signifié". Je ne jure pas que ce soit là sa formulation précise, mais c'est bien toujours le phallus qui fait pivot entre la dialectique signifiante du désir et la sexualité.

Dans la troisième phrase, la jouissance est située plutôt du côté de la relation sexuelle. Le phallus est alors supposé donner corps, donner organe à la jouissance dans la dialectique du désir. C'est une théorie qui n'est pas la dernière de Lacan sur ce point. Elle se situe seulement sur ceci, que la jouissance a un signifiant privilégié. C'est évidemment quelque chose de tout à fait distinct que d'articuler la jouissance à partir de l'objet a. Articuler la jouissance au signifiant, c'est supposer que la jouissance est prise dans la représentation, alors que la fonction de l'objet a exclut la représentation.

Evidemment, il y a des emberlificotis sur cette affaire. Prenez simplement la définition du signifiant par Lacan: "Le signifiant est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant". A partir du moment où vous dites que le phallus est un signifiant, il y a alors des problèmes théoriques qui se présentent à vous tout de suite. Si le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, où est le phallus? Est-ce qu'il représente le sujet? Ou est-ce qu'il est l'autre signifiant pour lequel le signifiant représente le sujet? C'est là une alternative logique que vous retrouvez constamment dans l'enseignement de Lacan, au point que vous avez, dans son dernier ou avant-dernier texte des Ecrits, cette proposition que "le phallus n'est rien d'autre que ce point de manque qu'il indique dans le sujet". Vous voyez comment c'est construit. Ca pose le phallus comme un index qui indique dans le sujet un point de manque. Le phallus, en fait, est ce point de manque même. Il y a là une structure autoréflexive qui est amusante, et vous voyez donc, en définitive, que ce phallus est susceptible d'être identifié au sujet lui-même. Moi, ça ne m'impressionne pas quand quelqu'un lève le doigt pour dire que Lacan dit tout de même que le phallus est ce point de manque, car il y a trente-six autres phrases à opposer à celle-là. Elles prennent cependant strictement leur valeur –– je ne dirai pas leur valeur du moment, car ce n'est pas la chronologie qui m'intéresse –– de la question à laquelle Lacan répond par sa proposition.

On voit bien, là, qu'il n'y a qu'une seule façon de combattre la fascination hypnotique induite par le style assertif de Lacan. On dort quand on lit Lacan, et plus on travaille dessus, plus on se croit actif, et plus on dort. C'est là que c'est extrêmement pernicieux comme effet. Eh bien, après avoir longuement dormi sur le texte de Lacan, il n'y a qu'une seule façon de se réveiller, à savoir d'essayer de substituer strictement, à tout ce style assertif, un style interrogatif, et cela avec la même constance avec laquelle Lacan maintient ce style assertif. Il y a en général chez lui des emboîtements qui sont tellement réussis, tellement prodigieux et éclairants par rapport à Freud, qu'on se contente de contempler et de reproduire indéfiniment. Je fais cours depuis longtemps et combien de fois n'ai-je pas écrit cette chose-là au tableau. Je n'arrive pas vraiment à m'en débarrasser, bien que je concasse ça maintenant de beaucoup de façons. Je pense donc que c'est une voie pour nous, non pas de libération, mais de réveil, que de substituer l'interrogation à l'assertion.

J'ai beaucoup de chemins à suivre mais je vais d'abord suivre celui-là, à savoir qu'après vous avoir conduits au carrefour du phallus – expression qui est là justifiée – je vous fais prendre l'embranchement – il faut faire un petit tour de ce côté-là – qui conduit à la place de la jouissance. Vous êtes au carrefour du phallus, vous prenez sur le droite et vous tombez sur la place de la jouissance.

