Следующая клиническая секция состоится 17.11.24. Скоро анонс!
Следующая клиническая секция состоится 17.11.24. Скоро анонс!

Жак-Ален Миллер , курс 1981-1982 гг
Скандирования в учении Лакана // Диалектика желания и фиксированность фантазма
3 сеанс, 1 декабря 1981

Жак-Ален Миллер , курс 1981-1982 гг
Скандирования в учении Лакана // Диалектика желания и фиксированность фантазма
3 сеанс, 1 декабря 1981
Ce qui est vrai, c'est que la dernière fois et la précédente ont été pour moi une sorte de sas. Vous savez que dans les sous-marins ou dans les vaisseaux spatiaux, on ménage, quand il y a des changements de pression, un intervalle qui s'appelle un sas. Eh bien, ce dont il s'agit est de cet ordre, parce qu'il y a, pour moi comme pour vous, une mutation du rapport à Lacan dont nous n'avons pas encore mesuré toutes les incidences. J'ai donc voulu faire sa part à une réflexion sur cette mutation, dont je ne me crois d'ailleurs pas quitte avec les deux séances précédentes.

J'aborde maintenant la suite qui est en même temps autre chose, autre chose qui me paraît tout à fait indispensable, et qui est une rectification de la lecture de Lacan. Ca ne doit pourtant pas être symétrique au slogan du "retour à Freud". Nous devons avoir le souci de ne pas nous imaginer que notre rapport à Lacan puisse être symétrique du rapport de Lacan à Freud. A côté de la rectification de la lecture, il doit s'agir pour nous, non pas d'un retour à Lacan, mais d'une réouverture de Lacan.

Я продолжу, но в тоже время это будет по другому, по другому, потому что мне это представляется совершенно необходимым, перейти к ректификации (rectification) чтения Лакана. Однако, это не должно быть симметричным девизу «возвращение к Фрейду». Нам нужно постараться не воображать себе будто наше отношение к Лакану может быть симметричным отношению Лакана к Фрейду. Со стороны ректификации чтения, речь должна идти для нас не о возвращении к Лакану, но о переоткрытии (réouverture) Лакана.

Il semble, en effet, que ce soit au cours de ses Séminaires longtemps hebdomadaires que s'est produit un amortissement du sens des termes et du vocabulaire de Lacan. Je veux dire que les termes de manque, de sujet barré, d'objet a sont autant de termes que nous avons inévitablement tendance à galvauder. Je crois donc indispensable de réveiller ces termes, de réacquérir ce qu'a pu par exemple présenter de nouveauté la disparition du sujet dans l'enseignement de la psychanalyse. Ce n'est pas quelque chose qui est acquis pour Lacan dès qu'il commence son enseignement, mais au contraire une conquête et une avancée de cet enseignement. Cela en est de même pour tous les autres termes qui ont eu du succès, comme le désir, la demande, la jouissance, dont l'usage, le nôtre, a amorti la pointe. Il me semble donc qu'il est maintenant nécessaire de procéder méthodiquement à un réveil de l'enseignement de Lacan, et c'est ce que je vais tenter ici pendant quelques séances.

Действительно, создается впечатление, что именно во время курсов еженедельных семинаров произошло смягчение значения (amortissement du sens) терминов и словаря Лакана. Я имею в виду, что термины нехватка, перечеркнутый субъект, объект а – это термины, которыми мы неизбежно склонны злоупотреблять. Следовательно, я полагаю, что важно пробудить эти термины, чтобы вернуть, новизну представления, например, термина исчезновение субъекта (la disparition du sujet) в преподавании психоанализа. Это не что-то, что является «достоянием» Лакана, как только он начинает свое учение, напротив, это завоевание и развитие этого учения. То же самое касается и других терминов, которые имели успех: желание, требование, наслаждение. Наше использование притупляет их остроту. Поэтому, мне кажется, что сейчас есть необходимость приступить к методическому возрождению учения Лакана, и это как раз то, что я собираюсь делать здесь в течение нескольких сеансов.

"Retour à Freud", il est amusant que ce soit sous ce slogan que s'est diffusée une novation dont l'axiome de base ne figure en aucune façon dans le texte même de Freud. Le "retour à Freud" est un slogan qui a recouvert comme un emballage ce dont il s'agissait, à savoir de démontrer que l'inconscient est structuré comme un langage. Il s'agissait d'ailleurs moins de le démontrer directement que de le poser comme un axiome de départ et d'en observer les conséquences, en particulier la remise en ordre que ça permet dans le texte de Freud et dans la pratique même de la psychanalyse. Il y a donc là un écart à mesurer entre ce "retour à Freud" et cet inconscient structuré comme un langage.

L'inconscient structuré comme un langage, c'est un maître-mot, c'est un dit de Lacan, comme on parle du dit d'Anaximandre. C'est un dit qui continue de dominer l'époque où nous sommes. Tant qu'un autre dit ne se sera pas substitué à celui-là, nous serons toujours dans l'époque de Lacan. La disparition physique de celui qui l'a énoncé ne change rien à ce fait. Nous sommes toujours dans cette époque, même si ce qui a été promu comme lecture de Freud et comme mise en ordre de Freud, à savoir l'egopsychogy, qui fait couple avec ce "retour à Freud" lacanien, n'est plus qu'un socle assez sédimenté de la psychanalyse d'inspiration anglo-saxonne. Nous aurons d'ailleurs à revenir sur cette egopsychology, sur ses textes fondateurs, qui sont loin d'être sans intérêt et qui sont ce par rapport à quoi Lacan a cru pouvoir formulé en son nom propre un enseignement.

On peut dire que la notion de ce qu'implique la structure de langage domine tout l'enseignement de Lacan. C'est au point qu'on s'est imaginé que le de pouvait être élidé, mis entre parenthèses, que l'on pouvait passer de structure de langagestructure langage. Ca a choqué quelques-uns que je traite, la fois dernière, Lacan de penseur, à partir d'un texte de Heidegger où j'ai prélevé le terme d'être pour y substituer celui d'inconscient. Ca a choqué parce qu'on s'est imaginé que je pouvais ainsi méconnaître que Lacan s'occupe de la pratique analytique. Ce n'est évidemment pas mon intention, sauf que cette pratique, telle que Lacan la situe, comporte une certaine indépendance relative par rapport à la théorie analytique. C'est cette indépendance relative de la pratique par rapport à la théorie qui donne toute son importance à la saisie du dispositif analytique, à sa rigidité en tant que telle, et j'oserai dire indépendamment de la théorie que le praticien arrive à s'en faire.

