Жак-Ален Миллер , курс 1981-1982 гг
Скандирования в учении Лакана // Диалектика желания и фиксированность фантазма
22 сеанс, 2 июня 1982

Жак-Ален Миллер , курс 1981-1982 гг
Скандирования в учении Лакана // Диалектика желания и фиксированность фантазма
22 сеанс, 2 июня 1982
On a organisé, à Bordeaux, une réunion dans le cadre de l'Ecole de la Cause freudienne, où il y avait bien d'autres personnes que les membres de ladite Ecole, puisqu'il y avait là, je crois pour la première fois dans cette ville, près de cent-cinquante personnes, ce qui témoignait de l'extension de l'audience de cette Ecole. Comme j'ai été amené à parler devant une très grande majorité de gens qui ne suivent pas ce cours, j'en ai donné, non pas un résumé, mais ce qui pour moi en est le relief. Par là, je suis déjà passé de l'autre côté de cette année universitaire, année où mon souci a été de restituer ce qui est finalement la part majeure de l'enseignement de Lacan, cette part qui ne se réduit pas à "L'instance de la lettre". C'est par là que j'ai commencé et je crois que ce que j'ai dit cette année peut prétendre à être démonstratif.

L'effort de Lacan lui-même a certainement été de se resituer par rapport aux avancées que constituaient ses premières années d'enseignement. Le problème qui l'a animé depuis 1957, est celui qu'il a reévoqué dans les termes très épurés de 1977: Comment se peut-il qu'à partir du symbolique on touche au réel? La question apparaît lorsque le point de vue trop simple du rapport de Rome est mis en question. C'est un point de vue qui en définitive réduit le réel au symbolique, et spécialement s'agissant du symptôme. Le réel du symptôme - je le dis sous réserve d'inventaire - est suffisamment méconnu dans le rapport de Rome pour qu'il puisse y être envisagé de lever le symptôme par la fonction de la parole, comme si le symptôme pouvait se défaire sans reste. On peut s'apercevoir que tout bascule dès que Lacan formalise la thèse du rapport de Rome dans "L'instance de la lettre", dès qu'il formalise les lois du langage, et qu'il donne aux lois de la fonction de la parole leur répondant dans la structure du langage avec la métaphore et la métonymie.

On voit là que Lacan s'oppose à lui-même, et c'est de là que prend toute sa valeur la théorie de l'objet a, théorie qui l'occupera entièrement, au point de dire que c'était là sa découverte. On peut résumer les efforts de Lacan dans ses Séminaires successifs qui, bien sûr, constituent autant d'avancées, mais qui cernent en définitive toujours le même point. Ce qui fait les avancées de Lacan, mais aussi son ressassement, c'est l'effort pour expliquer en quoi l'analyste, opérant par la fonction de la parole dans le champ du langage, peut obtenir une modification qui touche au réel de l'objet, au réel de la jouissance.

La place essentielle qu'occupe la passe dans son enseignement tient précisément à ça. La passe est l'expression de l'espoir de Lacan, qu'en opérant à partir du signifiant, on puisse obtenir une modification au niveau de l'objet. C'est pourquoi la passe n'est pas simple. Je veux dire qu'elle est double. Elle est supposée se produire quand le chemin que poursuit le sujet au niveau de la pensée inconsciente se croise avec ce qui peut se produire au niveau du fantasme. C'est pourquoi il y a dans la passe entrecroisement et chiasme entre ces deux registres.

Qu'est-ce que Lacan a voulu dire quand il a parlé de l'échec de la passe? A-t-il voulu seulement parler de l'échec de la passe comme procédure dans son Ecole? – Ecole où il faut dire que, malgré la passion que cette passe suscitait, on a fait l'impasse sur la structure qui la soutient. C'est au point que ce que je rappelle là de l'enseignement de Lacan, peut passer pour une nouveauté, tout au moins une nouveauté dans son accent. Est-ce que Lacan a seulement souligné l'échec de la passe comme procédure? Ou est-ce qu'il a aussi désigné cet échec comme théorie qui vise à articuler l'incidence du symbolique sur le réel? Je ne me pose évidemment pas cette question sans précautions, et même sans réticences, puisque c'est le pivot de l'institution analytique dont je me réjouissais du succès en commençant ce cours. La passe est un pivot de l'Ecole de la Cause freudienne.

Il faut aller jusque-là, puisqu'en 77 – et c'est cela qui a justement fait son pessimisme – ça paraissait une idée folle à Lacan que d'espérer agir sur le réel à partir du symbolique. C'est de là qu'il a appelé de ses voeux un signifiant nouveau. J'encadre là quelques vingt années de son enseignement, de 1957 à 1977. Lacan nous a laissés sur cette question-là. On peut même dire que si ce signifiant nouveau n'arrive pas – il ne peut tomber du ciel, il faut le produire –, eh bien nous serons mal en point. Lacan nous laisse sur la question de fond de son enseignement, la question même dont la première solution a donné, avec le rapport de Rome, le départ de cet enseignement. Nous sommes donc à chercher du nouveau. Nous ne pouvons pas nous reposer sur des fondements qui seraient acquis. Nous ne pouvons avancer dans notre recherche analytique qu'en demeurant au niveau de ces questions fondamentales.

