Жак-Ален Миллер , курс 1981-1982 гг
Скандирования в учении Лакана // Диалектика желания и фиксированность фантазма
19 сеанс, 12 мая 1982

Жак-Ален Миллер , курс 1981-1982 гг
Скандирования в учении Лакана // Диалектика желания и фиксированность фантазма
19 сеанс, 12 мая 1982
J'ai parlé, la dernière fois, de la paranoïa comme identifiant la jouissance au lieu de l'Autre, dans le champ de l'Autre comme tel. Ca ne prend sa valeur que du rappel de l'antithèse du désir et de la jouissance, et il me semble que ça justifie ce piétinement que j'ai pu faire durant une partie de cette année, pour accuser l'opposition de ces deux concepts de Lacan, parce que sinon, cette définition de la paranoïa apparaît triviale et incompréhensible. Ce qui justifie, d'une façon générale, que je passe ce temps à reconstituer une problématique sous-jacente à l'enseignement de Lacan – qui ne fait qu'affleurer d'une façon explicite à certains moments mais qui, en fait, le supporte –, ce sont justement les effets qu'on obtient de réacquérir des définitions lacaniennes bien connues, voire des orientations pour la cure analytique qui sont ordinairement rabotées par l'audition des trente dernières années.

Que peut-on comprendre à cette paranoïa identifiant la jouissance dans le lieu de l'Autre, si on ne se règle pas sur cette proposition tout à fait décisive, et qui pour moi surplombe, commande et oriente tout l'enseignement de Lacan après le Séminaire XI, à savoir que "le désir vient de l'Autre, et la jouissance est du côté de la Chose". Je vous ai déjà cité cette proposition de Lacan. Elle est écrite dans son petit texte - texte négligé – qui figure dans les Écrits, sous le titre "Du Trieb de Freud et du désir du psychanalyste". C'est un texte qui suit exactement le texte de "Position de l'inconscient", et qui appartient donc à cette année pivot, à cette année 64 qui est une année de bascule. C'est là, à la page 853 des Ecrits, que vous trouvez cette opposition polaire du désir et de la jouissance.

Je ne reviens pas sur la façon dont je vous ai déjà commenté cette opposition, sinon pour faire valoir qu'elle est ce qui donne son sens à la définition de la paranoïa. Dans la relecture que fait Lacan du texte de Schreber, après l'élaboration qui a été la sienne dans cet intervalle de dix ans, lorsqu'il essaye de structurer à nouveau la psychose, cette fois-ci à partir de la polarité entre la jouissance et le signifiant – ce qui n'était pas du tout l'intention de sa "Question préliminaire" –, il met en avant ceci, que dans la paranoïa la jouissance est du côté de l'Autre. C'est ce qui peut me permettre de donner toute son incidence à cette proposition par rapport à la définition que je vous ai citée.

Ca nous amène à pouvoir imaginer ce que pourrait être, à partir de la suite de l'enseignement de Lacan, la reprise de la "Question préliminaire", y compris la reprise de la construction du concept trop célèbre de forclusion. Ce n'est pas pour moi une idée nouvelle, puisque c'est celle qui avait déjà animé les cours de la Section clinique il y a trois ans. C'est par ce biais que nous pouvons apercevoir que la forclusion du signifiant implique une inclusion de la jouissance, qui ne nous permet même pas de dire inclusion de l'objet.

Il y a un petit texte de Lacan qui n'a pas été piraté et que j'ai été repêcher dans les Cahiers pour l'analyse, à savoir sa préface au feuilleton Schreber publié dans cette revue vers les années 66. Dans ce texte, Lacan indique très précisément quelle serait pour lui l'orientation d'une éventuelle reprise de la question de la psychose. Il la reprendrait, dit-il, à partir de la polarité entre le sujet du signifiant et le sujet de la jouissance. C'est un hapax dans les écrits de Lacan que cette expression de sujet de la jouissance. A ma connaissance, ce n'est jamais exprimé comme cela ailleurs. Je dirai même que je ne pense pas que ce soit une façon de dire qui soit heureuse au regard même de son enseignement. Elle n'est pas heureuse parce qu'il y a plutôt intérêt – et c'est ce que Lacan fait dans la suite – à réserver le terme de sujet pour ce qui est représenté par un signifiant.

Ce qui est de l'autre côté, et qu'il faut bien pouvoir désigner quand même, Lacan le désigne plus communément comme le Je. Le Je, dans l'enseignement de Lacan, c'est ce qui essaye de nommer le sujet quand on regarde du côté de la jouissance et non pas du côté où il est véhiculé, où il est un mobile véhiculé par le signifiant. C'est là le tort de ceux qui s'arrêtent à "L'instance de la lettre" comme clé de cet enseignement, puisqu'on aperçoit par ce biais que la fonction du sujet n'est pas celle du Je, c'est-à-dire du sujet du côté de la jouissance.

Je dois dire que c'est en toute innocence que j'ai fait cette critique de l'approche unilatérale de Lacan par "L'instance de la lettre". Ca m'amuse donc de voir tel groupe ou groupuscule issu de la dissolution de l'EFP, s'empresser de mettre ses agapes sous l'égide de "L'instance de la lettre". C'est sans doute pour que l'on comprenne bien qu'ils se sont arrêtés là. Mais l'ambition de Lacan, depuis cette date, a été d'aller sérieusement au delà, et cela précisément par l'introduction de ce concept de jouissance, qui est quasiment absent des Écrits, et dont Lacan, en 1966, pouvait avoir encore le sentiment qu'il l'introduisait seulement à ce moment-là. A cet égard, il serait temps de considérer que ce concept est complètement acclimaté à l'enseignement de Lacan. On ne doit pas se contenter de réciter d'un côté métaphore et métonymie, et de l'autre côté de savoir qu'il est question de jouissance, jouissance qu'on réserverait seulement à quelques considérations de Lacan et qu'on reprendrait à propos de la sexualité féminine.