C'est là précisément la thèse de Lacan. Dans la première séance du Séminaire XI, il s'occupe de ce qui définit une praxis. Ce qui définit une praxis, c'est - il le dit d'une façon très fulgurante – le traitement du réel par le symbolique, la part d'imaginaire qui s'y trouve inscrite n'important pas. Ca veut dire qu'une pratique n'a pas besoin d'être éclairée pour fonctionner. C'est précisément par cette indépendance relative de la théorie et de la pratique que le dispositif freudien prend son importance. La psychanalyse, pour nous aujourd'hui, pour nous qui n'avons pas à l'inventer, nous savons qu'il s'y passe des choses. Il suffit de s'être prêté à ce dispositif pour ne pouvoir en douter. Comme le formule Lacan dans le Séminaire XI, le fait que la psychanalyse soit une expérience n'en fait pas pour autant une science, puisqu'on peut aussi bien parler légitimement d'expérience mystique. Vous savez qu'à l'époque où il fait ce Séminaire XI, Lacan s'occupe de la question de savoir si la psychanalyse est une science, de savoir quelle place elle peut occuper par rapport à la science, et qu'il donne une réponse finale, à savoir que la psychanalyse n'est pas une science.

Это в точности тезис Лакана. На первом сеансе XI Семинара он разбирается с тем, что определяет праксис. То, что определяет праксис – он блестяще об этом говорит – воздействие на реальное с помощью символического, в котором вписанная в него часть воображаемого не играет особой роли. Это означает, что для того, чтобы функционировать практика в прояснении не нуждается. Именно благодаря этой относительной независимости теории и практики фрейдовский диспозитив обретает свое значение. Психоанализ, для нас сегодня, для нас, которым не нужно его изобретать, мы знаем, что там что-то происходит. Достаточно принять участие в этом диспозитиве, чтобы не сомневаться. Как формулирует Лакан в XI Семинаре, тот факт, что психоанализ – это опыт, не обязательно делает его наукой, поскольку с таким же успехом можно говорить о мистическом опыте. Вы знаете, что во время проведения XI Семинара XI Лакан был озабочен вопросом о том, является ли психоанализ наукой и тем, какое место он может занять по отношению к науке, и он дал окончательный ответ, а именно, что психоанализ наукой не является.

Ce qui est venu à la place de cette question, c'est un accent porté sur le dispositif freudien. Mais le concept que Lacan, lui, a forgé à la place de la question de savoir si la psychanalyse est une science, et pour répondre à cette donnée de l'indépendance relative de sa théorie et de sa pratique, c'est le concept de discours, de discours analytique, qui inscrit l'expérience analytique en tant qu'elle est structurée et par quoi elle s'oppose à d'autres types de discours. Par là, il a complètement déplacé ce qui était une problématique traditionnelle, à savoir le partage entre théorie et pratique, entre science et non-science. Je dirai que c'est à la place des distributions traditionnelles de l'épistémologie, et en les bouleversant, que Lacan a introduit ce terme de discours.

Скажу лишь, что это вместо решения традиционных задач эпистемологии, и спутав ей карты, Лакан ввел термин дискурс.

A cet égard, l'inconscient freudien, qui sert d'index à Lacan dans le début de son enseignement, remarquons bien d'emblée qu'il est relatif à une pratique. L'inconscient structuré comme un langage, c'est strictement l'inconscient en tant qu'il est relatif à la pratique analytique. C'est ce qui conduira Lacan à formuler qu'il n'y a pas de théorie de l'inconscient comme tel, qu'il n'y a une théorie que de la pratique analytique, et que c'est à partir de cette pratique que l'on peut inventer, construire la théorie de l'inconscient qui est congruente, qui va avec. Nous sommes évidemment toujours subrepticement conduits à faire directement la théorie de l'inconscient, de nous exprimer comme si nous la faisions. Je crois qu'il y a là un garde-fou que nous devons préserver: l'inconscient dont nous parlons, que nous nous efforçons de construire, n'est jamais que relatif à la pratique analytique. Donc, s'il s'agit de pensée chez Lacan, c'est bien en tant que pensée de cette pratique et de cette expérience qu'elle a son empan.

В этом отношении, позвольте сразу заметить, что фрейдовское бессознательное, которое служит ориентиром для Лакана в начале его учения, относится к практике. Бессознательное, структурированное как язык, является бессознательным строго в том, что касается аналитической практики. Это то, что побудит Лакана сформулировать, что не существует теории бессознательного как таковой, что существует только теория аналитической практики, и что именно исходя из этой практики мы можем изобрести, построить, конгруэнтную, согласующуюся с ней теорию бессознательного.

Je compte m'attaquer à la prévalence qui a été donnée au texte de "L'instance de la lettre" dans la compréhension de l'enseignement de Lacan. Ce texte semble avoir fixé l'idée qu'on a pu se faire de la structure de langage. C'est bien sûr dans cette direction que l'on s'est posé des questions à partir du rapport de Rome – Qu'en est-il donc de la structure de langage? – et on peut dire que Lacan a donné une réponse robuste, simple et presque indirectement analytique avec "L'instance de la lettre". Il y a comme une stase sur ce texte, comme s'il donnait la clef de l'enseignement de Lacan. Vous savez qu'il y a des gens à qui cette opposition de la métaphore et de la métonymie a tellement plu qu'ils se sont arrêtés là. Depuis 1957, depuis presque plus de vingt ans, ils commentent "L'instance de la lettre". Ils en font des volumes beaucoup plus épais que ce mince petit texte, ils retrouvent la métaphore et la métonymie partout. Un couple de concept est toujours très dangereux, puisqu'on peut toujours tout structurer à partir de deux concepts. Vous avez, par exemple, le dedans et le dehors, grâce à quoi vous pouvez construire une conception du monde à peu de frais. Tout se cadre avec aisance dans un double de cet ordre.

"L'instance de la lettre" semble donc avoir refermé la problématique ouverte à l'époque par le rapport de Rome. Je ne sais pas à quoi je pourrais comparer ce texte de Lacan dans l'oeuvre de Freud. Peut-être la place qu'a pu occuper dans la compréhension de Freud les Trois essais sur la théorie de la sexualité, lorsqu'on a voulu finalement organiser tout Freud à partir d'une théorie du développement. On pourrait penser aussi à la place qui a été donnée par l'egopsychology au texte du Moi et du ça pris comme principe de compréhension de toute l'oeuvre de Freud. "L'instance de la lettre" a fixé dans les esprit l'idée que tout était signifiant dans l'expérience analytique. De la même façon qu'on parle du tout-nucléaire pour l'équipement énergétique de notre pays, on s'est imaginé qu'on était là dans le tout-signifiant. Il est tout à fait approprié de s'exprimer ainsi, puisque c'est bien la question énergétique qui est là le point décisif, le point occulté. Je vous le montrerai dans une citation de Lacan qui est tout à fait précise.

