Ce qui est vrai, c'est que la dernière fois et la précédente ont été pour moi une sorte de sas. Vous savez que dans les sous-marins ou dans les vaisseaux spatiaux, on ménage, quand il y a des changements de pression, un intervalle qui s'appelle un sas. Eh bien, ce dont il s'agit est de cet ordre, parce qu'il y a, pour moi comme pour vous, une mutation du rapport à Lacan dont nous n'avons pas encore mesuré toutes les incidences. J'ai donc voulu faire sa part à une réflexion sur cette mutation, dont je ne me crois d'ailleurs pas quitte avec les deux séances précédentes.
J'aborde maintenant la suite qui est en même temps autre chose, autre chose qui me paraît tout à fait indispensable, et qui est une rectification de la lecture de Lacan. Ca ne doit pourtant pas être symétrique au slogan du "retour à Freud". Nous devons avoir le souci de ne pas nous imaginer que notre rapport à Lacan puisse être symétrique du rapport de Lacan à Freud. A côté de la rectification de la lecture, il doit s'agir pour nous, non pas d'un retour à Lacan, mais d'une réouverture de Lacan.
Я продолжу, но в тоже время это будет по другому, по другому, потому что мне это представляется совершенно необходимым, перейти к ректификации (rectification) чтения Лакана. Однако, это не должно быть симметричным девизу «возвращение к Фрейду». Нам нужно постараться не воображать себе будто наше отношение к Лакану может быть симметричным отношению Лакана к Фрейду. Со стороны ректификации чтения, речь должна идти для нас не о возвращении к Лакану, но о переоткрытии (réouverture) Лакана.
Il semble, en effet, que ce soit au cours de ses Séminaires longtemps hebdomadaires que s'est produit un amortissement du sens des termes et du vocabulaire de Lacan. Je veux dire que les termes de manque, de sujet barré, d'objet a sont autant de termes que nous avons inévitablement tendance à galvauder. Je crois donc indispensable de réveiller ces termes, de réacquérir ce qu'a pu par exemple présenter de nouveauté la disparition du sujet dans l'enseignement de la psychanalyse. Ce n'est pas quelque chose qui est acquis pour Lacan dès qu'il commence son enseignement, mais au contraire une conquête et une avancée de cet enseignement. Cela en est de même pour tous les autres termes qui ont eu du succès, comme le désir, la demande, la jouissance, dont l'usage, le nôtre, a amorti la pointe. Il me semble donc qu'il est maintenant nécessaire de procéder méthodiquement à un réveil de l'enseignement de Lacan, et c'est ce que je vais tenter ici pendant quelques séances.
Действительно, создается впечатление, что именно во время курсов еженедельных семинаров произошло смягчение значения (amortissement du sens) терминов и словаря Лакана. Я имею в виду, что термины нехватка, перечеркнутый субъект, объект а – это термины, которыми мы неизбежно склонны злоупотреблять. Следовательно, я полагаю, что важно пробудить эти термины, чтобы вернуть, новизну представления, например, термина исчезновение субъекта (la disparition du sujet) в преподавании психоанализа. Это не что-то, что является «достоянием» Лакана, как только он начинает свое учение, напротив, это завоевание и развитие этого учения. То же самое касается и других терминов, которые имели успех: желание, требование, наслаждение. Наше использование притупляет их остроту. Поэтому, мне кажется, что сейчас есть необходимость приступить к методическому возрождению учения Лакана, и это как раз то, что я собираюсь делать здесь в течение нескольких сеансов.
"Retour à Freud", il est amusant que ce soit sous ce slogan que s'est diffusée une novation dont l'axiome de base ne figure en aucune façon dans le texte même de Freud. Le "retour à Freud" est un slogan qui a recouvert comme un emballage ce dont il s'agissait, à savoir de démontrer que l'inconscient est structuré comme un langage. Il s'agissait d'ailleurs moins de le démontrer directement que de le poser comme un axiome de départ et d'en observer les conséquences, en particulier la remise en ordre que ça permet dans le texte de Freud et dans la pratique même de la psychanalyse. Il y a donc là un écart à mesurer entre ce "retour à Freud" et cet inconscient structuré comme un langage.