Cette place de la jouissance, elle est déjà prescrite, comme Lacan le formule, par ce qu'implique l'abolition du sujet dans le désir. J'ai dit comme Lacan le formule, puisque, encore une fois, je ne me m'occupe que de ses formulations. Je n'essaye pas de les justifier par une phénoménologie de l'expérience. Lacan a passé son temps à dire que l'expérience montre qu'il n'y a pas de sujet au niveau du désir, mais, comme il a démontré le contraire pendant quinze ans, on ne peut pas dire qu'on soit là seulement au niveau de l'évidence. On ne peut pas ne pas voir que ces évidences sont produites par sa construction. Ici, je vous donne la construction sans l'expérience, sans la pseudo évidence de l'expérience qui la supporterait.

Je disais que l'abolition du sujet dans le désir ouvre déjà la question de son abolition pure et simple ou non. Il y a déjà, ces années-là, une réponse paradoxale de Lacan, à savoir que le sujet ne peut pas être trouvé au niveau du signifiant où il n'est que refendu. Le sujet du désir, dit-il dans les années 60, n'est autre que la Chose. C'est évidemment du côté de la jouissance qu'il faut entendre cette Chose – das Ding – exposée par Lacan dans L'Ethique de la psychanalyse. C'est ce qui s'éclaire de "Subversion du sujet et dialectique du désir", dans un passage difficile des Ecrits, page 819: "Je suis à la place d'où se vocifère que l'univers est un défaut dans la pureté du Non-Etre. Elle s'appelle la Jouissance, et c'est elle dont le défaut rendrait vain l'univers." C'est évidemment apporté par la veine poétique, mais si on décape cette gangue poétique - bien qu'il y ait des nécessités qui l'amènent à parler de cela ainsi, puisqu'il n'a là qu'un mathème encore très sommaire –– qu'est-ce qu'on obtient? Une fois qu'on l'a décapée, que veut dire cette expression? Ca veut dire que la place propre du sujet en tant que Je, c'est la jouissance. La jouissance, ce n'est qu'une place et en tant qu'elle fait manque dans l'Autre. Lacan identifie donc dans ce point l'absence de sujet, le $ à proprement parler, insaisissable par le signifiant, et le manque de jouissance induit par le signifiant même. C'est dire que ce qu'il écrit page 819 nous explique ce qu'il écrit page 656, à savoir que le sujet du désir n'est autre que la Chose. L'identité entre guillemets du sujet ne peut en définitive être trouvée que du côté de la Chose ou de la jouissance. C'est ce qui conduira Lacan à sa théorie de la fin de l'analyse comme chute du supposé savoir, comme émergence et séparation de l'objet a, comme traversée du fantasme.

La page 656 est donc éclairée par la page 819, mais à condition de lire aussi cette phrase de la page 853, où Lacan écrit de façon énigmatique: "le désir vient de l'Autre, et la jouissance est du côté de la Chose". Que le désir vienne de l'Autre, qu'est-ce que ça veut dire? C'est ce que je vous ai expliqué. L'Autre dont il s'agit là, c'est l'Autre du langage, ce qui veut dire que le désir est un effet du signifiant. C'est comme cela que Lacan reprend le désir de l'Autre une fois qu'il a abandonné sa théorie de la reconnaissance. Vous voyez que ça se boucle très bien. Pour certains auteurs, on essaye souvent de comprendre un ouvrage par un autre, mais avec Lacan il faut faire strictement cette opération avec des phrases, parfois même avec des tronçons de phrases. C'est évidemment un exercice qui demande du temps. Il faut du temps, pas seulement pour lire les Ecrits, puisque lire 800 ou 900 pages est à la portée de tout le monde, mais pour les lire en les interrogeant.