Ce que nous voulons faire en suivant cette trace, c'est retrouver les questions de Lacan lui-même. Il faut les retrouver parce qu'il ne les formule pas lui-même. De la même façon qu'il procède dans son enseignement d'une façon continuellement assertive, on peut dire qu'il ne met pas au premier plan les questions qui se posent à lui. Il en met d'autres dont il a la réponse dans la séance ou dans la séance suivante. C'est une des difficultés propres de cet enseignement. Nous avons tout lieu de penser qu'il était parfaitement averti de ce qu'il laissait dans un second plan, à savoir ces questions qui étaient justement le moteur de son interrogation. Il faut bien supposer qu'il n'était pas satisfait des réponses qu'il donnait, puisqu'il a continué pendant trente ans à poursuivre la recherche de réponses ou de constructions nouvelles. Si nous admettons que cette recherche est authentique, qu'elle n'était pas faite simplement parce qu'il était un enseignant professionnel, il faut bien penser que son travail n'a pas amorti son tracas théorique, son tracas de penser.

Ce qui a toujours finalement fait problème pour Lacan lui-même en ce qui concerne cette théorie du tout-signifiant, c'est la question – je ne vais faire aujourd'hui que l'évoquer – de la pulsion. Est-ce que la pulsion trouve à se situer dans le cadre du tout-signifiant? Il ne faut pas croire que la réponse de Lacan a été univoque sur ce point. Ce concept de pulsion est même un curseur très intéressant à suivre. N'oubliez pas que Lacan commence à enseigner en trouvant devant lui les concepts freudiens tout faits, et que son problème est de rendre compte de ces concepts à partir de l'axiome de l'inconscient structuré comme un langage. Pour certains, ça va très bien, mais pour d'autres, c'est un peu plus difficile. Les concepts de Freud sont donnés dès le départ, ils sont là, et Lacan, à partir de son axiome, balaye ce champ. Certains des concepts freudiens trouvent très facilement à se placer et à s'éclairer, mais d'autres font une difficulté plus constante, sont plus résistant à ce laser qu'est cet inconscient structuré comme un langage. Ils ne se laissent pas traverser, percer de la même façon. Ce sont ces problèmes rencontrés dans cette relecture de Freud qui font naître des concepts proprement lacaniens. C'est à partir de ces difficultés mêmes, que des perles comme le désir – qui n'est pas un terme strictement freudien –, que le terme de demande ou celui de jouissance trouvent leur exigence.
Le terme de pulsion est spécialement un de ces termes qui font difficulté. Prenons par exemple, page 469 des Ecrits, le texte qui s'appelle "Situation de la psychanalyse en 1956". Lacan écrit: "pour supporter le langage l'homme y engouffre bien plus que son âme: ses instincts mêmes dont le fond ne résonne en profondeur que de répercuter l'écho du signifiant." Il y a évidemment toujours beaucoup de choses dans une phrase de Lacan, mais relevons et prenons au sérieux ce engouffrer ses instincts. Ca suppose, bien entendu, que l'on ait préalablement une définition de l'instinct, à savoir qu'il y a, préalablement à cette entrée dans le signifiant, dans le langage, un statut instinctuel pour l'homme, qui se trouve, cet homme, ensuite engouffrer ses instincts dans le langage. On voit bien que le terme de pulsion est là situé – et c'est constant pendant tout un temps de l'enseignement de Lacan – comme une significantisation de l'instinct, et même, d'une manière plus générale, comme une significantisation de l'organique. Ca suppose un terme préalable, à savoir que l'instinct, la fonction organique, soit le soubassement de ce qui ensuite apparaît comme pulsion. A cet égard, la pulsion est un terme qui semble trouver sa définition par le signifiant.

Le texte où Lacan s'explique le plus clairement à ce sujet dans les Ecrits, c'est la "Remarque sur le rapport de Daniel Lagache", qui est un texte qui se consacre spécialement au texte de Freud intitulé Le Moi et le ça, et précisément au concept freudien du ça. Nous avons là, entre la page 656 et 667 des Ecrits, quelques pages de Lacan consacrées au ça et à la pulsion. Ce n'est pas exactement l'os de mon propos d'aujourd'hui mais je vous prépare à une phrase de Lacan, une phrase qui est dans ces pages.

Lacan part de trois propositions qu'il extrait de Freud à propos du ça et des pulsions, et, ces propositions, il les montre être mal accordées ensemble. La première proposition, c'est celle qui insiste sur l'inorganisation qui préside au ça. La seconde est celle qui relève qu'il n'y a pas de négation dans l'inconscient. Et la troisième est celle qui fonde chez Freud le silence des pulsions. Lacan considère donc ces trois propositions comme mal accordées. Page 657, il les énumère, et puis, page 658, il nous dit que cette théorie freudienne sur les pulsions n'est pas harmonieuse, n'est pas déductive mais éclatée, à savoir que si on développait chacune de ces trois propositions, elles auraient des implications contraires. Ces propositions ne vont pas ensemble.

La suite du texte de Lacan consiste à démontrer que la proposition de l'inconscient structuré comme un langage est celle qui permet de rendre compte de ces trois propositions à la fois. La complexité du style ne doit pas nous cacher la simplicité essentielle de cette démarche. Lacan dégage du texte de Freud les trois propositions sur la pulsion, et il pose que ces trois propositions ne vont pas ensemble, sauf à les lire à la lumière de l'inconscient structuré comme un langage, qui est la seule façon de les faire tenir ensemble et de comprendre que Freud ait pu les énoncer à la fois.

C'est une démarche tout à fait limpide. Voici ce qu'il écrit dans le troisième paragraphe de la page 658: "Pour nous, il nous semble que les difficultés mêmes à quoi ici bute chacun, nous confirment dans l'impossibilité où l'on est de se passer de la fonction du signifiant." C'est là le moment où il s'agit pour Lacan de démontrer la puissance de son axiome, et il le fait brillamment. Qu'est-ce que ça peut vouloir dire que cette instance est inorganisée et systématique? Seul le signifiant peut en rendre compte, et Lacan en donne l'exemple avec le loto, les pièces d'un loto. Quand vous avez des pièces de loto dans un sac, elles y sont dans le plus grand désordre, dans la plus grande inorganisation, mais, étant donné qu'elles sont prises dans la suite des nombres, il y a une organisation implacable qui git structurellement dans ce désordre. Autrement dit, l'exemple du loto, qui est un exemple de la chaîne signifiante prise dans sa matérialité, rend compte de la compatibilité d'un désordre complet et d'un ordre indestructible. Lacan oppose donc ici l'inorganisation réelle et l'organisation structurale qui préside à ce sac de loto.

De la même façon, s'agissant de l'absence de négation, Lacan trouve là l'occasion de rappeler que c'est toujours en termes grammaticaux que la pulsion est présentée par Freud, qu'elle est même déduite à partir de la grammaire, comme on le voit dans le texte "Pulsions et avatars des pulsions" dans la Métapsychologie. La pulsion, loin d'être une force aveugle, naturelle, instinctuelle, suit au contraire l'articulation grammaticale. Dès lors, si on la prend telle qu'elle figure dans sa nécessité chez Freud, elle ne peut être située ailleurs que dans un ordre de discours. Vous savez que c'est à propos de cette négation que Lacan développe des considérations plus amples sur l'énoncé et l'énonciation, et qu'il élucubre sur ce qui serait le signifiant primitif de la négation, à savoir le manque de signifiant, l'élision signifiante.