Toutes ces questions, Lacan se les est posées, il les a même répétées, mais se dressait alors, comme magiquement, une façade où l'attention de ses auditeurs s'arrêtait, au point qu'on a maintenant l'impression que tout ce ramdam théorique, que Lacan ne dissimulait nullement, se produisait dans la coulisse. Il ne se produisait pas du tout dans la coulisse. Lacan, comme dans certaines versions du théâtre moderne, admettait toute la coulisse sur la scène. Mais s'était dressé devant ses auditeurs - pour employer le langage théâtral de Corneille - une illusion comique, l'illusion que tout cela se poursuivait en ligne droite.

Bien que Lacan ait effacé ses traces ou qu'elles se soient comme effacées, on a bien, en certains points, les indices de ce qui se tramait dans la difficulté de cet enseignement. On a ces indices avec, par exemple, cette petite phrase qui se trouve dans le texte sur Daniel Lagache: "Si tout est structure, tout n'est pas signifiant." On les a aussi dans cette toute petite notation de "Position de l'inconscient", où Lacan dit qu'on mesure les difficultés qu'il a eues avec son auditoire au fait qu'il n'ait pu donner une suite au rapport de Rome qu'avec ce texte de "Position de l'inconscient", c'est-à-dire avec l'articulation de l'aliénation et de la séparation. C'est une proposition qui, tant qu'on n'a pas restitué le contexte, reste incompréhensible. Elle l'était pour moi jusqu'à présent. On a encore un autre indice de ce qui se tramait dans cet enseignement avec les approches de sa théorie de la passe.

Lacan nous montre que ce clivage est déjà dans Freud. Il y a chez Freud une découverte de premier abord: la découverte de l'inconscient. On a tellement ressassé ce syntagme qu'on ne s'aperçoit même plus de ce qu'il veut dire. C'est la découverte par Freud des formations de l'inconscient, dans ces écrits que

Lacan cite toujours par trois, comme les trois mousquetaires: L'Interprétation des rêves, la Psychopathologie de la vie quotidienne et Le Mot d'esprit. Ce sont les textes de la découverte de l'inconscient par Freud. Mais les trois mousquetaires sont quatre, et il y a une seconde découverte de Freud, une découverte qui a d'avantage l'air de se situer dans le registre de l'invention que dans celui de la découverte, et qui n'est pas en continuité immédiate avec le premier versant. Le quatrième mousquetaire, c'est les Trois essais sur la théorie de la sexualité, c'est-à-dire l'invention de la pulsion, et la mise en cause de l'objet perdu comme à l'origine de l'inconscient. Je crois que c'est sensible à tout le monde, même à ceux qui ne sont pas versés dans l'œuvre freudienne: il y a une discontinuité entre les trois œuvres de départ et cette oeuvre quatrième. C'est cette découverte de la pulsion qui finit par conduire Freud à renouveler sa topique, et finalement à isoler le ça où sont censées se croiser en silence les pulsions.

J'ai déjà résumé cela de cette manière à Bordeaux, bien que l'étendue d'une année ne puisse se comparer avec l'étendue d'une conférence, encore que celle- ci, étant déplacée, utopique et ectopique, m'ait fait voir les choses plus clairement.

La thèse ou la bonne nouvelle du rapport de Rome, c'est en définitive que le ça peut être ramené à l'inconscient. Ce qui résume cet évangile lacanien, cette bonne nouvelle lacanienne, c'est le ça parle. Ça a amusé tout le monde en son temps. Ah! Lacan, comme il dit bien les choses! Ça a même donné un slogan. Le ça parle résume d'une façon tout à fait précise la thèse comme quoi le ça se ramène à l'inconscient. Vous savez à quel point Lacan a mis l'accent sur ce qui peut fonder cette confusion, puisqu'il a martelé que pour Freud les pulsions ne sont pas du registre de l'instinct, qu'elles ne sont en rien naturelles, qu'elles sont articulées dans le langage, qu'elles répondent aux articulations de la grammaire d'une façon précises, et que, si elles sont silencieuses, cela n'empêche pas que le silence soit précisément une fonction de la parole. Vous savez que, dans le Graphe même de Lacan, la pulsion est articulée à partir de la demande. On a toujours commenté ça d'une façon un peu niaise dans l'Ecole freudienne de Paris. On savait que ($ <> D) était un sigle difficile, alors on l'a décomposé et on a fait un commentaire sur chaque terme. Mais enfin, on peut dire que le point essentiel de la formule de la pulsion exprime la réduction du ça à la formation de l'inconscient, c'est-à-dire à la fonction de la parole – cette formule s'écrivant précisément à partir du sujet barré du signifiant et de la fonction de la demande.

La conséquence du chemin dans lequel Lacan s'engage à partir de "Position de l'inconscient" – à côté des formations de l'inconscient dont il donne la structure comme étant celle de l'aliénation et comme répondant à la formule générale du sujet représenté par un signifiant pour un autre signifiant – c'est de faire valoir le registre de l'objet, registre dont Lacan articule l'essentiel à partir d'une seconde opération qu'il appelle la séparation. L'essentiel est qu'il la mette en parallèle, qu'il la traite sur un pied d'égalité avec les formations de l'inconscient. C'était resté un chapitre vraiment méconnu de l'enseignement de Lacan. Autant on s'était gargarisé des fonctions essentielles de l'aliénation que sont la métaphore et la métonymie, autant on avait passé sous silence et méconnu la fonction de la séparation.