L'inconscient structuré comme un langage, c'est un maître-mot, c'est un dit de Lacan, comme on parle du dit d'Anaximandre. C'est un dit qui continue de dominer l'époque où nous sommes. Tant qu'un autre dit ne se sera pas substitué à celui-là, nous serons toujours dans l'époque de Lacan. La disparition physique de celui qui l'a énoncé ne change rien à ce fait. Nous sommes toujours dans cette époque, même si ce qui a été promu comme lecture de Freud et comme mise en ordre de Freud, à savoir l'egopsychogy, qui fait couple avec ce "retour à Freud" lacanien, n'est plus qu'un socle assez sédimenté de la psychanalyse d'inspiration anglo-saxonne. Nous aurons d'ailleurs à revenir sur cette egopsychology, sur ses textes fondateurs, qui sont loin d'être sans intérêt et qui sont ce par rapport à quoi Lacan a cru pouvoir formulé en son nom propre un enseignement.
On peut dire que la notion de ce qu'implique la structure de langage domine tout l'enseignement de Lacan. C'est au point qu'on s'est imaginé que le de pouvait être élidé, mis entre parenthèses, que l'on pouvait passer de structure de langage à structure langage. Ca a choqué quelques-uns que je traite, la fois dernière, Lacan de penseur, à partir d'un texte de Heidegger où j'ai prélevé le terme d'être pour y substituer celui d'inconscient. Ca a choqué parce qu'on s'est imaginé que je pouvais ainsi méconnaître que Lacan s'occupe de la pratique analytique. Ce n'est évidemment pas mon intention, sauf que cette pratique, telle que Lacan la situe, comporte une certaine indépendance relative par rapport à la théorie analytique. C'est cette indépendance relative de la pratique par rapport à la théorie qui donne toute son importance à la saisie du dispositif analytique, à sa rigidité en tant que telle, et j'oserai dire indépendamment de la théorie que le praticien arrive à s'en faire.
C'est là précisément la thèse de Lacan. Dans la première séance du Séminaire XI, il s'occupe de ce qui définit une praxis. Ce qui définit une praxis, c'est - il le dit d'une façon très fulgurante – le traitement du réel par le symbolique, la part d'imaginaire qui s'y trouve inscrite n'important pas. Ca veut dire qu'une pratique n'a pas besoin d'être éclairée pour fonctionner. C'est précisément par cette indépendance relative de la théorie et de la pratique que le dispositif freudien prend son importance. La psychanalyse, pour nous aujourd'hui, pour nous qui n'avons pas à l'inventer, nous savons qu'il s'y passe des choses. Il suffit de s'être prêté à ce dispositif pour ne pouvoir en douter. Comme le formule Lacan dans le Séminaire XI, le fait que la psychanalyse soit une expérience n'en fait pas pour autant une science, puisqu'on peut aussi bien parler légitimement d'expérience mystique. Vous savez qu'à l'époque où il fait ce Séminaire XI, Lacan s'occupe de la question de savoir si la psychanalyse est une science, de savoir quelle place elle peut occuper par rapport à la science, et qu'il donne une réponse finale, à savoir que la psychanalyse n'est pas une science.