Enfin, troisièmement, s'agissant du silence des pulsions, Lacan le réinterprète à partir de la pulsion de mort, et il interprète la pulsion de mort elle-même à partir du rapport du sujet au signifiant, en tant que le signifiant constitue par lui-même une mortification du sujet. Le sujet est véhiculé dans le signifiant comme déjà mort – thèse qui figure déjà dans le rapport de Rome. Le signifiant, par le fait même qu'il va dans sa permanence dépasser les limites biologiques de l'individu, par le fait même de cette fonction d'éternisation, est en même temps en lui-même mortifiant.

C'est un rappel pour montrer comment Lacan s'applique là – c'est comme un devoir – à nous montrer comment son axiome de départ permet de lire et de rendre compte de Freud, permet de le mettre en ordre. Il n'y a pas de meilleur exemple que celui-là, puisque Freud lui-même dégage trois propositions désaccordées. C'est donc le signifiant qui apparaît être la clef de la théorie des pulsions. C'est la métonymie même de la chaîne signifiante qui apparaît pouvoir rendre compte du déplacement des pulsions, de leur ex-sistence –– ce mot figure déjà dans ce texte qui est antérieur à 1960. C'est le signifiant qui rend compte du désordre des pulsions, du fait qu'elles ne sont pas harmonieusement intégrées dans l'être parlant. C'est le signifiant qui rend compte de la décomposition des pulsions, de la grammaticalité de leur présentation par Freud. Et c'est aussi le signifiant qui est supposé en même temps expliquer la pulsion de mort. Nous avons donc déjà présent ici le démontage de la pulsion - terme que Lacan reprend dans le Séminaire XI et qu'il image très joliment de façon surréaliste.
Or, tout ce que je viens de vous dire de l'effort de Lacan pour rendre compte de la pulsion par le signifiant, ne fait que donner tout son poids à cette note qui figure page 659 des Ecrits et qui nous met sur une autre piste que celle-là: "A partir de là on ne manquera pas d'être frappé de l'indifférence combinatoire, qui se démontre en fait du démontage de la pulsion selon sa source, sa direction, son but et son objet." Voilà une phrase qui a de quoi nous faire tiquer. Et Lacan continue: "Est-ce à dire que tout est là signifiant? Certes pas, mais structure." C'est une notation en passant et que nous ne comprenons plus dans le reste du texte. C'est au moment même où Lacan engage la refonte de la théorie freudienne des pulsions à partir de l'inconscient structuré comme un langage, qu'il y a cette note: "Est-ce à dire que tout est là signifiant? Certes pas, mais structure." Ca nous oblige à distinguer signifiant et structure. On ne peut pas poser que ces deux termes se recouvrent, au moins au niveau de cette remarque de Lacan.

On peut aussi noter la phrase qui termine ce paragraphe: "Aussi laissons- nous maintenant de côté son statut énergétique." Vous voyez pourquoi je ne trouvais pas déplacé de parler du tout-signifiant comme du tout-nucléaire. Ce que dit Lacan là, c'est que la pulsion ne fonctionne pas au tout-signifiant, même si parler de statut énergétique de la pulsion n'est évidemment pas la meilleure façon de l'exprimer, comme nous le montrera la suite de l'enseignement de Lacan. Ce qui fait ici manque dans ce texte, ce dont ne dispose pas Lacan, c'est l'objet a, qui est précisément ce qui là n'est pas signifiant mais continue pourtant d'être structure, d'être partie prenante de la structure.

Je sollicite ce texte et je vais encore vous amener d'autres phrases comme ça, d'autres phrases précieuses de Lacan. C'est une invitation, quand on se règle sur l'axiome de l'inconscient structuré comme un langage, à ne pas traduire le terme de structure en termes signifiants, à considérer que ce concept de structure est plus large que ce qui comporte le signifiant.

On peut évidemment comprendre que l'erreur ait été faite par le lecteur. Vous pouvez prendre, dans le Séminaire III, la définition que Lacan propose à un moment de la structure. C'est la fin des années 50 et il y avait à Paris des colloques, dans les milieux choisis, sur cette question de la structure. Ca préparait la poussée publique de ce concept qui a ensuite rallié les masses. On commençait donc à se réunir et à questionner Lévi-Strauss, pour savoir vraiment ce qu'il entendait par là, qu'est-ce qu'on pouvait en faire, etc. Dans cette passion définitionnelle qui animait à cette époque quelques cercles choisis de Paris, je crois que Lacan a dû être sollicité de venir donner son idée sur la structure, et je pense que ce qu'on trouve dans ce Séminaire III est un écho de ce genre de débat. Ca doit être autour des chapitres XIV et XV, et l'on voit Lacan recouvrir complètement structure et signifiant, comme si la structure était une autre façon de parler d'organisation signifiante, de système signifiant. Ceci pour dire que nous parlons ici de passages très minces auxquels nous ne sommes plus familiarisés, que nous ne voyons plus, mais qui ont toute leur importance comme témoignages d'une avancée dans l'enseignement de Lacan.

Cette idée de rendre compte de la pulsion par le signifiant, elle est présente très longtemps chez Lacan. Si vous regardez dans "Subversion du sujet et dialectique du désir", à la page 817 des Ecrits, vous voyez que vous avez le commentaire de l'écriture que Lacan avait choisie pour la pulsion: ($ <> D). Je supplie vraiment qu'on se souvienne - je supplie parce que c'est ma faute – qu'il faut lire cette écriture de ($ <> D) ou de ($ <> a): S barré poinçon grand D et non S barré poinçon de grand D, et S barré poinçon petit a et non S barré poinçon de petit a. C'est moi qui ait fait l'erreur dans le Séminaire XI. Il n'y a aucune raison de dire poinçon de petit a, puisque ça peut se lire dans les deux sens. Depuis que j'ai fait cette erreur, tout le monde le dit comme ça, et je n'arrive pas, bien que j'en saisisse l'occasion à chaque fois, à arrêter ça. Je pense que dans un Séminaire où ce mathème figurera à nouveau, il faudra le remettre entre parenthèses, pour espérer détruire cette lecture que j'ai encore entendue à l'Ecole de la Cause freudienne il y a deux soirs.

Идея введения влечения через означающее присутствует у Лакана очень давно. Если вы посмотрите «Ниспровержение субъекта и диалектику желания» на странице 817 Écrits, вы увидите, что у вас есть комментарий к записи, которую Лакан выбрал для влечения: ($ <> D). Я очень прошу запомнить – я прошу, потому что это моя вина – что следует читать запись ($ <> D) или ($ <> a): S перечеркнутое большое D, а не S перечеркнутое пуансон от большого D, и S перечеркнутое пуансон маленькое a, а не S перечеркнутое пуансон от маленького a. Это я сделал ошибку на XI Семинаре. Нет причин говорить «пуансон от маленького а», так как её можно читать в обоих направлениях.