Lacan, d'ailleurs, y a contribué lui-même. Je n'ai pas ma doctrine faite sur ce qu'il nous a caché et sur ce que nous nous sommes cachés, mais il est frappant que dans le Séminaire XI – ça m'avait embarrassé au moment où je le rédigeais – Lacan soit beaucoup plus chaud sur la première opération que sur la seconde, au point qu'avec la meilleure volonté du monde, je n'avais pas pu donné à un des chapitres le titre: "La séparation". Il y a en effet deux chapitres consacrés à cette question et il aurait été simple d'appeler le premier "L'aliénation" et le second "La séparation". Il est bien sûr question de cette séparation, mais on ne peut donner un tel titre à la seconde séance. Il y a donc, chez Lacan lui-même, non pas l'évitement de la question, qui est parfaitement déployée dans son écrit, mais ceci, qu'il lui fallait mettre justement un peu de côté cette séparation pour continuer de développer à loisir. En tout cas, c'est présent dans ce moment. S'il a pu dire qu'il y avait un recommencement de son enseignement à partir de 64, ce n'est pas simplement parce qu'il s'était déplacé de Sainte-Anne à l'Ecole Normale Supérieure, mais bien parce qu'il thématisait la question que j'évoque. Ça l'a conduit tout naturellement à dire, en passant, que son fameux ça parle reposait sur une confusion, et qu'il importait de distinguer sérieusement l'inconscient et le ça.

La théorie de la passe repose sur cette distinction. Elle rend problématique la question de savoir ce qui soude l'articulation signifiante et l'objet perdu. La réponse de Lacan – c'est encore son optimisme à cette date - c'est un c'est possible. Il est possible qu'une articulation signifiante transforme, sinon l'objet lui-même, du moins les rapports du sujet du signifiant avec cet objet. Je dois dire qu'à Bordeaux, j'ai donné un exemple où la façon de dire transformait tout à fait le rapport du sujet avec le cadre du fantasme. J'ai pris le premier exemple qui me tombait sous la main et qui était tout à fait convenable, à savoir une petite histoire d'un humoriste anglais que vous trouvez dans un petit recueil, maintenant traduit en français, qui s'intitule La Fenêtre ouverte. J'aurais bien repris cette histoire aujourd'hui, mais il faut rire en racontant cette histoire, et, contrairement à Bordeaux, je n'ai pas ici envie de rire, ni surtout de refaire la même chose.

Cependant, dans cette salle plus petite où j'ai l'avantage de parler sans micro, je me suis dit que le moment pouvait peut-être être bien choisi pour étudier de près le texte de Lacan sur la passe qu'il a donné aux Italiens. C'est un texte qui a été publié dans l'organe intérieur de l'Ecole de la Cause freudienne et qui sera repris dans le prochain Ornicar?. C'est un texte qui nous montre ce que l'expérience de la passe avait déjà eu comme incidences pour Lacan. Comme, en plus, quelqu'un s'inquiétait de savoir comment je lisais Lacan, il m'a semblé que nous pourrions lire posément ce texte qui n'a pas encore été trop dépiauté.

Il s'agit d'une lettre de Lacan adressée aux Italiens et qui, comme la plupart de ses textes, est née des circonstances. Il y a là quelque chose qui est propre au style de Lacan. Ce n'est pas le style du manuel. Il avait voulu faire un manuel de psychanalyse au moment de la scission de 63. J'ai le souvenir qu'il m'avait montré, à cette date, le manuscrit. J'avais été surpris ensuite de ne pas le voir paraître. C'est ce qui avait fait dire à l'abruti de service que Lacan avait déjà complètement écrit le Séminaire des Noms-du-Père avant de le faire. Lacan – je l'ai déjà dit – n'a jamais complètement écrit un Séminaire avant de le faire. Ce qui, sans doute, est vrai, c'est qu'il avait rédigé ce manuel de psychanalyse, dont je pense que le contenu essentiel est passé dans Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, qui est le Séminaire qui ressemble le plus à un manuel, puisque Lacan développe là, pendant une année, une architecture de quatre grands concepts.

Le point de vue du manuel ne pouvait foncièrement pas être celui de Lacan, précisément parce qu'il pensait tout le temps à la psychanalyse, comme on disait de Lénine qu'il pensait tout le temps à la révolution. Parce qu'il était toujours au travail à propos de l'expérience analytique, c'était seulement sous la pression des circonstances qu'il était amené à en détacher comme écrit un morceau. Il l'a dit lui-même: ses écrits sont comme les rebuts de son enseignement, ce sont des morceaux prélevés, des lambeaux qui demandent à être resitués dans le cours général de cette pensée qui se marque avant tout par le fait qu'il avançait. C'est là ce qui vérifie sa thèse qu'on pense avec ses pieds. D'ailleurs, il parlait debout. C'est ce qu'il faut faire si l'on croit sérieusement que l'on pense avec ses pieds.