Это в точности тезис Лакана. На первом сеансе XI Семинара он разбирается с тем, что определяет праксис. То, что определяет праксис – он блестяще об этом говорит – воздействие на реальное с помощью символического, в котором вписанная в него часть воображаемого не играет особой роли. Это означает, что для того, чтобы функционировать практика в прояснении не нуждается. Именно благодаря этой относительной независимости теории и практики фрейдовский диспозитив обретает свое значение. Психоанализ, для нас сегодня, для нас, которым не нужно его изобретать, мы знаем, что там что-то происходит. Достаточно принять участие в этом диспозитиве, чтобы не сомневаться. Как формулирует Лакан в XI Семинаре, тот факт, что психоанализ – это опыт, не обязательно делает его наукой, поскольку с таким же успехом можно говорить о мистическом опыте. Вы знаете, что во время проведения XI Семинара XI Лакан был озабочен вопросом о том, является ли психоанализ наукой и тем, какое место он может занять по отношению к науке, и он дал окончательный ответ, а именно, что психоанализ наукой не является.
Ce qui est venu à la place de cette question, c'est un accent porté sur le dispositif freudien. Mais le concept que Lacan, lui, a forgé à la place de la question de savoir si la psychanalyse est une science, et pour répondre à cette donnée de l'indépendance relative de sa théorie et de sa pratique, c'est le concept de discours, de discours analytique, qui inscrit l'expérience analytique en tant qu'elle est structurée et par quoi elle s'oppose à d'autres types de discours. Par là, il a complètement déplacé ce qui était une problématique traditionnelle, à savoir le partage entre théorie et pratique, entre science et non-science. Je dirai que c'est à la place des distributions traditionnelles de l'épistémologie, et en les bouleversant, que Lacan a introduit ce terme de discours.
Скажу лишь, что это вместо решения традиционных задач эпистемологии, и спутав ей карты, Лакан ввел термин дискурс.
A cet égard, l'inconscient freudien, qui sert d'index à Lacan dans le début de son enseignement, remarquons bien d'emblée qu'il est relatif à une pratique. L'inconscient structuré comme un langage, c'est strictement l'inconscient en tant qu'il est relatif à la pratique analytique. C'est ce qui conduira Lacan à formuler qu'il n'y a pas de théorie de l'inconscient comme tel, qu'il n'y a une théorie que de la pratique analytique, et que c'est à partir de cette pratique que l'on peut inventer, construire la théorie de l'inconscient qui est congruente, qui va avec. Nous sommes évidemment toujours subrepticement conduits à faire directement la théorie de l'inconscient, de nous exprimer comme si nous la faisions. Je crois qu'il y a là un garde-fou que nous devons préserver: l'inconscient dont nous parlons, que nous nous efforçons de construire, n'est jamais que relatif à la pratique analytique. Donc, s'il s'agit de pensée chez Lacan, c'est bien en tant que pensée de cette pratique et de cette expérience qu'elle a son empan.
В этом отношении, позвольте сразу заметить, что фрейдовское бессознательное, которое служит ориентиром для Лакана в начале его учения, относится к практике. Бессознательное, структурированное как язык, является бессознательным строго в том, что касается аналитической практики. Это то, что побудит Лакана сформулировать, что не существует теории бессознательного как таковой, что существует только теория аналитической практики, и что именно исходя из этой практики мы можем изобрести, построить, конгруэнтную, согласующуюся с ней теорию бессознательного.
Je compte m'attaquer à la prévalence qui a été donnée au texte de "L'instance de la lettre" dans la compréhension de l'enseignement de Lacan. Ce texte semble avoir fixé l'idée qu'on a pu se faire de la structure de langage. C'est bien sûr dans cette direction que l'on s'est posé des questions à partir du rapport de Rome – Qu'en est-il donc de la structure de langage? – et on peut dire que Lacan a donné une réponse robuste, simple et presque indirectement analytique avec "L'instance de la lettre". Il y a comme une stase sur ce texte, comme s'il donnait la clef de l'enseignement de Lacan. Vous savez qu'il y a des gens à qui cette opposition de la métaphore et de la métonymie a tellement plu qu'ils se sont arrêtés là. Depuis 1957, depuis presque plus de vingt ans, ils commentent "L'instance de la lettre". Ils en font des volumes beaucoup plus épais que ce mince petit texte, ils retrouvent la métaphore et la métonymie partout. Un couple de concept est toujours très dangereux, puisqu'on peut toujours tout structurer à partir de deux concepts. Vous avez, par exemple, le dedans et le dehors, grâce à quoi vous pouvez construire une conception du monde à peu de frais. Tout se cadre avec aisance dans un double de cet ordre.