Je vous renvoie donc à la page 817, et vous voyez que la pulsion y est encore déduite de la demande, c'est-à-dire d'une fonction éminemment signifiante. Cette pulsion est construite comme une réduction de la demande à ce qui est l'essentiel de la chaîne signifiante, à savoir la coupure signifiante. La pulsion est strictement la réduction de la demande à la coupure, à la coupure comme essence de la chaîne signifiante. Nous avons là la même mise en place que celle que je vous ai donnée un peu plus tôt, à savoir que la pulsion suppose un élément organique préalable qui se trouve modifié par l'incidence du signifiant. C'est là le schéma qui fonctionne ensuite dans les textes de Lacan sur la pulsion. Il y a d'abord un niveau organique qui a sa consistance, puis qui se trouve modifié par l'incidence du signifiant, et d'où émerge alors la pulsion. Nous avons ça à toutes les lignes dès que Lacan parle de la pulsion. Autrement dit, ce qui est encore au premier plan dans ce texte tardif des Ecrits, c'est la fonction signifiante, puisque ce dont il s'agit dans la coupure n'est rien d'autre que l'instance du signifiant. C'est encore un effort pour rendre compte de la pulsion à partir du tout-signifiant.

Page 818, Lacan commente son Graphe - l'écriture de la pulsion figure au point de croisement, en haut, sur la droite – et il rend compte de ce qu'il appelle la chaîne supérieure du Graphe en posant qu'elle est constituée de signifiants, "autrement dit en termes de pulsion". Vous avez cette équivalence page 818. Il ne s'agit pas là de démonstration, il s'agit d'une équivalence qui passe par la phrase: "dans les signifiants constituants de la chaîne supérieure, autrement dit en termes de pulsion". Je n'essaye pas de vous expliquer le texte, je vous fais relever simplement que l'on peut juxtaposer ces deux expressions: "signifiants constituants de la chaîne supérieure" et "en termes de pulsion". Je dirai que c'est là la pointe de l'effort de Lacan dans la lancée du rapport de Rome.

C'est en même temps ce qui nous explique la portée que nous pouvons donner à l'écrit de Lacan qui est juste postérieur à cette "Subversion du sujet", qui s'appelle "Position de l'inconscient", et dont la dernière phrase, page 850, dit au contraire: "On mesurera l'obstacle que nous avons ici à rompre au temps qu'il nous a fallu pour donner au discours de Rome la suite de ce texte." C'est la phrase sur laquelle je me suis arrêté la dernière fois, et qui nous alerte sur ceci, que Lacan prend tout ce qu'il a enseigné depuis le rapport de Rome dans une même parenthèse, hors de laquelle il situe ce texte de 1964 qui s'appelle "Position de l'inconscient" et qui est contemporain des Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. C'est effectivement une phase de rupture dans l'enseignement de Lacan, comme dans sa position dans la société analytique de son temps.

Vous voyez donc vers quoi je tends. Je tends à creuser cette faille qui partage en deux l'enseignement de Lacan, ce qui précède 64 et ce qui suit – le débat se faisant autour de ce tout-signifiant. Il y a d'ailleurs, dans le Séminaire XI, une phrase qui le dit en toutes lettres. Je n'ai pas apporté ici le Séminaire XI mais je vais vous la dire de mémoire. C'est en haut de la page 117: "la novation à laquelle j'ai fait allusion, et qui se nomme rappel du champ et de la fonction de la parole et du langage dans l'expérience analytique, ne prétend pas être une position d'exhaustion par rapport à l'inconscient." C'est une phrase qui est de nature à faire vaciller la compréhension que l'on a de Lacan. C'est une phrase qui va avec celle de la fin de "Position de l'inconscient", page 850 des Ecrits. Il faut les juxtaposer pour comprendre ce dont il s'agit pour Lacan, et ce dont il doit s'agir pour nous maintenant dans notre effort pour réveiller cet enseignement. Il nous faut mesurer là ce qu'il a franchi.

A mon sens, ce qu'il a franchi, c'est "L'instance de la lettre". Ce dont il s'agit, c'est d'un dépassement de "L'instance de la lettre", le dépassement au moins de son apparence, dans la mesure où "L'instance de la lettre" semble précisément constituer le rapport de Rome, ce rapport qui s'intitule "Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse". "L'instance de la lettre" semble constituer le rapport de Rome dans une position d'exhaustion à l'endroit de l'inconscient et de l'expérience analytique. C'est de là que vient la popularité de ce texte.

Avant d'en arriver à ce qui nous occupe, c'est-à-dire à ce franchissement par Lacan de cette faille de 1964, qui constitue en même temps l'intégration de l'objet a dans son enseignement – objet qu'il faut réveiller afin de voir ce qu'il a comporté de nouveau pour Lacan lui-même – avant donc d'en arriver à ce moment de faille, je crois qu'il faut mesurer précisément la relation qui s'établit entre le rapport de Rome et "L'instance de la lettre", et cela non seulement en considérant l'articulation des textes, mais aussi bien l'articulation des concepts qui sont prévalents dans chacun. C'est à ça que nous allons précisément nous attacher maintenant: au chemin parcouru du rapport de Rome à "L'instance de la lettre", et à la relation des termes qui sont prévalents dans chacun.

Ces termes sont maintenant pour nous usés. Je crois que je peux vous démontrer très vite, si vous êtes de bonne foi, que vous ne savez plus ce que vous lisez quand vous lisez ces textes de Lacan. Il y a une époque où on pouvait dire qu'il faut les lire, mais je crois que nous sommes maintenant au- delà de ce moment. Il y a certainement des gens ici qui ne les ont pas lus, mais ce n'est pas la question. C'est une question d'époque. Il y a eu une époque où le mot d'ordre pouvait être: Lisez Lacan! Maintenant, le mot d'ordre, c'est: Relisez Lacan! C'est relire Lacan pour s'apercevoir qu'on ne l'a pas lu, qu'on ne l'a pas lu comme posant et résolvant des problèmes qu'on n'avait pas identifiés. Je peux vous le démontrer en deux coups de cuillère à pot. Est-ce qu'il y a ici des gens – il y en a certainement mais ceux-là peuvent se taire – qui font vraiment la différence quand ils lisent dans Lacan l'expression les lois de la parole et l'expression les lois du langage? Je crois que si vous y pensez honnêtement, vous avez plutôt tendance –– je parle pour moi aussi, puisque je me suis aperçu qu'il fallait systématiser ça – à lire les deux expressions comme équivalentes. Nous, nous sommes devant la masse contemporaine des Ecrits de Lacan et nous ne nous rendons pas compte de l'avancée que ça a représenté pour lui de passer d'une formule à l'autre.

Je dirai que si "L'instance de la lettre" a marqué un sommet pour les lecteurs de Lacan, c'est précisément parce que ce texte posait au premier plan, et de façon formelle, les lois du langage, ce que Lacan appelle dans ce texte les lois du langage – c'est une expression culottée, puisqu'il ne semble pas que soit une expression de linguiste –, alors que ce qui domine la construction antérieure du rapport de Rome, ce ne sont pas les lois du langage mais les lois de la parole.