Si je dis que la forclusion du Nom-du-Père a pour corrélat l'inclusion de la jouissance, c'est qu'il faut distinguer la jouissance sous la forme de l'objet et la jouissance comme telle. C'est évidemment par abus que l'on confond les deux. Quand Lacan évoque la jouissance sous la forme de petit a, c'est la jouissance qui suppose déjà sa propre annulation. Ce qui est réacquis sous forme d'objet a, c'est le débris d'un désastre, du désastre que nous supposons être l'effet du langage sur le corps vivant. C'est pour cela que ce concept n'est arrivé dans l'enseignement de Lacan qu'une fois que cet enseignement avait dix ans de systématisation.

Ce qui apparaît d'abord, c'est que la chaîne signifiante, le fameux champ de l'Autre, l'ordre symbolique, a pour propriété d'annuler la jouissance du vivant qui se trouve projetée dans une idéalisation. C'est ce que Lacan rappelle dans Encore: le signifiant est spontanément sublimatoire. C'est en cela que l'Autre lacanien est désert de jouissance. Ce que Freud a accroché sous le terme de castration, c'est d'abord ce vidage de la jouissance dans le corps vivant. Le complément, c'est l'existence de zones érogènes où la pulsion est intéressée. On constate que ce vidage, que cette désertification laisse quelques oasis. Ce sont ces zones espacées que Lacan a désignées comme objets a ou plus-de-jouir. Plus-de-jouir est un terme construit sur plus-value. Ca suppose d'abord, comme la plus-value, qu'il y a eu un échange standard, l'échange de la jouissance et du signifiant. C'est alors que peut apparaître un reste, ce qui reste de la jouissance quand la jouissance est partie. A cet égard, l'objet a n'est pas le tout de la jouissance, pour autant que ce tout de la jouissance existerait. L'objet a, c'est l'effet de débris de cette jouissance.

Ce qui s'installe à la place de cette jouissance, que nous supposons au départ attachée au corps vivant – ce qui restera toujours une supposition, dans la mesure où, comme disait Lacan, on ne saura jamais ce dont l'arbre ou l'huître peuvent jouir – ce qui s'installe à la place de la jouissance, ce qui s'installe au champ de l'Autre, c'est le désir, le désir qui est une fonction éminemment humaine. C'est même la fonction qui protège le sujet de la jouissance. Il n'est pas question de désir de jouissance. Il n'y a pas de désir de jouissance. Le désir est au contraire une barrière à cette jouissance. Contrairement à ce que pensait Jones quand il a avancé le terme d'aphanisis – que Lacan a réintégré et situé dans sa construction de l'aliénation et de la séparation –, le sujet n'est pas animé par la crainte de ne pas jouir. C'était comme cela que Jones essayait de trouver un équivalent à la castration, et spécialement pour les femmes. Comme il n'avait pas un concept très élaboré de la castration, il lui semblait nécessaire d'un trouver un corrélat pour l'autre moitié de l'humanité, et il a en quelque sorte construit un concept plus général: la crainte de ne pas jouir à la place de la crainte de castration. C'est bien ce que Lacan renverse, à savoir que ce qui anime le sujet, c'est au contraire la crainte de jouir.

A cet égard, les discours sont autant de barrières, de défenses contre ce jouir. On peut approcher le discours comme une défense, cette défense dont les psychanalystes dits classiques ont abusé, par exemple en parlant de la paranoïa comme défense contre les pulsions homosexuelles. Il y a toute une façon de reprendre l'enseignement de Freud qui consiste à situer l'élément fondamental par rapport à quoi le sujet construit ses défenses. A l'occasion, c'est situer la névrose comme une défense contre la psychose. C'est à cela que l'enseignement de Mélanie Klein conduit: situer, dans la recherche du noyau psychotique, les névroses comme défenses contre les psychoses. Ce n'est pas une vue sotte. C'est une façon d'approcher la schize du sujet, et c'est aussi une façon d'essayer de situer ce que comporte d'illimité la jouissance quand elle n'est pas limitée dans l'objet a, quand elle n'a pas reçu la séparation que comporte la castration. La jouissance comporte effectivement quelque chose d'illimité, et c'est ce qui fonde aussi bien le désir comme une barrière. Cette barrière est elle-même indéfinie mais elle n'est pas illimitée. La barrière du désir est sans doute une métonymie mais une métonymie dénombrable. La métonymie est d'ailleurs toujours dénombrable. Elle repose sur le principe du plus-un. S'il y a défense contre la jouissance, c'est qu'elle n'est pas de cet ordre du dénombrable.

Je doctrine comme s'il n'y avait que ça à dire là-dessus, alors que ce n'est pas le cas. Les rapports de la jouissance et du dénombrable sont au cœur de nombreuses interrogations de Lacan. Ils sont au cœur de ses interrogations sur la vraie nature du principe de plaisir. Si vous lisez Lacan, vous trouvez trente-six traductions différentes du principe de plaisir freudien. J'exagère, disons qu'il y en a un certain nombre et qui sont contradictoires entre elles. S'il s'agit de repérer ces contradictions, vous me ferez le crédit que ce n'est pas pour se moquer de Lacan. S'il y a à repérer ces contradictions, c'est pour saisir à quelle logique elles répondent, et pour voir quels phénomènes de l'expérience analytique elles essayent de saisir.