Ce texte a été écrit sous la pression de circonstances qui n'ont rien de dramatiques, puisqu'il s'agissait simplement de vérifier qu'il est peu probable que la psychanalyse ait de l'avenir en Italie. Qu'est-ce qu'il faut comme conditions spéciales pour que le discours analytique prenne son indépendance? Il y a des discours antérieurs, et qu'il y ait des discours antérieurs, ça se voit mieux en Italie, puisqu'il y a l'Eglise. Pourquoi est-ce qu'il n'y aurait pas des psychanalystes d'Eglise? Il y a aussi, en Italie, le Parti Communiste. Pourquoi est-ce qu'il n'y aurait pas des psychanalystes du Parti Communiste? Il y a même une institution dont on n'ose pas dire qu'elle est plus secrète puisqu'elle est de notoriété publique, à savoir la mafia. Pourquoi est-ce qu'il n'y aurait pas des psychanalystes de la mafia? Il y a aussi, en Italie, une grande diversité régionale. Pourquoi est-ce qu'il n'y aurait pas des psychanalystes de Rome, des psychanalystes de Bologne, des psychanalystes de Milan et des psychanalystes siciliens? Comment ces différences, qui existent, qui sont légitimes, pourraient-elles cependant passer au second plan pour permettre l'émergence du fonctionnement du discours analytique comme tel? Lacan a donc fait l'effort de faire émerger ce discours analytique et de l'abriter dans une institution où il y aurait, bien entendu, des psychanalystes du Parti Communiste, de l'Eglise, de la mafia, etc. Il n'y a aucune raison pour qu'une institution analytique soit atopique. Chacun, par ailleurs, peut continuer d'adhérer à des idéaux qui sont respectables. Je dis cela aussi pour l'Eglise et pas seulement pour la mafia.

Lacan essaye donc de faire accoucher ce qu'il appelle le groupe italien. C'est précieux parce que ça nous montre tout de même ce que l'on peut attendre de psychanalystes qui auraient fait la passe. Evidemment, on peut quand même attendre d'eux une petite distance d'avec ces idéaux préexistants au discours analytique. C'est, en tout cas, ce que ce texte de Lacan laisse entendre: une petite distance d'avec ces idéaux.

Ce texte est d'abord une grande déclaration de réalisme. Ca commence ainsi: "Tel qu'il se présente, le groupe italien a ça pour lui qu'il est tripode." Tout est dans le tel qu'il se présente. Ca évoque évidemment le tel qu'il devrait se présenter, mais ça prend les choses comme elles sont, ce qui, s'agissant des affaires institutionnelles, est une leçon d'importance. Les affaires institutionnelles, il faut les prendre telles qu'elles se présentent, c'est-à-dire qu'il ne faut pas les prendre avec idéalisme. C'est un conseil tout à fait important. On se retrouverait, dans la Cause freudienne, tout à fait emberlificotés, si on voulait que les analystes qui nomment les analystes ayant fait la passe, aient eux-mêmes fait la passe. Cette exigence d'idéalisme nous ferait évidemment tomber dans le paradoxe de l'oeuf et de la poule. Prendre les choses telles qu'elles se présentent, c'est admettre que les analystes formant un corps qui n'a pas été sélectionné par la passe président justement à cette procédure. Ce tel qu'il se présente est bien ce qu'avait fait Lacan pour la passe dans l'Ecole freudienne de Paris, et il est pour nous d'un enseignement précieux.

Lacan nous dit donc que le groupe italien est tripode et que "ça peut suffire à faire qu'on s'asseoie dessus". Nous avons là, en résumé, tout le style de Lacan dans ces affaires. En effet, le s'asseoir dessus a évidemment des connotations dévalorisantes. Quand je dis que je m'asseois dessus, ça veut dire que je m'en fous. C'est idiomatique en français. Ce s'asseoir dessus est évidemment le corrélat du tel qu'il se présente. Il faut savoir aussi s'asseoir sur les choses telles qu'elles se présentent. Ce n'est pas non plus être dans une révérence complète à l'endroit de ce qui est là. Lacan a dit tripode simplement parce qu'il y avait trois analystes de trois groupes italiens qui venaient chez lui et qu'ils pouvaient prendre comme départ de ce groupe. C'est la structure minimum du tabouret. Le tabouret est un objet lacanien. Lacan l'évoque déjà dans le Séminaire III. On s'asseoit plus volontiers sur quatre pieds mais on peut aussi le faire avec trois sans se fiche par terre. C'est évidemment un peu moins stable, mais c'est cela qui occupe Lacan, à savoir l'équilibre, l'équilibre toujours nécessaire dans les affaires institutionnelles. Les affaires institutionnelles ne sont pas du registre de l'absolu mais du registre du tel qu'il se présente, du registre de l'équilibre, et aussi du registre de ce que Lacan, plus loin dans ce texte, appelle sa prudence. Quand il parle de sa prudence, ce n'est pas une disposition psychologique mais la fonction éminemment politique qu'a dégagée Aristote. Même pour ces petites choses-là, les références et les connotations de Lacan puisent dans un registre et dans une bibliothèque extrêmement vastes, ce qui fait que l'on se demande s'il n'y a pas là des références plus précises encore.