De passer des lois de la parole à celles du langage, ça emporte une structuration tout à fait différente de l'inconscient. C'est là un franchissement essentiel, intérieur à la période de 1963-64. Nous, nous lisons les Ecrits tout d'un coup, nous avons ça comme un livre dont nous nous imaginons que la première page doit dire ce que dit la dernière. Ca nous paraît aller ensemble, être congruent. Or, ce sont là des lois qui sont tout à fait différentes. Les lois de la parole et les lois du langage, ça n'a rien à voir! Je dirai que tant que Lacan ne connaît dans son enseignement que les lois de la parole, il doit, étant donné son mode d'abord de l'expérience analytique qui est un abord épistémologique, situer ces lois de la parole dans l'inconscient. Il doit faire des lois de la parole la structure même de l'inconscient. Ce sont ces lois qui structurent le champ freudien, et en particulier s'agissant du désir. Et puis il y a une avancée – avancée que nous mesurons mal avec le recul – lorsque Lacan isole les lois du langage. Qu'est-ce qu'il isole comme lois du langage? Ce n'est pas sorcier: il isole métaphore et métonymie. Ce sont là, cette fois-ci, des lois du langage, et ce sont ces lois qu'il imputent à l'inconscient en tant qu'elles structurent le champ freudien. Ca a des conséquences, là encore, tout à fait essentielles s'agissant du désir. Tant que Lacan met au premier plan les lois de la parole, il définit le désir comme désir de reconnaissance. C'est seulement au moment où il isole les lois du langage, qu'il va définir le désir comme métonymie et non plus comme reconnaissance.

Пока Лакан ставит законы речи на первый план, он определяет желание как желание признания. Только когда он выделит законы языка, он определит желание как метонимию, а не как признание.
Ce passage-là a donc une incidence décisive dans notre petite vulgate psychanalytique où nous ne saisissons même plus ces oppositions. Ce passage va d'ailleurs avoir beaucoup de conséquences dans la théorie, parce qu'essayer de situer le phallus dans la dialectique du désir de la reconnaissance, c'est quand même plus difficile que de le situer dans le désir comme métonymie. Pendant tout un temps, effectivement, la problématique phallique ne trouvera pas à se loger dans l'abord de Lacan, du moins difficilement. Elle n'a pas sa place creusée d'emblée dans le premier abord de cet enseignement.

Vous voyez donc bien qu'il nous faut nous interroger d'abord sur ces lois de la parole qui ont été prévalentes pour Lacan et qui laissent ensuite la place aux lois du langage. Lorsque Lacan a fait une avancée, il ne balaye pas ce qu'il a fait avant, il le reformule, le resitue, le réinscrit, avec parfois quelques difficultés, quelques instabilités. Essayons alors de rapprocher l'objectif du microscope d'une façon fine sur cette définition du désir chez Lacan et sa place dans l'inconscient.

Que le désir inconscient soit désir de reconnaissance, c'est au départ presque une évidence pour Lacan. Il est même maintenant assez mystérieux pour nous de s'imaginer un Lacan pour qui le sujet présent dans son cabinet d'analyste était un sujet qui demandait à être reconnu, dont le désir demandait à être reconnu. C'est congruent avec une pratique de l'analyse tout à fait différente de celle qu'il a mise au point par la suite. Je dis la définition du désir mais elle emporte aussi bien le statut du sujet. Ces lois de la parole, telles que Lacan les place, sont des lois humanistes. Ce sont même des lois bibliques, d'un humanisme biblique. Le sujet dont il s'agit alors, c'est le sujet qui est soumis à ces lois jusqu'au fond de son être. Je dirai que c'est le sujet qui aspire éperdument à la reconnaissance comme n'importe quelle conscience de soi, comme la conscience de soi hégélienne qui aspire à recevoir son être de l'autre, par la médiation de l'autre. Les lois de la parole, ce sont des lois de médiation, et elles n'ont rien à voir comme telles avec les lois du langage qui sont métonymie et métaphore. La thèse de Lacan dans son premier enseignement, c'est que le désir de reconnaissance domine tout désir, qu'il y a peut-être des désirs au pluriel mais qu'en définitive, ce qui est le coeur, l'essence, la raison de tout désir, c'est le désir de reconnaissance en tant qu'il obéit aux lois de la parole.

Тезис Лакана в его первом учении состоит в том, что желание признания доминирует над всеми желаниями, это могут быть даже желания во множественном числе, но в конечном итоге то, что является сердцем, сущностью, причиной всякого желания – это желание признания, поскольку оно подчиняется законам речи.

Lacan est bien sûr obligé de rendre compte du fait que le désir freudien est indestructible. Comment en rend-t-il compte dans cette problématique? Comment feriez-vous, à partir des lois de la parole, pour rendre compte du fait que le désir inconscient est indestructible? C'est bête comme chou. La thèse de Lacan, c'est que le désir est indestructible parce qu'il n'est pas reconnu. La formule figure dans Lacan et elle laisse impliquer que si le désir était reconnu, il se détruirait. Dans cette perspective-là, c'est la non-reconnaissance du désir qui est le principe de l'inconscient.

Dès lors, dans quelle position est-ce que ça met l'analyste? Ca met l'analyste dans la position d'un médiateur, ça fait de l'analyse un exercice de médiation et de reconnaissance. Cette conception, cette conception que le désir est à reconnaître, a beaucoup de conséquences dans la pratique analytique. Il est tout à fait différent de dire que le désir est à reconnaître et que le désir est à interpréter. Ce n'est pas que Lacan ne parle pas d'interprétation à l'époque où il parle des lois de la parole, c'est que ce sont là deux accents tout à fait distincts. Le désir comme désir de reconnaissance est soumis aux lois de la parole, tandis que le désir comme désir à interpréter est soumis aux lois du langage, et c'est là un passage qui est à expliquer.

Je dirai que c'est seulement sur le fond de la destruction du concept hégélien de la reconnaissance que Lacan a importé dans la psychanalyse, qu'il a pu fonder sa distinction du désir et de la demande. Vous savez que ça conduisait à des formules tout à fait drôles, drôles pour nous qui l'avons entendu plus tard. Voyez comment Lacan, à l'époque du rapport de Rome, pouvait définir la folie. Il définissait toujours la folie à partir des lois de la parole, comme une parole qui est en infraction aux lois de la parole. Il définissait la parole folle comme en infraction avec les lois de la parole, c'est-à-dire comme une parole qui a renoncé à se faire reconnaître, et qui, par là, se trouve conjointe à un langage sans dialectique, puisque la seule dialectique que Lacan manie à ce moment-là est celle de la reconnaissance, qui veut qu'un sujet ne puisse trouver son être que par la médiation d'un autre sujet en tant qu'il le reconnaît. Lacan, dans le rapport de Rome, a très joliment cette formule, qui est de nature à nous faire tinter les oreilles: "La folie est un discours où le sujet est parlé plus qu'il ne parle." C'est comme cela qu'il définit la folie vers 1953. Vous savez que vers la fin des années 60, ça deviendra pour lui, au contraire, la définition du sujet supposé parlant, à savoir qu'il est bien plutôt parlé que parlant. Je veux dire que ce qu'il définit comme propre à la folie en 1953, sera au contraire tout à fait intégré à sa définition de tout sujet vers les années 60. Ca donnera finalement naissance à cette élégante solution de vocabulaire, à cette solution lexicale qui consiste à forger le terme de parlêtre, qui est à la fois l'être parlant et l'être parlé. C'est très joli et très économique que de dire parlêtre!