Revenons à cette polarité de la jouissance et de l'Autre du signifiant. Je ne voudrais pas faire une hydraulique trop élémentaire, mais il y a là une zone de l'enseignement de Lacan qui a été tellement négligée qu'il vaut la peine de marquer le chemin d'une façon solide. C'est cette polarité qui nous explique que la psychose, dans la mesure même où elle s'articule à un trou dans le signifiant, ouvre la voie à un retour de jouissance. Le paranoïaque loge la jouissance au champ de l'Autre. Ca se fait sous les deux faces par lesquelles nous pouvons approcher cet Autre: sous la face de l'Autre majuscule, qui s'incarne chez Schreber comme l'Autre divin, et sous la face du corps, qui est le propre corps de Schreber comme lieu de l'Autre. Schreber s'épuise à donner support à cette jouissance de l'Autre. Ce qui nous impose le paradoxe de l'expression de jouissance de l'Autre, c'est, au niveau clinique, le psychotique, et c'est aussi les femmes.

Cette expression de jouissance de l'Autre a évidemment été banalisée, mais pour quelqu'un qui suit l'enseignement de Lacan dans la rigueur de ses partages, c'est un véritable coup de tonnerre dans cet enseignement. C'est un véritable coup de tonnerre que de commencer à parler de la jouissance de l'Autre, alors que tout, jusqu'aux Quatre concepts fondamentaux et même un petit peu après, repose sur la séparation de la jouissance et de l'Autre. Encore en 64, Lacan écrit bien que "le désir vient de l'Autre" et que "la jouissance est du côté de la Chose".

Impliquer dans son enseignement la jouissance de l'Autre, ça nous demande de savoir qu'est-ce qui y conduit dans l'expérience clinique elle-même. Ce qui nous y conduit, c'est bien évidemment l'expérience du paranoïaque, là où précisément cette jouissance même vient à parler. Lacan disait que le phénomène de la voix psychotique n'avait jamais pu être conçu avant sa doctrine de l'objet a. Ou bien on croit que c'est une rodomontade, ou bien on prend ça au sérieux. Le phénomène de la voix psychotique implique effectivement l'objet a qui se met à parler, qui se trouve donc, d'une certaine façon, compatible avec l'Autre, et qui est par là situé au champ de l'Autre. Ça nous oblige à lever la séparation entre ces termes. Si nous admettons que la paranoïa identifie la jouissance dans le champ de l'Autre, elle lève donc la barrière du désir. Il faut s'apercevoir que personne, durant des années, parmi les élèves de Lacan, ne s'est trop aventuré sur le désir du psychotique. Tout le monde s'est rendu compte que le bon usage des termes lacaniens ne permet pas d'en parler.

Si la paranoïa identifie la jouissance au champ de l'Autre, levant donc la barrière du désir, nous pouvons, en première hypothèse, en distinguer la schizophrénie comme ce qui identifie la jouissance et l'Autre - ce qui fait qu'effectivement, à la limite, il n'y a plus rien à dire. Il n'y a plus rien à dire spécialement de la schizophrénie. C'est d'ailleurs ce à quoi Lacan s'est tenu. Ce n'est pas simplement qu'il a oublié de parler de la schizophrénie. On voit bien que si l'asymptote schrébérienne trouve sa conclusion à l'infini, et que si ce point à l'infini se trouve réalisé dans la schizophrénie, alors le sujet n'a plus rien à en dire et l'analyste non plus. Qu'est-ce que c'est que l'asymptote de Schreber? Vous savez que ce terme d'asymptotiquement figure en passant dans le texte de Freud, et vous savez que Lacan a accentué ce terme et qu'il l'a même pris comme support du schéma qu'il a inventé. Eh bien, cette asymptote, c'est celle qui, à la limite, résorberait le sujet du signifiant dans le "sujet" de la jouissance dont Lacan nous évoque la polarité.

Nous ne sommes évidemment qu'au balbutiements de cette clinique. Nous sommes, dans les années 80, aux balbutiements d'une reprise de la théorie de la psychose des années 50. On peut quand même essayer de donner tous les trente ans une approche analytique de la psychose. Ce n'est pas trop faire, ça ne va pas nous épuiser, d'autant que nous ne manquons pas, dans cet intervalle, d'indications de Lacan. Ça ne veut pas dire que nous allons simplement feuilleter les Séminaires et les Ecrits pour voir ce qu'il y a à faire. On peut là s'inspirer de ce qui fait justement le problème des psychanalystes avec ce qu'ils appellent les borderlines, dont ils s'imaginent que c'est une clinique qui fait objection aux divisions de structure.

On peut en tirer différentes conclusions. D'un côté, si on tient à une clinique structurale, on dira qu'il n'y a pas de borderlines et qu'il s'agit de savoir de quel côté tel cas est en définitive à situer. D'un autre côté, on s'en servira comme d'un outil à dissoudre la clinique structurale, parce qu'elle laisse trop de choses dans ses intervalles. Mais la clinique des borderlines est tout à fait pensable à partir d'une problématique structurale de la clinique. C'est là aussi que la forclusion du Nom-du-Père a fait ses ravages. On ne s'est occupé que du trou. On oublie qu'il y a tout à fait la place, chez Lacan, pour situer ce qui comble le trou dans la psychose. Il y a, chez Schreber, une fonction que Lacan distingue tout à fait comme venant occuper ce trou. Ce sont d'abord, du point de vue langagier, les voix de Schreber, l'instance de parole qui soutient encore pour lui ce qu'il lui reste de monde. Mais c'est aussi la jouissance, la jouissance que Schreber prend dans sa propre image et qui lui donne son point de repère. La jouissance transsexualiste de son image au miroir est ce qui, dans la vacillation de tous ses repères, lui en donne un. Dans le Séminaire III, Lacan évoque ce qui peut permettre une compensation de cette forclusion, comme ce qui peut faire tenir un psychotique toute sa vie par prothèse ou par béquille imaginaire. Lacan l'évoque également à propos de Joyce, Joyce dont il faisait un psychotique mais un psychotique qui avait réussi à s'arranger avec ce trou, qui avait poussé dans ce trou un symptôme.