"Pour faire le siège du discours psychanalytique, dit Lacan, il est temps de le mettre à l'essai: l'usage tranchera de son équilibre." Autrement dit, il n'a pas de fauteuil mais rien qu'un tabouret, et ça suffit pour cette fonction qui est le à l'essai et le à l'usage. C'est bien là dépouiller tout idéalisme qui voudrait que les choses soient d'emblée assurées au départ. Ce que nous voyons là, nous aurons l'occasion de le mettre à l'épreuve dans le prochain congrès de l'Ecole de la Cause freudienne qui a lieu la semaine prochaine. On s'est déjà payé, depuis janvier, plusieurs réunions sur le thème de la procédure. On est arrivé à améliorer sérieusement le texte de cette procédure, et je considère que, telle qu'elle se présente, cette procédure permet et mérite d'être mise à l'essai. Eh bien, l'usage tranchera de son équilibre. Ce n'est pas diminuer la fonction essentielle de l'institution que de la traiter dans les termes qui sont ici ajustés par Lacan.

"Qu'il pense – `avec ses pieds', c'est ce qui est à la portée de l'être parlant dès qu'il vagit. Encore fera-t-on bien de tenir pour établi, au point présent, que voix pour-ou-contre est ce qui décide de la prépondérance de la pensée si les pieds marquent temps de discorde." Il faudrait arriver à resituer exactement cette thèse de Lacan selon laquelle on pense avec ses pieds. Il ne l'a pas dite seulement une fois. C'est évidemment fait pour dévaloriser la pensée. Ca s'oppose, bien entendu, au penser avec sa tête qui est notre illusion commune. On pense en avançant, on pense avec la mécanique. C'est la meilleure façon dont on peut rendre compte du réalisme de Lacan dont je parlais tout à l'heure: on pense avec ses pieds. Vous savez que Marx se vantait de remettre Hegel sur ses pieds, et que ça a ensuite beaucoup coûté aux commentateurs de Marx, puisque ça a paru être la formulation par excellence des rapports entre l'idéalisme et le réalisme. Lacan, lui, avait pris ses précautions: il s'est mis d'emblée au niveau des pieds, ce qui est la fonction humble par rapport à la fonction élevée que représente notre tête.

"à la portée de l'être parlant dès qu'il vagit", dit-il. Ca donne un autre éclairage à cet effort du petit bébé qui est l'effort pour penser. On l'entrave, le bébé, lorsqu'on le laisse couché, là, à vagir. Ca dirait même que l'incidence de ce que nous appelons la pensée commence avec le déplacement. C'est d'ailleurs ce qu'on dit. On appelle ça connaître le monde. Mais si nous prenons au sérieux le penser avec ses pieds à propos du petit enfant, ça donne à cet épisode un petit peu de valeur. Nous sommes d'abord dans une métaphore qui n'est pas celle de la marche mais celle d'être assis et dont "l'usage tranchera de son équilibre". Puis, on passe ensuite au penser avec ses pieds. Autrement dit, ça corrige ce que comporterait d'immobilisme la métaphore du siège, ça marque l'avancée.

Au fond, Lacan dit à ces trois Italiens pour quoi il les prend. Il les prend pour trois pieds, puisqu'il évoque la possibilité que ces trois pieds soient en discorde. C'est, d'ailleurs, ce qui n'a pas manqué d'arriver. Lacan prend la peine de faire ce texte pour trois personnes – c'était vraiment leur témoigner de la gentillesse et de l'attention – et le résultat, évidemment, c'est que chacun s'est empressé de faire son association de son côté. Ils entendaient, chacun, être des pieds tout seuls. Chacun a suivi son destin et il ne reste finalement qu'un seul de ces pieds dans l'Ecole de la Cause freudienne. Celui-là, c'est le bon, le bon pied. S'il n'y avait eu que deux pieds, ça n'aurait pas fait un tripode et ça aurait pu encore marcher. Du moins, je le suppose. Mais trois, c'était trop. C'est dire que si ça n'avance pas, il faut bien en venir à bosser.

Il ne faut pas abuser de ces voix pour ou contre. Quand on vote, quand on a recours au sujet supposé savoir de la démocratie dans l'institution analytique, c'est plutôt quand ça ne va pas. En tout cas, c'est ce que pensait Lacan. Hormis les moments statutaires où il s'agit de choisir et de déléguer des responsabilités à certains, on vote fort peu, et c'est tant mieux. On a pu décider de beaucoup de choses comme étant des bons pieds sans passer par les voix pour ou contre. Depuis septembre 81, tout ce qui s'est décidé dans le conseil ou le directoire de la Cause freudienne s'est décidé avec les pieds. Une fois que quelques pieds furent partis - on a connu ça pendant deux ans: la fuite des pieds -– ceux qui sont restés n'ont pas marqués, depuis septembre, de temps de discord, et nous n'avons donc pas eu besoin de voter.

Je ne vais pas maintenant continuer de vous détailler ce texte de Lacan morceau par morceau, encore que les passages de ce texte, qui peuvent paraître anodins, délivrent, si on prend son temps pour les examiner, leur pesant de pensée.

La théorie de la passe, loin d'être une simple procédure, constitue comme théorie un essai de solution à la difficulté principale de l'enseignement de Lacan. Cette théorie de la passe s'est également croisée avec les exigences de l'institution, et elle a conduit à ce qu'il faut bien appeler la seconde fondation de l'Ecole freudienne de Paris. Il n'y a pas seulement la fondation de cette Ecole en 64 et sa dissolution en 80. Il y a, en plus, ce que Lacan lui-même appelle une refonte. La passe avait pour objet d'opérer une refonte de l'institution analytique, c'est-à-dire un nouveau mode de recrutement des personnes aptes à se placer sous le signifiant A.E., Analyste de l'Ecole, qui était défini, tout au long de l'existence de l'EFP, comme une catégorie équivalente à celle du titulaire.