Vous voyez – je crois vous l'avoir montré – ce que se régler sur les lois de la parole implique de tout à fait différent de la suite de l'enseignement de Lacan. C'est là l'époque humaniste, relativement humaniste, de l'enseignement de Lacan. Ce caractère hégélien de sa construction est sensible dans une note en bas de page qui porte, dans le rapport de Rome, sur le lapin aveugle, ce lapin qu'il a rencontré dans la campagne lors d'une épidémie de myxomatose, et dont il dit qu'il suffit de l'avoir vu pour s'apercevoir que cette diminution de ses fonctions organiques le transforme quasiment en sujet. C'est là une proposition très hégélienne: le sujet est en déperdition, c'est l'épine dans la chair qui est le point d'accrochage du sujet. Introduire le sujet à partir d'une mutilation est quelque chose de tout à fait acceptable dans une problématique hégélienne.

Cette note est d'autant plus frappante qu'elle comporte que le lapin aveugle est vraiment celui qui vous regarde. S'il n'est pas aveugle, il ne vous regarde pas, il fiche le camp ou, s'il est dans une petite cage, il s'occupe de la feuille de salade que vous lui donnez. Il n'y a que le lapin aveugle qui est susceptible de vous regarder. Bien que nous soyons en 53, la différence de l'oeil et du regard est déjà présente dans cette construction.

Le désir exige d'être reconnu, nous dit donc Lacan en 53. Il exige d'être reconnu, que ce soit par l'accord de la parole, c'est-à-dire par le symbolique, ou que ce soit par la lutte de prestige, c'est-à-dire dans l'imaginaire. A cet égard, l'analyse n'est pas le passage de l'impuissance à l'impossible, comme il le dira plus tard, mais le passage de la reconnaissance imaginaire à la reconnaissance symbolique – ce qui stipule que la fin de l'analyse est un accord de la parole, que l'analyse se termine sur un pacte. Ce n'est pas là de la théorie pour de la théorie. Il est sensible que le point de départ de Lacan à partir de l'inconscient structuré comme un langage le conduit aux lois de la parole, et que ces lois de la parole le conduisent à ce qui paraît extravagant, antilacanien, à savoir s'imaginer que la fin de l'analyse serait de l'ordre du pacte. A cet égard, Lacan n'est pas lacanien. On s'en aperçoit dès qu'on regarde d'un peu près, au microscope.

Желание требует признания, говорит нам, следовательно, Лакан в 53-м. Оно требует признания, будь то устное соглашение, то есть Символическое, или борьба за престиж, скажем так, в Воображаемом. В этом отношении анализ – это не переход от бессилия к невозможному, как он скажет позже, а переход от воображаемого признания к символическому признанию, которое предусматривает, что конец анализа – это речевой пакт, и анализ заканчивается пактом.

Comment faut-il traiter cette histoire de reconnaissance du désir chez Lacan? Est-ce que c'est immédiatement une implication de l'inconscient structuré comme un langage? Ou est-ce que ce n'est pas plutôt une sorte de reste d'une théorie antérieure qu'il a soutenue? Ce qui pourrait nous faire pencher vers le second sens, c'est précisément qu'il ne dit pas autre chose à la page 181 des Ecrits, dans le texte qui s'appelle "Propos sur la causalité psychique", qui est d'avant le rapport de Rome, juste après la guerre. Il y dit d'une façon sobre, en se référant à Hegel, que "le désir de l'homme se constitue sous le signe de la médiation, il est désir de faire reconnaître son désir".

Dans le rapport de Rome, on n'a pas de nouveauté à cet égard. On a simplement, au début de l'enseignement de Lacan, de la glose sur ce point. On a simplement la répartition de ce désir sur le versant imaginaire et sur le versant symbolique. Il y a trop de références dans le rapport de Rome pour que je fasse autre chose que de les évoquer rapidement. Lacan va jusqu'à considérer que, nulle part plus clairement que dans le rêve, il n'apparaît que le discours de l'homme trouve son sens dans le désir d'un autre. Et pourquoi est- ce que le désir de l'homme trouve-t-il son sens dans le désir d'un autre? Eh bien, c'est parce que son premier objet est d'être reconnu par l'autre. C'est ça l'objet du désir au sens du premier Lacan. L'objet du désir, ce n'est pas là le petit a, la cause, etc. Le premier objet, c'est d'être reconnu par l'autre.

Que le désir de l'un suppose qu'il soit reconnu par l'autre, c'est évidemment un schéma dialectique qui ne trouve pas de meilleure représentation que ce qui fait la matrice du Graphe de Lacan. Cette dépendance du désir au désir de l'autre se prête tout à fait à cette représentation graphique. En effet, il faut voir que c'est de ce point que va persister, dans l'enseignement de Lacan, ce qu'on croit être sa marque propre, à savoir cette prévalence du désir de l'Autre, du discours de l'Autre, qui serait à même de définir l'inconscient comme tel. Tout cela vient de cette toute première position de Lacan. Tout l'intérêt est de savoir comment c'est remanié, comment les mêmes signifiants vont avoir un sens tout à fait différent dans la mutation de la problématique d'ensemble. C'est même ainsi que dans le rapport de Rome Lacan interprète le fort-da. Le fort-da est le moment même où le désir du petit d'homme devient le désir d'amour. Lacan lit le fort-da à partir de ce schéma-là. Vous vous rendez bien compte que ce fort- da va être relu par lui de façon extrêmement diverse ensuite.

Lacan peut évidemment évoquer la fin de l'analyse comme la reconnaissance et l'assomption du désir, mais il y a d'autres formules qui vont un peu dans un autre sens, des formules plus équivoques, comme quand il dit que "l'enjeu d'une psychanalyse est l'avènement dans le sujet du peu de réalité que ce désir soutient au regard des conflits symboliques et des fixations imaginaires". L'avènement du peu de réalité que le désir soutient, ça fait déjà partie, pour nous, de ces éléments qui sont sur le versant de l'objet a. Mais il faut vraiment aller les cueillir, puisque ce qui est tout à fait au premier plan reste la satisfaction du désir par la reconnaissance. Nous avons quand même, déjà présente, cette équivoque que ce désir, au sens propre, n'a pas d'objet, puisqu'il n'a comme objet que d'être reconnu par l'autre. Cet accent du peu de réalité est quelque chose que Lacan maintiendra toujours, et à quoi il donnera sa raison en posant que la réalité trouve foncièrement son cadre dans le fantasme. Pas toute la réalité, évidemment. Néanmoins, son cadre est donné par le fantasme et nous avons donc ce peu de réalité au niveau du désir. Mais ce peu de réalité n'a comme contenu que cette course du désir auprès de l'autre.