J'évoque là ce que, dans un séminaire plus restreint, nous étudions pour préparer l'année prochaine de la Section clinique. Eric Laurent y a présenté un cas tout à fait intéressant d'Anna Ségal, qui essaye de se débrouiller avec un psychotique ayant des symptômes obsessionnels. Elle tranche en faveur d'un cas psychotique ayant un système de défenses obsessionnel. James Joyce, tel que Lacan en faisait la clinique, était quelqu'un de ce genre-là. Pas exactement quand même comme le cas d'Anna Ségal, mais quelqu'un où Lacan pensait pouvoir cerner une forclusion, et qui s'était montré capable de se fabriquer un moi, ce qui donne la matière à son roman Portrait de l'artiste. Ce qui m'avait frappé, à l'époque, en lisant ce roman que Lacan recommandait à tous ses auditeurs, c'était que le moi en question était un moi tout à fait traditionnel, c'est-à-dire un moi obsessionnel. Ce moi méthodiquement construit apparaît comme un moi obsessionnel. C'est là une formation symptomatique propre à habiter le trou de la psychose.

On peut comprendre que ça soit une des choses qui font croire aux bordelines, qui font croire qu'il y aurait des types qui seraient à cheval sur les structures. Mais ce qui est évidemment nocif dans l'idée de borderline, c'est de s'imaginer que le sujet appartient de la même façon aux deux structures sur lesquelles il est à cheval. L'expérience clinique de quelqu'un qui peut très bien n'être pas lacanien comme Anna Ségal, montre pourtant qu'il y a une formation appartenant typiquement à une structure qui se trouve entée sur le trou d'une autre structure, sur le trou constitutif d'une autre structure.

Nous n'allons pas, l'année prochaine, à la Section clinique, ricaner sur les borderlines. Il n'y a pas lieu de ricaner de ce que disent les cliniciens et les analystes non lacaniens, surtout s'ils sont non lacaniens. Avec les lacaniens, on peut ricaner. Les non lacaniens ont un privilège par rapport aux lacaniens, à savoir qu'ils ne se prennent pas pour des lacaniens. C'est une différence tout à fait importante. Nous n'allons donc pas ricaner mais prendre au contraire tout à fait au sérieux cette clinique, en essayant méthodiquement de la reformuler.

C'était là un excursus, au moins pour rappeler que la seule fois où Lacan parle de jouissance dans ce texte sur les psychoses, c'est à propos de la jouissance transsexualiste de l'image chez Schreber. C'est bien là une jouissance venant à la place de ce qui est forclos au niveau du signifiant. Rien que par ce biais, nous pourrions approcher cette jouissance comme donnant support à ce qui vient faire défaut, nous pourrions nous intéresser, dans la problématique du défaut, à ce qui fait supplément dans la psychose.

Revenons à l'opposition du "sujet" de la jouissance et du sujet du signifiant. Qu'est-ce qui est constitutif du sujet du signifiant? C'est sa mobilité et son fading, à savoir qu'il reste caché derrière le signifiant, qu'il est absorbé par, et qu'il n'émerge que fugitivement. C'est ainsi que Lacan, d'une façon logique et construite, a essayé de rendre compte de la valeur accordée par Freud à des émergences qui comme telles restent fugitives et pas si fréquentes. Le culot de la construction de Lacan sur l'aliénation, c'est justement de faire comprendre comment on peut balancer en importance ce qui est le discours courant du sujet et les moments ténus où ce discours défaille. C'est de faire comprendre comment Freud a pu donner cette valeur aux lapsus ou aux actes manqués. On s'y est fait, on s'y est habitué, mais Lacan essaye d'en donner une construction logique. Au niveau temporel, il faut bien voir qu'il n'y a pas d'équivalence entre le temps qu'on passe à faire des lapsus et celui qu'on passe à parler à peu près normalement. Evidemment, pour l'analyste, il est préférable, non pas d'entendre des lapsus où il n'y en a pas, mais d'augmenter un petit peu le temps de ces émergences subjectives. Lacan faisait ça très bien. Il faisait ça très bien en entendant de travers. Entendre de travers, c'est la meilleure façon pour faire naître un lapsus.

Ces émergences constituent donc, pour le sujet, un temps d'oscillation, une temporalité faite d'oscillations entre la position où il est caché derrière le signifiant et la position où il en émerge. Eh bien, que voit-on chez Schreber? On voit sa jouissance obéir à cette temporalité d'oscillation. A certains points elle l'engloutit, et à d'autres – c'est le moment du laissé en plan - elle se retire. Sa jouissance se glisse dans la structure temporelle qui est celle du sujet, c'est- à-dire une structure de va-et-vient. Le fameux laissé en plan de Schreber, c'est le fading de sa jouissance, et il aspire évidemment à une jouissance sans fading. Il nous montre que, après tout, on a bien raison de craindre de jouir. La jouissance dont il nous montre le modèle, il est certain qu'elle nous justifie de rester dans les limites du principe du plaisir qui, en première analyse, est fait pour nous protéger de la jouissance.

Cette polarité introduite par Lacan entre plaisir et jouissance est d'ailleurs ce qui est nécessaire pour situer le symptôme freudien en tant que jouissance. Ce n'est évidemment pas du tout par là que Lacan a commencé, puisqu'il a commencé, à partir de la métaphore et de la métonymie, à situer le symptôme comme un message. Il a d'abord situé le symptôme comme une articulation signifiante, c'est-à-dire comme interprétable. C'est le niveau de "L'instance de la lettre", l'instance de la lettre dans le symptôme. Il est évidemment beaucoup plus embêtant de s'apercevoir que le symptôme est aussi jouissance et pas seulement articulation signifiante. La question devient alors: Comment est-ce qu'en interprétant le symptôme, on pourrait mettre fin à la jouissance qui s'y trouve impliquée? C'est là que Freud a buté, sous le nom de masochisme primordial ou de réaction thérapeutique négative. La réaction thérapeutique négative veut dire que le symptôme n'est pas seulement l'instance de la lettre. Ça pose la grande question de savoir comment s'articulent, se marient et se nouent signifiant et jouissance dans le symptôme.