Ca nous incite tout de suite à voir sur quelle dichotomie est construit cet enseignement. Cette dichotomie place d'un côté la structure de langage, l'Autre comme lieu du signifiant, le désir, et de l'autre côté la jouissance et la Chose, la Chose qui n'est pas encore découpée par le signifiant. Ce clivage reproduit celui que je vous ai marqué tout à l'heure entre le désir et la relation sexuelle. On s'est imaginé que Lacan présentait une conception linguistique de l'inconscient. C'est le reproche que lui a fait Paul Ricoeur, dans un ouvrage bien oublié maintenant, qui avait été publié en 1965 et qui avait beaucoup irrité Lacan. Il y avait de quoi puisque Ricoeur pompait les Séminaires de Lacan. D'un côté il les pompait et de l'autre il écrivait un livre de plusieurs centaines de pages en ne mentionnant ses Séminaires que par une seule note. Comme il avait évidemment des problèmes avec son rapport à Lacan, cette note avait poussé jusqu'à recouvrir presque deux pages entières. C'était un affreux symptôme. En plus, ce reproche d'une conception linguistique de l'inconscient était injustifié, puisque tout ce qui anime au contraire l'enseignement de Lacan, c'est d'articuler la structure de langage, qui s'impose à partir de la structure de l'expérience analytique, avec l'énergétique, la sexualité, le dynamisme, et ceci d'une façon très complexe au fil des années. Il y a, bien sûr, tout un aspect où l'énergie se réduit à l'articulation signifiante. L'énergie, au sens scientifique du terme, n'est en effet qu'une formule qui répond à certaines exigences signifiantes. Mais il n'empêche que l'articulation entre le désir de l'Autre et la jouissance de la Chose est quelque chose qui traverse dix ou quinze ans de l'enseignement de Lacan.

C'est même ce clivage qui explique la promotion de plus en plus affirmée de la fonction de l'objet a dans cet enseignement. La fonction de l'objet a est celle qui peut être à la fois déduite de la structure de langage comme une condition de celle-ci, et y échapper suffisamment pour concentrer le côté de la Chose. C'est un concept qui a une très grande puissance opératoire par rapport à ceux qui sont déployés dans les Ecrits. Vous savez que c'est seulement dans le dernier texte des Ecrits que l'on trouve la fonction de l'objet a, et d'ailleurs pas tellement explicitée. Beaucoup de problèmes qui sont soulevés par les Ecrits sont résolvés par ce concept, et spécialement en ce qui concerne ce clivage que je dis être constant dans l'enseignement de Lacan.

Ce clivage, si vous lisez le Séminaire XI, c'est exactement ce que vous voyez se produire – et cette fois-ci monnayé comment? Eh bien, entre le signifiant et la pulsion. C'est là toute la question qui anime tous les passages de ce Séminaire XI sur la pulsion. La question des chapitres sur la pulsion a été commentée jusqu'à plus soif depuis que j'ai édité ce Séminaire XI. Ca a été de nombreuses fois au programme du département de psychanalyse, c'est fort cité dans les journées, les congrès des psychanalystes lacaniens, mais toujours plutôt en adoptant d'une façon naïve le style assertif de Lacan, alors qu'il faut d'abord voir la question qui domine tous ces chapitres et qui est le problème de la sexualité. En effet, avec le point de départ de Lacan, il est sûr que la sexualité fait problème, que la fonction de la sexualité dans l'inconscient fait problème. Le point de départ de Lacan, c'est l'expérience analytique, c'est-à- dire une expérience dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'est pas faite d'une façon évidente pour donner sa place à la relation sexuelle. Il n'y a pas à se poser ce problème lorsqu'on se livre à certaines thérapies sexuelles, puisque les moyens qu'on y emploie ont un certain degré d'immédiateté physique. Mais quand on part de l'expérience analytique comme expérience de langage, il est normal que ça fasse un problème que d'articuler la relation sexuelle avec le blabla qui s'y déroule, par exemple d'espérer de ce blabla que le sujet se trouve plus à l'aise dans ladite relation. Le hiatus n'est pas induit par le mauvais point de départ qu'aurait choisi Lacan, il est induit par la relation même du dispositif analytique avec ce sur quoi il s'agit d'opérer.