Lacan, pendant plusieurs années, a fait des variations de style autour de cette formule, comme si elle était indépassable. Je vous ai renvoyés au rapport de Rome, mais regardez le texte qui suit dans les Ecrits et qui s'appelle "Variantes de la cure-type". C'est le texte que Lacan écrit en même temps qu'il fait le Séminaire I. Il y dit que ce qui modèle le sujet, c'est le désir de faire reconnaître son désir, que l'être de l'homme est subordonné à la loi de la reconnaissance, que dans le désir "se vérifie" littéralement que le désir de l'homme s'aliène dans le désir de l'autre. Le terme de vérifie est amusant. C'est comme si Lacan vérifiait dans l'expérience analytique le schéma hégélien. Il va même jusqu'à dire – mais mettons un voile sur cette phrase – que le désir de reconnaissance est ce qui structure les pulsions découvertes par l'analyse, ce qui n'est vraiment pas lacanien.

Pour être complet – mais je ne le peux sur cette question – je dirai qu'il faut quand même s'apercevoir que ce désir, ce désir de la reconnaissance que Lacan ne rapporte pas du tout à la métaphore et à la métonymie, il est avant tout pour lui articulé aux formes imaginaires. Le désir de reconnaissance met en valeur la prévalence du narcissisme. C'est un thème constant à travers les Séminaires I, II et III. Ce n'est pas avec eux que vous pouvez deviner que le désir est une métonymie. Au contraire, si vous lisez le Séminaire I, il vous est sensible que le désir comme désir de reconnaissance est avant tout enveloppé par le narcissisme, que ses formes sont enveloppées par le narcissisme. Ce qui est là articulé par Lacan, ce n'est pas simplement la dépendance à l'endroit du symbolique, de cette chaîne symbolique qui tourne et dont on ne sort pas, dont nous sommes parasités, c'est aussi que nous sommes dans la dépendance de l'image du corps propre et du semblable, image qui donne le principe de constitution de tous les objets du délire.
Le point le plus délicat de cette position de travail de Lacan – ce n'est pas la position d'un mage, de quelqu'un qui sait déjà tout, mais la position de quelqu'un qui cherche et qui le cache bien, qui cherche sous la forme de trouver mais qui cherche - le point le plus délicat donc, ce qui fait là difficulté, c'est comment rendre compte de ce que ce désir de reconnaissance soit indestructible. Car s'il doit se satisfaire dans l'analyse d'être reconnu, en quoi serait-il indestructible? Regardez ce que Lacan écrit dans "La chose freudienne", page 431: "L'insistance répétitive de ces désirs dans le transfert et leur remémoration permanente dans un signifiant dont le refoulement s'est emparé, c'est-à-dire où le refoulé fait retour, trouvent leur raison nécessaire et suffisante, si l'on admet que le désir de la reconnaissance domine dans ces déterminations le désir qui est à reconnaître en le conservant comme tel jusqu'à ce qu'il soit reconnu." Autrement dit, la répétition dans le transfert et la remémoration dans le refoulement se fondent de ce que le désir soit en instance d'être reconnu.

Vous avez aussi la page 623 des Ecrits. Je vous la signale comme capitale, parce que par rapport à ce que je viens de vous dire, vous allez voir qu'elle marque une cassure dans le développement même de l'enseignement de Lacan. Qu'est-ce que Lacan dit, très joliment, dans cette page 623? Il dit ceci: "Le faire [le sujet] s'y retrouver [dans son désir] comme désirant, c'est à l'inverse de l'y faire se reconnaître comme sujet." Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire? Eh bien, ça vous est éclairé dans l'extraordinaire passage de la page 623 à la page 624: "L'une et l'autre démontrent que le rêve est fait pour la reconnaissance..., mais notre voix fait long feu pour achever: du désir. Car le désir, si Freud dit vrai de l'inconscient et si l'analyse est nécessaire, ne se saisit que dans l'interprétation. Mais reprenons; l'élaboration du rêve est nourrie par le désir; pourquoi notre voix défaille-t-elle à achever, de reconnaissance, comme si le second mot s'éteignait qui, tout à l'heure le premier, résorbait l'autre dans sa lumière." Si vous passez sur la façon extrêmement élégante dont s'est écrit, qu'est-ce que Lacan dit là? Il reprend l'expression de la reconnaissance du désir en se montrant lui-même – il se met en scène – en train d'écrire cette expression, et comme ne pouvant plus, au point où il en est, l'écrire. Lui-même dit que sa voix défaille à ajouter le mot de reconnaissance après celui de désir. Le désir de... mais sa voix défaille à ajouter le mot de reconnaissance. On peut dire que cette page 623 des Ecrits devrait être imprimée en lettres phosphorescentes, car c'est bien de cela dont il s'agit: quand un mot s'éclaire, il y en a un autre qui s'éteint. Ce n'est pas par hasard si Lacan prend précisément cette métaphore du fading.

Au fond, en 58, Lacan en termine avec tout un pan de son élaboration qui est le sien depuis cinq ans, et même au-delà, puisque, depuis l'après-guerre, il n'avait à la bouche que cette expression de reconnaissance du désir et du désir de reconnaissance. Même avant la guerre, c'est autour de ça, bien sûr, qu'il tournait. Ce sont donc les années 36-58 qui s'achèvent sur cette page. Vous voyez que ce n'était pas rhétorique de la part de Lacan que de parler de ses avancées. Son enseignement est fait de ces constructions et destructions continuelles. Il faut ce temps-là, 36-58, pour que se déclare de façon explicite l'antinomie des lois de la parole et des lois du langage. La position des lois du langage a déjà vocation, quand Lacan la produit, à démolir les lois de la parole, ou en tout cas leur incidence prévalente dans la structure du champ freudien. Et pour qu'il tire cette conséquence, il faut attendre encore combien de temps? "L'instance de la lettre" est de 1957, et le texte que je vous cite, "La direction de la cure", de 1958. Il faut donc attendre un an pour qu'il tire jusqu'au bout les conséquences de la chose. C'est là qu'il ne faut pas oublier, quand nous parlons de Lacan et surtout de son premier enseignement – tout cela se passe sur cinq ou sept ans –, qu'il n'arrête pas de mettre un pas devant l'autre. C'est nous, après, qui prenons ça comme une Bible, que ça n'est pas.

Je crois que j'ai quand même réussi à commencer ce cours de cette année, en vous montrant un autre relief de l'enseignement de Lacan, un autre relief que celui dont nous avons tendance à nous laisser bercer. Je continuerai dans cette veine la semaine prochaine.
Made on
Tilda