Je disais tout à l'heure que la paranoïa comme entité clinique est déjà ce qui nous oblige à articuler la jouissance et l'Autre du signifiant, mais nous voyons que le moindre symptôme, que la moindre résistance du symptôme est aussi bien ce qui oblige à articuler la jouissance et le signifiant. A cet égard, quand nous disons qu'un symptôme obsessionnel peut venir habiter le trou de la psychose – ce que Lacan a essayé de démontrer avec le cas Joyce –, il s'agit bien du symptôme comme jouissance, exactement comme son image au miroir permet à Schreber de stabiliser sa jouissance.

A cet égard, la personne, ce que nous appelons la personne, c'est un symptôme. C'est ce que Lacan a lâché dans les années 70. Ce n'est pas encore exactement ce qu'il dit dans les Écrits. Il ne peut pas le dire dans les Ecrits, parce qu'à cette époque le symptôme est avant tout pour lui ce qui s'interprète. Il en donne bien sûr une construction logique et linguistique tout à fait nouvelle. Il ne faut pas minorer la façon dont Lacan reprend le symptôme freudien. Mais comme dans ses Écrits le symptôme est avant tout pour lui une articulation signifiante, il ne peut évidemment pas situer la personne comme un symptôme – il la situe plutôt comme une formation imaginaire. Par contre, sur l'autre versant de son enseignement, quand sont venus au premier plan le concept de jouissance et le symptôme comme jouissance, il a pu avoir une autre approche de la personne.

Là aussi, il y a des choses à revoir. Le structuralisme a évidemment commencé par se moquer du personnologue, du personnaliste. La scène intellectuelle française de ces années-là était tout à fait occupée par les personnalités du personnalisme. C'était une sorte de lieu de convergence des idéologies. On pouvait là faire converger ce qu'on avait saisi de la phénoménologie et de l'idéologie catholique. Il y avait les noces sacrées de Husserl et du Nouveau Testament, c'est-à-dire une ambiance assez nauséabonde qui s'était d'ailleurs baptisée du nom d'Esprit – titre d'une publication qui existe toujours. Ces personnes ont évidemment été très troublées par le structuralisme. Je me rappelle le directeur de cette revue essayant à tout prix de faire rentrer le structuralisme dans l'idéologie française, tout en l'habillant un petit peu, parce que le sujet barré, évidemment, ça fait un peu nu à côté de la personne. Il ne retrouvait pas, là, ce à quoi il était habitué dans le personnalisme. Ce sont évidemment ces gens-là qui trouvaient Lacan tout à fait diabolique. L'effet du structuralisme lacanien avec son sujet barré, ça a été en effet de renvoyer au magasin des accessoires les personnalités de la personne. Ce combat est maintenant fini depuis quinze ans.

La personne, cependant, ça existe. Ca existe et c'est même une formation qui en tant que telle est plus épaisse que le sujet. Le sujet est tout à fait mince. Le sujet comme fonction du signifiant est une fonction tout à fait mobile. L'expérience analytique met cela spécialement en valeur, puisque la première chose qui est sûre de cette expérience, c'est justement le signifiant. C'est là le point de départ, l'hypothèse première. Lacan pose que la division du sujet est bien cette manifestation sur laquelle repose l'expérience analytique. Cette manifestation du sujet est constante. Le sujet se trouve sans cesse dépassé par ce qu'il dit. Quand vous mettez quelqu'un sur un divan, que vous ne lui dites rien et qu'il doit causer, arrive très vite le moment où il dit qu'il ne sait plus ce qu'il dit. Pour savoir ce qu'on dit, il faut avoir du retour. Quand vous privez un petit peu le sujet de son retour, vous le mettez tout de suite dans la position de ne plus savoir ce qu'il dit. Vous amenuisez sa personne pour rendre plus pur l'effet de sujet.

Seulement, la personne, comme je le disais, ça existe quand même. La personne, c'est le sujet mais lesté de sa jouissance. C'est le sujet ancré dans sa jouissance. Par exemple, les cons. Le con, dans l'expérience analytique, ça n'a pas de pertinence. Ca n'a pas de pertinence puisque c'est le signifiant qui là est con lui-même. A cet égard, tout le monde est con. Au niveau du sujet, le con perd donc sa pertinence. Par contre, ça en a tout à fait au niveau des personnes. Au niveau de la personne, la connerie signale un certain rapport avec la jouissance. Il y a là une densité spéciale, un alourdissement du sujet. La personne, ce n'est pas une fonction mobile, ce n'est pas le furet, mais quelque chose qui se déplace très lentement. Est-ce que la traversée du fantasme, ça change les personnes? Ce n'est vraiment pas démontré. Ça a au contraire l'air – si on admet que ça se traverse quelques fois – de les compacifier.

La personne est à situer comme un symptôme, et la personnalité comme exactement un symptôme paranoïaque. Vous connaissez ça, cette personne accusée qui est la personnalité - personnalité que l'on prend à l'occasion comme idéal. On voit ça sur les affiches: Pour avoir de la personnalité, écrivez-nous. Mais on pourrait rester un peu au-dessous de cette personnalité et revaloriser ce concept de personne. Au-delà de la formation imaginaire que la personne est, il y a une jouissance qui est impliquée. L'image de Schreber au miroir est bien sûr une image, mais une image spécialement investie, une image où la jouissance est investie. C'est vrai aussi bien pour chacun: dans la personne la jouissance est investie. La comédie classique, par exemple, est une comédie des personnes et non des sujets, c'est-à-dire une comédie des investissements du sujet dans ses rapports avec la jouissance. Si on voulait trouver une formule à la personne, il faudrait la construire à partir de la formule du fantasme: ($ <> a), mais comme prise en masse, comme gelée, figée.