Le problème du Séminaire XI s'agissant de la pulsion, c'est bien de savoir comment on peut, en partant de "L'instance de la lettre", donner sa place à la sexualité. Si à partir du signifiant on peut déduire le désir, sa dialectique, son champ clos, puis expliquer comment la relation sexuelle s'y inscrit, où est en l'occurrence le hiatus? Comment ce hiatus se répercute-t-il dans le Séminaire XI? Il se répercute d'une façon très simple, si au moins on n'oublie pas le début du livre quand il s'agit de la fin. Le premier concept qu'aborde Lacan, c'est l'inconscient, et il l'aborde comment? Il l'aborde par sa structure de béance, ce battement en éclipse du sujet qui surgit à un moment dans sa vérité, et puis qui disparaît ensuite. Ca donne une présentation très simple et très vivante des émergences de l'inconscient, de sa logique dans les premiers textes de Freud: Le Mot d'esprit, la Psychopathologie de la vie quotidienne et la Traumdeutung. L'articulation par Lacan de ces deux chapitres est directement branchée là-dessus. C'est une logification de cette expérience. Lacan montre que le sujet lui-même obéit à cette structure de béance et qu'il se constitue à partir de ces émergences-là. Je veux dire le sujet qui nous intéresse, celui auquel l'analyste a affaire.
C'est donc le sujet ainsi défini qui pourrait paraître être la réalité de l'inconscient. Lacan nous explique que l'inconscient est essentiellement cette structure de béance et on pourrait donc dire que cette béance est la réalité de l'inconscient, la seule réalité. Il y a d'ailleurs des formules précédentes de Lacan qui le disent: la structure de l'inconscient est ce vide, ce battement insubstantiel, etc.

Or, vous savez que le point tournant de ce Séminaire XI, c'est au contraire que Lacan pose la réalité de l'inconscient comme étant la réalité sexuelle. Cette phrase, on peut la lire en dormant – Mais oui, bien sûr, la réalité de l'inconscient c'est la réalité sexuelle – alors qu'elle est une provocation. C'est une provocation de dire cela après ce qui nous a été expliqué au début. En fait, la question que formule vraiment Lacan, c'est celle de la relation, qu'il dit consubstantielle, du sexuel à l'inconscient. Consubstantielle n'est pas un mot bien choisi, puisqu'il s'agit de soutenir au contraire une conception non substantielle du sujet, mais Lacan l'emploie, page 133, en précisant que c'est chez Freud que c'est situé comme consubstantiel: "De l'inconscient, j'ai tenu à vous rappeler jusqu'ici l'incidence de l'acte constituant du sujet, parce que c'est ce qu'il s'agit pour nous de soutenir. Mais n'omettons pas ce qui est, au premier chef, souligné par Freud comme strictement consubstantiel à la dimension de l'inconscient, à savoir la sexualité. Pour avoir toujours plus oublié ce que veut dire cette relation de l'inconscient au sexuel, nous verrons que l'analyse a hérité d'une conception de la réalité qui n'a plus rien à faire avec la réalité telle que Freud la situait au niveau du processus secondaire."

Ce n'omettons pas qui commence la seconde phrase, c'est le balancement même de tout ce Séminaire XI, à savoir tout ce que je vous ai dit: d'un côté la dialectique du désir, le champ clos du désir, et de l'autre côté la jouissance, la Chose. Ici, ça trouve une forme très précise: Comment est-ce que s'articule la structure de béance de l'inconscient avec la réalité sexuelle comme réalité de l'inconscient? Et c'est à ce moment-là que le concept de pulsion trouve sa place nécessaire, c'est à ce moment-là que devient intéressant ce petit truc qu'on ramène toujours comme le petit dernier qu'on oublie dans la théorie freudienne, et qui vient un peu embarrasser, puisque, après tout, si on a le désir et la demande, on se demande pourquoi on aurait en plus affaire à la pulsion. C'est un concept dont on n'est jamais sûr qu'il ait été complètement naturalisé dans l'enseignement de Lacan. Avec le désir et la demande, on est content. On est content parce que ce sont des concepts qui donnent vraiment le sentiment d'avoir été construits par Lacan, d'être propres à son champ. Il ont eu pour cela le succès que l'on sait. Mais avec la pulsion, ça serait comme ce petit dernier qui saute sur le pont, hop! au moment où l'on s'embarque de Freud pour Lacan. Cette pulsion n'apparaît pas bien élevée comme le désir et la demande. On pourrait présenter cela comme dans un film de Duras: sur le paquebot lacanien, des gens, en habits de soirée, tous plus signifiants les uns que les autres, avec leurs paquets de références, Valéry et Kierkegaard pour les uns, Platon et Léonard de Vinci pour les autres. Et puis la pulsion arrive, autochtone et mal lavée.