Vous savez à quoi correspond cette catégorie du titulaire dans la société analytique traditionnelle. Elle correspond à la pointe d'une pyramide dont la base est faite des membres adhérents. Puis, quand on monte, il y a la catégorie des affiliés. Je me trompe peut-être, j'inverse peut-être les termes. Disons simplement qu'à la pointe de la pyramide, il y a les titulaires, seuls aptes à faire des analyses didactiques, c'est-à-dire à recevoir en analyse les gens désireux de devenir analystes. Ca suppose donc un agrément préalable de leur demande. C'est supposé pouvoir être réglé préalablement à l'effectuation de l'expérience. Dans l'Institut, le titulaire, c'est un vieux truc. Il doit y avoir, sur quatre cents membres, une soixantaine qui sont titulaires, et dont cinq ou six ne sont pas médecins.

Lacan a donc introduit la passe comme mode de recrutement de cette catégorie essentielle, qui n'était plus dans l'EFP assimilée aux titulaires mais qui l'avait été pendant les cinq premières années de son existence. La proposition de Lacan aux Italiens se situe dans ce contexte, mais est-ce que c'est la même que celle faite aux Français? Eh bien, pas du tout. Il y a eu là, me semble-t-il, un autre projet de Lacan, un autre projet qui n'a pas du tout été déchiffré, dès lors que les Italiens l'ont envoyé à la poubelle. Cependant, depuis que Lacan a disparu, ils ne pensent plus qu'à ce texte de 74. Il y a un des deux Italiens qui a trouvé le moyen de le publier dès que Lacan a disparu, de le publier dans son torchon et sans autorisation. Il s'est tout de suite rappelé de ce texte qu'il avait pourtant longtemps négligé et il s'est empressé de le publier. L'Américaine – qui est l'une des trois – s'est empressée, elle, de refaire un tripode avec deux de ses affiliés, également très peu de temps après la disparition de Lacan. Il reste la troisième personne, plus raisonnable, qui perçoit que l'avenir de cette proposition – l'avenir qui est la fondation d'une société italienne – passe par le soutien et le travail de l'Ecole de la Cause freudienne. Les deux autres se sont empressés et contentés de ressortir ce texte pour en faire leur affaire, ce texte qu'ils avaient jeté à la poubelle.

Cette Note italienne – c'est sous ce titre qu'elle paraîtra dans Ornicar? – essayons de la déchiffrer dans le groupe italien.

"Le groupe italien, s'il veut m'entendre [ce n'est pas là une proposition oratoire], s'en tiendra à nommer ceux qui y postuleront leur entrée sur le principe de la passe prenant le risque qu'il n'y en ait pas." Il apparaît là, en 74, c'est-à-dire sept ans après sa formulation première de la passe en 67, que Lacan fait de la passe le principe de recrutement du groupe italien dans son ensemble - pas simplement d'une catégorie mais du groupe. A le lire comme ça, on s'aperçoit que ce texte est une bombe à retardement. On hésite évidemment à le comprendre comme cela, puisque tout repose sur l'analyse que l'on fait du postuleront leur entrée. Est-ce que Lacan parle ici du groupe ou de la catégorie? Moi, je pense que c'est carrément le groupe. Il y a une phrase qui ensuite le vérifie. Il faut faire des détours pour la trouver. Elle est une page plus loin: "S'il convenait pourtant que ne fonctionnent que des analystes, le prendre pour but serait digne du tripode italien." Cette phrase confirme l'idée de Lacan de prendre la passe comme principe même de formation du groupe. C'est là la novation de ce texte.

Lacan, dans ce texte, rappelle au fond son principe de l'analyste: "L'analyste ne s'autorise que de lui-même, cela va de soi." Mais ce cela va de soi ôte à cette formule son tranchant de paradoxe. On s'aperçoit que ce n'est pas cela que Lacan veut faire valoir ici. Nous n'avons pas le paradoxe de cette auto- affirmation mais son évidence. Evidemment, ce cela va de soi surprend. Ca va si peu de soi que ça n'a pas été le moins du monde entendu comme ça. On peut évidemment donner des raisons à ce cela va de soi, mais que voit-on un peu plus loin? "Ce à quoi il [le groupe] a à veiller, c'est qu'à s'autoriser de lui- même il n'y ait que de l'analyste." Cela implique déjà que cette auto- autorisation ne fait pas sélection en elle-même. Elle ne fait pas discrimination.

Qu'est-ce qu'implique cette distinction? Elle implique très précisément que l'analyste ne se définit pas simplement de ce qu'il fonctionne comme analyste. Puisqu'il n'y a pas d'essence du psychanalyste, puisqu'il n'y a pas de prédicat propre au psychanalyste et d'être inné de l'analyste – on ne naît pas psychanalyste, on le devient –, ça nous conduit à l'idée qu'être un analyste est de fonctionner comme tel. Il faut le maintenir, bien entendu, puisque ça nous protège de l'ontologisme du psychanalyste. Il vaut mieux un fonctionnalisme du psychanalyste qu'un ontologisme du psychanalyste. Il vaut mieux le fonder de sa fonction que de son être. Seulement, la fonction de l'analyste, ce n'est pas tout. Si la fonction de l'analyste était le tout de l'affaire, alors, du seul fait de s'autoriser analyste, on le serait.