Je vois une cohérence parfaite entre le symptôme comme jouissance, la personne comme jouissance, la fonction de l'image comme jouissance venant combler le trou dans la psychose. Il me semble donc que ça devrait être un effort pour l'avenir de voir dans quelle mesure nous pourrions, en prolongeant ces indications de Lacan, redonner sa valeur au concept de personne, c'est-à- dire à une fonction qui n'est pas seulement celle du sujet mais celle du sujet alourdi de sa jouissance, du sujet qui a un empêtrement réglé avec sa jouissance, en tant que ça fait système, que ça arrive à tenir.

Pour le sujet qui parle, c'est-à-dire pour le sujet qui se déplace au champ de l'Autre, cette jouissance est, en première analyse, inaccessible. Elle est inaccessible parce qu'elle n'appartient pas à proprement parler à ce champ de l'Autre. C'est pourquoi, quand on est au niveau de l'instance de la lettre, au niveau du champ de l'Autre, cette fonction de la jouissance n'existe pas. C'est ce qui justifie Lacan d'avoir dit que ce qui reste de jouissance est inaccessible au sujet, dans la mesure où c'est en arrière du sujet. Le sujet vise des choses. Viser est un terme auquel Husserl avait donné toute sa valeur. Vous avez entendu parler de la fonction de l'horizon dans la phénoménologie, avec aussi cette valorisation de l'ouverture dont nous sommes encore continuellement esclaves – il faut que les questions restent ouvertes, etc. Eh bien, admettons que le sujet a un horizon. Mais ce qui ne figure pas dans cet horizon, c'est ce point de jouissance qui est en arrière de lui. Il est en arrière de ce que le sujet essaie de faire avec les signifiants, de ce qu'il essaie de faire en se parant des signifiants. Le sujet se pare des signifiants mais il ne sait pas ce qu'il pare de ses signifiants. Tout ce qu'il essaiera par ailleurs, ne lui fera pas rencontrer cette jouissance.

Rencontrer cette jouissance, c'est pourtant ce qu'on espère quand même de l'expérience analytique, mais il y faut quelque chose de tout à fait spécial. C'est en ça qu'il y a un décrochage dans la théorie de la passe qui est l'idée qu'on puisse avoir accès à cette jouissance, même si elle est en arrière du sujet. C'est une problématique tout à fait distincte de celle qui consiste seulement à défaire le symptôme, c'est-à-dire l'analyse thérapeutique. Lacan n'admet pas la différence entre l'analyse thérapeutique et l'analyse didactique. L'analyse est thérapeutique quand le sujet se satisfait - c'est à lui de le déclarer – de ce que ça a modifié de ses symptômes. Lacan a réintroduit l'unité de la cure analytique. Avant, on demandait une analyse thérapeutique ou une analyse didactique, et, quand on demandait une didactique, il y avait certains circuits à suivre, des circuits spéciaux auprès des gens dits didacticiens qui pouvaient répondre à cette demande. C'est seulement à partir de Lacan qu'on a pu parler de la demande d'analyse comme telle. Pour Lacan, le processus de différentiation est interne à la cure elle-même. Il y a un versant qui peut porter sur le symptôme et il y a un autre versant de la cure qui intéresse le fantasme. Et c'est sur ce versant du fantasme, du fantasme défini à partir de l'objet a comme plus-de-jouir, que Lacan a situé la problématique de la fin de l'analyse. Il a pensé que le sujet pouvait tout de même parvenir à modifier son rapport avec cette aire réservée.

Il faudrait savoir évidemment quel retentissement ça a au niveau de la pulsion – de la pulsion qui constitue l'enveloppe de l'objet a – et au niveau du symptôme. Ce sont là des questions limites, et j'y regarderai à trois fois avant d'essayer de réintroduire le concept de la personne dans l'enseignement de Lacan. J'y suis pourtant conduit par ce que je peux entrevoir de l'expérience analytique et par les linéaments de l'enseignement de Lacan.

Le terme de fantasme, qui pourrait suffire à remplacer celui de personne, traîne derrière lui une histoire qui fait qu'on s'imagine que c'est une partie de la personne, que c'est une fonction parmi d'autres, ce qui ne permet évidemment pas de lui rendre la fonction que Lacan lui donne, celle de fenêtre sur le monde pour le sujet. Le fantasme, c'est ce à partir de quoi tout ce que le sujet peut expérimenter prend son sens. Ça donne son cadre de sens à ce qu'il éprouve. Ce n'est donc pas du tout une fonction partielle, mais le tout de ce que le sujet peut connaître du monde. Il faudrait donc, dans la façon même dont nous utilisons ce terme, que nous puissions lui rendre cette fonction décisive, à savoir que tout ce que nous pouvons connaître s'effectue par le biais de notre fantasme fondamental - tout ce que nous pouvons connaître hors de l'expérience analytique, puisque, dans l'expérience analytique, il ne s'agit pas de connaître par ce biais, il ne s'agit pas de connaissance mais de savoir, c'est- à-dire spécialement de ce qu'on peut dire sans le savoir tout en le sachant. La fonction du sujet est ce qui répond à ça, et pour en tenir compte et rendre au fantasme sa valeur, on ne peut pas dire en même temps que la personne est fantasme. La personne est symptôme. En quelque sorte, elle est les deux. Qu'on l'appelle fantasme ou symptôme, elle désigne l'empâtement du sujet avec sa jouissance, avec quoi il se trimballe.