"L'instance de la lettre" semble donc avoir refermé la problématique ouverte à l'époque par le rapport de Rome. Je ne sais pas à quoi je pourrais comparer ce texte de Lacan dans l'oeuvre de Freud. Peut-être la place qu'a pu occuper dans la compréhension de Freud les Trois essais sur la théorie de la sexualité, lorsqu'on a voulu finalement organiser tout Freud à partir d'une théorie du développement. On pourrait penser aussi à la place qui a été donnée par l'egopsychology au texte du Moi et du ça pris comme principe de compréhension de toute l'oeuvre de Freud. "L'instance de la lettre" a fixé dans les esprit l'idée que tout était signifiant dans l'expérience analytique. De la même façon qu'on parle du tout-nucléaire pour l'équipement énergétique de notre pays, on s'est imaginé qu'on était là dans le tout-signifiant. Il est tout à fait approprié de s'exprimer ainsi, puisque c'est bien la question énergétique qui est là le point décisif, le point occulté. Je vous le montrerai dans une citation de Lacan qui est tout à fait précise.
Ce que nous voulons faire en suivant cette trace, c'est retrouver les questions de Lacan lui-même. Il faut les retrouver parce qu'il ne les formule pas lui-même. De la même façon qu'il procède dans son enseignement d'une façon continuellement assertive, on peut dire qu'il ne met pas au premier plan les questions qui se posent à lui. Il en met d'autres dont il a la réponse dans la séance ou dans la séance suivante. C'est une des difficultés propres de cet enseignement. Nous avons tout lieu de penser qu'il était parfaitement averti de ce qu'il laissait dans un second plan, à savoir ces questions qui étaient justement le moteur de son interrogation. Il faut bien supposer qu'il n'était pas satisfait des réponses qu'il donnait, puisqu'il a continué pendant trente ans à poursuivre la recherche de réponses ou de constructions nouvelles. Si nous admettons que cette recherche est authentique, qu'elle n'était pas faite simplement parce qu'il était un enseignant professionnel, il faut bien penser que son travail n'a pas amorti son tracas théorique, son tracas de penser.
Ce qui a toujours finalement fait problème pour Lacan lui-même en ce qui concerne cette théorie du tout-signifiant, c'est la question – je ne vais faire aujourd'hui que l'évoquer – de la pulsion. Est-ce que la pulsion trouve à se situer dans le cadre du tout-signifiant? Il ne faut pas croire que la réponse de Lacan a été univoque sur ce point. Ce concept de pulsion est même un curseur très intéressant à suivre. N'oubliez pas que Lacan commence à enseigner en trouvant devant lui les concepts freudiens tout faits, et que son problème est de rendre compte de ces concepts à partir de l'axiome de l'inconscient structuré comme un langage. Pour certains, ça va très bien, mais pour d'autres, c'est un peu plus difficile. Les concepts de Freud sont donnés dès le départ, ils sont là, et Lacan, à partir de son axiome, balaye ce champ. Certains des concepts freudiens trouvent très facilement à se placer et à s'éclairer, mais d'autres font une difficulté plus constante, sont plus résistant à ce laser qu'est cet inconscient structuré comme un langage. Ils ne se laissent pas traverser, percer de la même façon. Ce sont ces problèmes rencontrés dans cette relecture de Freud qui font naître des concepts proprement lacaniens. C'est à partir de ces difficultés mêmes, que des perles comme le désir – qui n'est pas un terme strictement freudien –, que le terme de demande ou celui de jouissance trouvent leur exigence.