C'est à ça, dans un deuxième temps, à quoi Lacan veut parer, et ce d'une façon tout à fait explicite: "Il y en a [des analystes], maintenant c'est fait: mais c'est de ce qu'ils fonctionnent." Là, tout le poids est évidemment sur le mais. Des analystes, il y en a, maintenant c'est fait, il y en a parce qu'ils fonctionnent. Dit comme cela, ça introduirait la continuité complète entre la fonction de l'analyste et la fonction qu'il supporte. Mais il y a un mais. Il y a un mais puisque "cette fonction ne rend que probable l'ex-sistence de l'analyste". C'est donc cliver, non pas l'être et la fonction de l'analyste, mais sa fonction et son ex-sistence. C'est donc introduire une différence entre la fonction de l'analyste et quelque chose d'autre de l'analyste, à savoir ce que Lacan, là, appelle son ex-sistence. L'analyste ne se réduit pas à fonctionner. C'est évidemment très dangereux de dire ça, parce que ça pourrait conduire à penser qu'il s'agit de l'être de l'analyste, et que c'est justement ce qui fonde la pyramide de l'Institut. La pyramide de l'Institut est justement faite de cette distinction. Certains membres, en plus de fonctionner comme analystes, en possèdent les prédicats essentiels.

Tout se joue donc sur ce que nous allons maintenant considérer: l'ex- sistence de l'analyste. C'est là que Lacan ajoute: "Probabilité suffisante pour garantir qu'il y en ait [ce qui permet de le dire, c'est leur nombre]: que les chances soient grandes pour chacun [soient grandes, pour chacun de ceux qui fonctionnent, d'ex-sister comme analystes], les laisse pour tous insuffisantes." Qu'est-ce que ça implique? Ca implique exactement que la définition de l'analyste répond à la logique du pas-tout. Foncièrement, il n'y a pas de signifiant du psychanalyste. C'est d'ailleurs ça qui fonde le pas-tout de la sexuation féminine: il n'y a pas dans l'inconscient de signifiant de La femme. Ca implique que l'Analyste n'existe pas. Il y a des analystes.

Vous voyez que reprendre les choses ainsi, serait peut-être de nature à réveiller un petit peu la question de l'institution. Ca nous ferait d'abord comprendre pourquoi il y a des scissions dans le milieu analytique. J'ai cru longtemps, à tort, que les scissions étaient réservées à la France, à cause de l'incidence de Lacan essentiellement. Je dois dire que je me suis aperçu de l'étendue de mon erreur. Toute l'histoire de la psychanalyse aux Etats-Unis est faite de scissions. Simplement, au lieu de s'excommunier, ils ont accepté que les analystes scissionnés voisinent avec d'autres. Mais ils ont, eux aussi, fonctionné avec l'analyste en tant que pas-tout. C'est d'ailleurs ce que Lacan dit explicitement: "Car j'ai posé d'autre part que c'est du pas-tout que relève l'analyste."

"Car j'ai posé d'autre part que c'est le pas-tout que relève l'analyste". Et Lacan ajoute: "Pas-tout être à parler ne saurait s'autoriser à faire un analyste. A preuve que l'analyse y est nécessaire, encore n'est-elle pas suffisante."Autrement dit, pas-toute analyse s'avère pouvoir faire un analyste. "Seul l'analyste, soit pas n'importe qui, ne s'autorise que de lui-même." Ca dit quelque chose de très précis. Ca ne contredit pas mais ça modifie ce qu'on peut saisir de cette proposition quand on y ajoute le seul l'analyste. Ca implique qu'il y ait quelque chose de son ex-sistence qui soit fondé d'ailleurs que de son auto-autorisation. Le s'autoriser soi-même ne devrait être, tout en étant fondateur, que d'un second mouvement, le premier étant celui où se vérifie le seul l'analyste.

On s'aperçoit alors de ce qu'impliquerait aussi bien la Proposition de 1967 de Lacan, à savoir qu'on puisse se présenter à la passe pour être nommé Analyste de l'Ecole sans pratiquer nécessairement la psychanalyse. Cette Proposition de 1967 implique la disjonction de la fonction et de l'ex-sistence de l'analyste, une ex-sistence indépendante de sa mise en fonction, puisque, de toute façon, c'est en tant que psychanalyste que le sujet se présente à la passe. Evidemment, s'il est analyste, il faut prendre aussi en considération ce qu'il peut faire dans ce domaine, ce qu'il peut en dire. Mais la Proposition de 67 impliquait déjà que ce n'est pas après avoir blanchi sous le harnais de l'expérience analytique qu'on pourrait devenir titulaire, mais que, au contraire, c'est le jouvenceau ou la jouvencelle quant à l'expérience analytique qui pourrait spécialement se trouver happé, destiné à ce qu'on vérifie en lui que s'est produit ce en quoi consiste l'ex-sistence de l'analyste.