Eh bien, pas du tout! Ce n'est pas ça du tout, la pulsion! Ce n'est pas cet hôte indésirable mais au contraire un concept tout à fait nécessaire pour que la fête continue. C'est précisément le concept qui permet de rendre compte de ce que la sexualité participe à l'inconscient d'une façon conforme à la structure de béance de l'inconscient. Ce n'est pas un concept dont on peut se passer. Je me répète? Je vois des regards plein d'incompréhension qui se lèvent... Je voudrais pourtant qu'ils soient illuminés de la belle et bonne compréhension de la chose. Je dis que le concept de pulsion essaye de cerner comment la sexualité peut être présente dans l'inconscient d'une façon conforme à la structure de béance de ce dernier. C'est un concept de jonction.

C'est d'ailleurs ce que Lacan écrit exactement. Simplement, au lieu de le lire comme une évidence, il faut voir que ça répond à des questions. Page 160 du Séminaire XI, il écrit: "La pulsion est précisément ce montage par quoi la sexualité participe à la vie psychique, d'une façon qui doit se conformer à la structure de béance qui est celle de l'inconscient." Tout est là. Tout ce que Lacan élabore dans ce Séminaire XI, c'est précisément la pulsion comme représentation de la sexualité conforme à la structure de béance de l'inconscient, c'est-à-dire conforme au sujet du lapsus et de l'acte manqué. Ca ne va évidemment pas de soi, et ça explique qu'il fasse de la pulsion un concept fondamental. Il faut du culot pour dire: Voilà les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse! On peut se demander pourquoi il n'y a pas le désir, la demande, etc. La pulsion, en tant qu'elle résout ce type de clivage et de hiatus, prend rang de concept fondamental. Elle réalise, comme l'écrit Lacan page 161 des Ecrits, "l'intégration de la sexualité à la dialectique du désir". Vous voyez que c'est toujours ce terme de dialectique du désir que je vous montre courir dans l'enseignement de Lacan, et qui recouvre là quelque chose de tout à fait cerné.

Disons que la pulsion représente la sexualité de façon conforme au signifiant. Ca implique quoi? Qu'est-ce qu'elle implique, cette représentation conforme au signifiant? Conforme au signifiant, ça veut dire conforme à la structure de renvoi du signifiant. Si la sexualité dans l'inconscient doit se conformer à la structure du signifiant, ça veut dire qu'il n'y a pas de rapport sexuel. Vous obtenez le non-rapport sexuel immédiatement à partir de cette proposition. Dès lors que la sexualité ne peut être représentée que de façon conforme à la représentation signifiante, c'est-à-dire dans la métonymie signifiante, il n'y a pas d'autre rapport sexuel que cette métonymie même. Conformément à ce qu'implique de manque-à-être la métonymie signifiante, il n'y a pas de rapport sexuel. Autrement dit, structuralement, la position prévalente du phallus maternel et la position qu'il n'y a pas de rapport sexuel, elles disent exactement la même chose. Elles n'ont pas chacune les mêmes vertus éclairantes mais elles reposent exactement sur la même disposition structurale.

Je n'ai vraiment pas couvert le chemin que je voulais faire aujourd'hui, mais j'espère cependant que je vous laisse là plus savants dans la lecture de Lacan. Je reprendrai ce cours après la coupure signifiante de l'année.
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Tilda