La personne est supposée hors du champ propre de l'expérience analytique, puisque cette personne se métamorphose en sujet dès qu'elle entre dans le dispositif. Si ce concept de personne peut nous intéresser, c'est bien en ce qui concerne ces cas où le dispositif lui-même est problématique. C'est bien à partir des questions que nous pouvons nous poser sur la psychose, sur la paranoïa, sur la schizophrénie, que la personne nous sollicite. Mais même si ce concept s'impose sur ce terrain-là, il serait intéressant de voir dans quelle mesure il pourrait aider à reconceptualiser l'expérience analytique, et spécialement pour ce qu'il peut y avoir de jonction entre fantasme et symptôme.

Il y a évidemment une jonction entre fantasme et symptôme sur le Graphe de Lacan. Le fantasme y est ce qui vient compliquer la réponse de l'Autre. Il y a cette incidence du fantasme au point où l'Autre se fait entendre, c'est-à-dire donne sens à ce que dit le sujet, et qui fait que ça se complique et que c'est proprement en ce point-là que vient le symptôme. Vous savez où se trouve exactement le symptôme sur ce schéma. Tout le schéma supérieur ne tient que par ces deux points: le point d'entrée par rapport à l'autre point de sortie qui est le fantasme, ce point de sortie par rapport au schéma inférieur, ce point de sortie qui est le fantasme et qui ne se raccorde au système de l'Autre signifiant que par le symptôme, que par son incidence sur le symptôme. Je dirai même que ce symptôme, il le constitue. Sans cela, on pourrait très bien imaginer qu'on ait avec l'Autre des rapports idéaux. On pourrait très bien s'imaginer que ça se boucle, que ça se boucle entre le sujet et l'Autre, c'est-à-dire qu'on comprenne l'Autre. On pourrait s'imaginer que le circuit est parfait et que l'effet de sens qui se produit est transparent.

On a d'ailleurs rêvé de ça pendant très longtemps. Lacan lui-même en a rêvé, quand il était allé raconter, il y a trente ans, que le tu es ma femme était un effet de sens transparent, et qui avait en plus pour effet de faire d'une femme la sienne. Ce n'est évidemment pas faux, mais je pense que, comme effet de sens transparent, on pourrait peut-être trouver mieux. Mais enfin, on peut imaginer que cet effet de sens comme effet de retour soit imparable, puisque, après tout, c'est l'Autre qui parle lui-même dans cette histoire. On peut très bien imaginer que ça se boucle, que tout le monde comprend, qu'il y suffit d'une petite exégèse en plus. L'exégèse est une discipline tout à fait respectable, puisque, quand c'est l'Autre divin qui parle, il faut évidemment éclaircir un petit peu cet effet de sens. On s'imagine donc que ça se boucle sans symptôme, avec un pur effet de sens.

Mais il y a symptôme. Il y a symptôme à proprement parler quand cet effet-là se complique du circuit supérieur, quand il vient se compliquer d'un scénario fantasmatique. Quand viennent se coupler les deux circuits, ça donne, pour le sujet, la particularité de sa compréhension à lui, de sa connerie à lui. Le fantasme est pour chacun sa connerie particulière, et c'est de là que l'effet de sens signifiant prend la densité de symptôme. Ce qui se complique, c'est le circuit proprement signifiant avec les effets de compréhension qui se produisent au niveau du fantasme. Sinon, il n'y aurait aucune raison de supposer que le sujet barré, qui est spécialement docile à l'Autre, aurait des difficultés dans le maniement signifiant. C'est à ce niveau-là que s'implique précisément la jouissance pour ce sujet, et c'est parce que ça se complique de jouissance que ça s'obscurcit et que ça peut donner le symptôme. C'est ce complexe-là, symptôme et jouissance, qui peut nous intéresser comme la personne.

Ça nous montre bien ce qu'est l'effet de signifié - je dis signifié pour ne pas trancher entre sens et signification. L'effet de signifié, on peut d'abord le situer dans la structure signifiante comme un effet qui est au même niveau que le sujet. C'est ce que Lacan a fait. Il a finalement appelé $ l'effet de signifié. Il a commencé à s'apercevoir que le signifiant avait des effets de signifié et il a simplifié tout ça en disant que le signifiant a des effets de sujet. Nous saisissons donc là le sujet et le signifié comme cette ombre portée de la mécanique signifiante. Le signifié, c'est les nuées qu'engendre la chaîne signifiante. Seulement, ça se dépose, ça oblige à faire des encyclopédies, des dictionnaires. Plus ça se concrétise, plus on s'aperçoit que c'est une chute de la chaîne signifiante, et qu'à cet égard le signifié est excrémentiel. Lacan le dit quelque part: le signifié est l'excrément de la relation subjective. Cet effet de sens qu'est le signifié, que Lacan écrit s(A), peut être situé comme un rebut. C'est déjà une invitation à ne pas ici se contenter de cette écriture de s(A) s'agissant du signifié. Le signifié lui-même peut avoir la valeur d'un objet a, précisément de l'objet anal. Ca nous invite à faire entrer cet objet anal dans la constitution de la personne, cette personne productrice de sens dont on nous a bassiné. Évidemment, quand on situe le sens comme un excrément, on commence à voir un petit peu ce que ça veut dire que cette personne productrice de sens. Ça nous permettrait même de faire une hiérarchie entre personnalité et personne.

J'ai dit, en passant, que cette affaire nous demande de situer la nature du principe du plaisir qui est un héritage freudien dont nous avons parfois bien de la peine à savoir ce que nous pouvons en faire, et dont on s'aperçoit que Lacan en a donné des valeurs différentes. Ce qui nous intéresse là, ce n'est pas seulement de savoir ce que Freud et Lacan ont dit sur le principe du plaisir. Il faut bien voir le point que nous visons. Le point que nous visons, c'est de savoir où se surmonte l'antithèse de la jouissance et du désir, de la jouissance et de l'Autre, de la jouissance et du signifiant, et en rapport avec quels phénomènes ou entités cliniques précises.