Ce n'est pas une lecture qui est de premier abord dans l'enseignement de Lacan. Ce qui est de premier abord, c'est toute la polémique contre l'ontologisme du psychanalyste, contre l'imagination de l'être de l'analyste. C'est évidemment le fonctionnalisme qui sert dans cette polémique contre l'ontologisme: Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'être? Je ne connais rien d'autre que ce qui fonctionne comme tel. Il est vrai que c'est déjà beaucoup que de fonctionner ainsi. Ca laisse, à ceux qui fonctionnent ainsi, de grandes chances que l'ex-sistence du psychanalyste se soit produite en eux. Il ne s'agit pas de brandir de nouveaux drapeaux extrémistes à cet égard. Ca pourrait effectivement conduire à un extrémisme de la passe. On doit tempérer cela par la prudence aristotélicienne. Mais la passe n'est pas articulable si ce n'est pas dans l'expérience de l'analysant même que s'effectue l'ex-sistence de l'analyste.

L'enjeu de la Note italienne est de nous expliquer comment, dans l'expérience analytique, se détache l'ex-sistence du psychanalyste: "S'il convenait pourtant que ne fonctionnent que des analystes [s'il convenait pourtant que l'ex-sistence de l'analyste se ramène à sa fonction, ce qu'à Dieu ne plaise], le prendre pour but serait digne du tripode italien." Qu'est-ce que fait Lacan? Il forme l'ensemble du groupe sur la passe. On devient membre en faisant la passe.

On devient membre en faisant la passe. Si cette proposition était dite au prochain congrès de l'Ecole de la Cause freudienne, ou elle ferait tomber dans les pommes, ou elle ferait dresser des étendards pour la combattre. Cette proposition a avant tout son sens pour le groupe italien tel qu'il se présente, puisque c'est un groupe qui, à l'époque, n'existe que par trois éléments. Dans ces conditions, il est alors concevable de prendre, comme principe d'agrégation à ce groupe, le principe de faire la passe. Si on désire y entrer, il faut faire la passe. Mais personne n'est obligé de vouloir faire partie de ce groupe.

Je dis cela pour qu'on ne puisse pas proposer ça pour le groupe français tel qu'il se présente maintenant. Il se présente déjà avec une histoire. Il n'est pas né de trois personnes. Il n'était pas, en 1974, en train de naître de trois personnes. Le groupe français, tel qu'il est, est issu d'une histoire qui commence en 1926 et qui a déjà connu un nombre respectable de scissions et de clivages. Il y a donc, dans ce groupe, déjà de l'acquis. Ce que Lacan a essayé de faire là, c'est de partir d'un groupe qui n'avait pas d'acquis. C'est comme les rêves de Jean-Jacques Rousseau sur la Constitution: on peut pousser le principe jusqu'à son terme. Rousseau a fait, comme ça, des projets de Constitution pour la Corse, mais, là aussi, les Corses n'en ont pas spécialement tenu compte.

L'objet du texte de Lacan est d'expliquer ce qu'est l'ex-sistence de l'analyste indépendamment de sa fonction. Elle est supposée se situer au niveau d'une transformation que Lacan explique là d'une façon très simple, une transformation du rapport du sujet à l'objet a. Ce qui distingue l'analyste, c'est qu'il sait être un rebut. Il sait et il se sait être un rebut. Savoir être un rebut, ce n'est pas de l'ordre des bonnes manières, ce n'est pas comme bien se conduire en société, c'est même exactement le contraire. Mais ce n'est pas d'être un rebut qui distingue l'analyste. Etre un rebut, ça arrive à d'autres qu'à l'analyste. Par exemple, on peut être un rebut en tant que pondu. Il y a d'ailleurs des problèmes quand le sujet du signifiant peine à émerger du rebut natif. La question, c'est qu'à l'intérieur de cet objet qu'est l'état en quelque sorte natif de la personne, le sujet puisse s'y loger, et que cet objet puisse être entraîné dans l'aliénation. La différence que fait Lacan - et pas seulement dans ce texte – porte sur ceci, que l'analyste sait être un rebut.

Cela, c'est en 1974. Lacan ne se relisait pas, mais nous, nous pouvons le relire, à savoir que nous pouvons voir que c'est exactement le même mot qu'il emploie en 1968, dans une phrase plus complexe, quand il est allé se promener chez les Italiens pour leur parler encore de la passe: "C'est là que le psychanalyste se trouve dans une position intenable, une aliénation, etc., dont pour tous la condition est un je ne suis pas, je ne pense pas, mais renforcée de ce rajout, qu'à la différence de chacun, lui le sait." Vous voyez, là encore, que la différence que Lacan attribue à l'analyste, c'est qu'il sait. Six ans après, dans la Note italienne, vous avez la formule selon laquelle l'analyste "sait être un rebut". On se demande comment je lis Lacan, eh bien voilà comment. Je prends au sérieux le fait que l'on trouve sait sous sa plume en 74, c'est-à-dire au moment où il s'agit de spécifier le trait spécifique de l'analyste, et que l'on trouve ce même terme six ans auparavant. Il faut lire Lacan comme cela, comme si on lisait des hiéroglyphes, comme si on déchiffrait des hiéroglyphes avec la bonne vieille méthode de Champollion qui, du point de vue de l'instance de la lettre, reste effectivement incomparable: il s'occupait seulement de ce qui se répète.

Je poursuivrai cette lecture de Lacan la semaine prochaine, pour essayer de saisir avec vous en quoi l'ex-sistence de l'analyste est liée à ce savoir être un déchet.

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Tilda