Le principe homéostatique du plaisir, comme le dit Lacan dans le Séminaire II, est à l'opposé de la chaîne signifiante. D'un côté nous avons l'homéostase du plaisir, de l'autre côté nous avons la répétition, l'automatisme de répétition. D'un côté nous avons un fonctionnement qui ramène le vivant à vivoter de la plus basse tension, de l'autre côté nous avons l'insistance de l'automatisme de répétition qui, lui, ne tient aucun compte de cette exigence homéostatique mais au contraire la renverse. C'est la grande opposition dont j'ai fait un titre de chapitre dans le Séminaire II: "Homéostase et insistance". La chaîne signifiante est du côté de cette répétition qui fait infraction à l'équilibre homéostatique, et c'est donc de ce côté-là que nous pouvons situer tout ce qui est de l'ordre de la pulsion de mort, de la réaction thérapeutique négative - concepts qui se sont révélés inintégrables pour les postfreudiens, et que seul le point d'Archimède de Lacan, c'est-à-dire l'inconscient structuré comme un langage, a permis de réintégrer dans l'enseignement de Freud lui-même. Il ne faut pas s'imaginer que l'on trouve partout des points d'Archimède. On a pu constater que prendre Freud trop au sérieux sur certains points, avait pour conséquence de laisser tomber toute une partie de son enseignement, et il a donc fallu cet inconscient structuré comme un langage pour réintégrer, dans l'enseignement même de Freud, des parties qui en étaient caduques. C'est là que se justifie le "retour à Freud". Le "retour à Freud" se justifie spécialement de cette couture que Lacan a pu faire et qui a donné le sentiment qu'on avait là une totalité de l'oeuvre de Freud qui était enfin restituée. Il n'est pas question de totalité, bien entendu, mais de restitution.

Moi, ce que je perçois, c'est qu'il y a des parties de l'enseignement de Lacan qui ont été considérées comme complètement caduques par ses soit-disants élèves, ceux-là mêmes qui continuent de stationner à "L'instance de la lettre", et qui en sont tellement contents qu'ils entendent maintenant s'asseoir dessus pour en faire une institution. C'est vraiment l'institution de la méconnaissance de Lacan. Ils s'en cachent à peine. C'est ce qui me justifie de parler d'un retour à Lacan, dans la mesure où c'est un retour aux parties caduques de l'enseignement de Lacan. Moi, j'ai le sens du ridicule. Ce n'est pas le cas de gens qui ont fait un petit volume qui s'appelle Retour à Lacan, et où il s'agit de compisser largement son œuvre. Je me laisse, là, un peu aller... C'est qu'on peut difficilement faire ça d'une façon sereine. Mais enfin, j'essaie.

Pour en revenir au premier versant, je dirai que vous avez une opposition radicale entre le principe du plaisir comme homéostase et le principe de répétition comme insistance. A ce moment-là, il n'est pas question de situer la jouissance. Lacan ne propose que deux termes: le plaisir propre au vivant, qui ramène ce vivant au plus bas de sa tension - c'est l'agréable, l'agrément, l'accord avec le milieu, le pas de vagues - et la fonction signifiante qui transgresse les limites du vivant. Ca a beaucoup plus, à l'époque. Ça a beaucoup plu parce que ça nous explique en quoi, par le fait du logos, l'homme peut transgresser ses propres limites. C'est très digne le logos, Empédocle, etc. On a cessé heureusement aujourd'hui de parler comme ça, mais moi, j'ai connu ça charrié par mes professeurs de philo, enfin, pas par les professeurs, puisque je n'allais pas les écouter, mais disons par les notables de la philosophie dans les années 60. Du logos et de la praxis, j'en avais vraiment par-dessus la tête! – ce logos qui fait le propre de l'homme et qui le tire au-delà de ce cycle où il vivote, qui l'appelle aux idéaux, ces idéaux qui s'ensuivent toujours du signifiant. On comprend le premier succès de Lacan, même auprès des bien- pensants. Il ne faut pas s'imaginer que Lacan est une fiction. Il a toujours été en butte aux bien-pensants au niveau institutionnel, parce qu'ils entendaient, eux, que le logos réglemente, réglemente aussi, par exemple, le temps de la séance. Ils n'arrivaient pas à comprendre comment quelqu'un qui prônait autant la loi symbolique, se trouvait par ailleurs tout à fait illégal au niveau des échanges marchands. C'est encore ce qu'une personne – très gentille, d'ailleurs - m'a rappelé. C'est une personne de l'Institut et je l'ai surtout écoutée:

Comment pouvez-vous ne pas permettre au sujet de sentir qu'il possède en sécurité votre temps? C'est évidemment quelqu'un qui s'intéresse beaucoup au socius, à l'échange social, et ça ne lui paraît pas conforme de ne pas respecter ça. Bon, trêve de digressions...

Nous avons donc le premier versant qui est l'opposition du principe du plaisir et de l'automatisme de répétition. Ce qui est frappant, c'est que Lacan est arrivé exactement de l'autre côté, en situant la jouissance dans le principe de répétition, et ce au point de faire de la répétition une répétition de jouissance, et même de faire du processus primaire freudien le nom de la jouissance. Il vaut mieux prendre le terme de processus primaire comme repère. Lacan a déplacé le processus primaire, situé traditionnellement comme congruent avec le principe du plaisir, du côté de la jouissance et de l'automatisme de répétition. C'est un travail de Lacan sur Freud qui est évidemment tout à fait paradoxal. C'est un travail qui a été peu vu, pour ne pas dire pas du tout. C'est ce qu'implique le "retour à Freud". Ce retour peut impliquer que l'on déplace des choses chez Freud même.

Comme je suis là dans des eaux qui ne sont pas encore pour moi absolument assurées cette semaine, puisque je n'ai pas eu le temps d'y travailler comme je le voulais, je reprendrai les choses exactement en ce point la semaine prochaine, c'est-à-dire sur le processus primaire, le principe du plaisir et l'automatisme de répétition.


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