Жак-Ален Миллер , курс 1981-1982 гг
Скандирования в учении Лакана // Диалектика желания и фиксированность фантазма
16 сеанс, 14 апреля 1982

Жак-Ален Миллер , курс 1981-1982 гг
Скандирования в учении Лакана // Диалектика желания и фиксированность фантазма
16 сеанс, 14 апреля 1982
Je suis, comme vous le voyez, très en retard. Il faut dire que je n'avais pas pris de vacances depuis deux ans et demi. Pour ce qui est des vacances non consacrées au travail, ça remonte plus loin encore.

Je me suis permis de prendre des vacances pour une raison qui m'a été rendue claire par un article du journal Le Monde, qui est paru durant cette période de Pâques, et qui, tout en se distinguant par une spéciale malveillance envers le docteur Lacan de l'ECF, étendait aussi bien cette malveillance sur tout le monde. C'est sans doute ainsi que cet article s'imaginait atteindre l'objectivité.

Malgré cette spéciale malveillance, il apparaissait pourtant que je pouvais partir en vacances. Je pouvais partir puisqu'il apparaît de façon publique que ceux qui sont rassemblés dans l'Ecole de la cause ont tout de même franchi un cap, et qu'est en voie de se clore la période de reconstitution institutionnelle dans laquelle nous étions engagés à peu près depuis deux ans et demi. Je veux dire que les problèmes institutionnels qui se produiront dans le champ ouvert par Lacan, se produiront à l'intérieur de l'ECF. Il pourra y avoir des difficultés, qui seront d'ailleurs tout à fait normales dans une association, mais nous avons réussi, dans ce débat institutionnel qui a été ouvert par la vieillesse et le décès de Jacques Lacan, à assumer une continuité.

Au moment où je dis qu'il n'y aura plus à y penser sur le même mode qu'avant, il n'est pas inutile de faire maintenant l'historique de la chose.

De cette histoire institutionnelle, la dame qui a écrit cet article dans Le Monde, en parle avec beaucoup d'inexactitudes, et qui portent aussi bien sur les dates. Toute sa chronologie est décalée d'une année en arrière et c'est très amusant. Cette chronologie, je dirais qu'elle va de septembre 79 à septembre 80. Puis il y a septembre 81, et nous sommes maintenant à Pâques 82. Normalement, il ne devrait plus y avoir de surprises, au moins jusqu'en septembre 82. Ce que j'admire, à cette date où nous sommes, c'est que nous n'ayons pas arrêté de travailler. Je parle pour ceux qui sont regroupés dans l'Ecole de la Cause. Nous n'avons pas tout arrêté à cause de ce paquet d'événements tout de même considérable.

Je crois que la période s'est ouverte exactement le 30 septembre 79, lors d'une assemblée générale de l'EFP, qui a été marquée par le fait que Lacan n'y a quasiment pas parlé. Il est resté presque tout le temps silencieux, alors qu'il y avait à ce moment-là plusieurs enjeux, l'un étant l'entrée d'Eric Laurent et de moi-même dans le directoire de l'EFP, l'autre étant la décision de Lacan de ne plus nommer vice-président un certain Denis Vasse qui l'était depuis cinq ans. C'est effectivement ce 30 septembre 79 que les choses ont commencé, se sont précipitées, dessinées. Tout cela n'a rien de secret. C'est d'ailleurs ça qui est amusant : on s'imagine qu'il y eut là du mystère. Ca prend cette forme, c'est-à-dire que ça restera un chapitre avec une note en bas de page: Les deux dernières années du docteur Lacan furent entourées de mystère. On se demande qu'est-ce qu'il faisait, qu'est-ce qu'il était capable de faire, alors qu'il suffit de s'occuper de ce qui était public, pour s'apercevoir qu'il est clair que la diminution de son activité et de sa production théorique à cette date est devenue évidente et publique. Ce 30 septembre a marqué que Lacan n'était pas désireux, ou pas en mesure, de contester publiquement les personnes qui s'adressaient à lui sur un mode très vif et parfois violent. Ca a été public, ça s'est passé devant cinq-cent personnes de l'EFP.

C'est à cette date que nous avons pu constater qu'une période de troubles et de difficultés s'ouvrait autour de Lacan. Il y a eu alors trois mois, entre septembre et janvier, avant la lettre du 5 janvier 80, avant la dissolution de l'EFP, où l'on a vu les choses se dessiner ainsi: un grand nombre de personnes de l'EFP attendaient, d'une façon tout à fait manifeste, la disparition du docteur Lacan, et entendaient, jusqu'à ce que cette disparition se produise, ne rien faire pour que l'ordre alors existant soit troublé. La stratégie fondamentale de cet ensemble était certainement de rester tapi, d'en faire le moins possible jusqu'à cette disparition. Ca a été une erreur d'un certain nombre de personnes, le 30 septembre, de faire voir quelles étaient leurs dispositions aussi bien à l'endroit de la personne du docteur de Lacan que de son enseignement, de faire voir ce qu'ils attendaient de nous faire connaître dès lors que Lacan ne serait plus là.

Il est certain que, pour ma part et pour quelques autres, nous avons voulu en faire beaucoup. Nous avons voulu que les conflits apparaissent, puissent au moins être débattus, pour que, s'il y avait une chance d'accord, cette chance soit saisie. Ca s'est spécialement manifesté par la production d'un petit opuscule dans le cadre de l'EFP, qui s'appelait Plus-un, et qui donnait, pour la première fois dans cette Ecole, une sorte de tribune vraiment libre pour les pour, les contre, et les pas sûr. Ca a eu, il faut le dire, un effet d'exacerbation des conflits dans l'Ecole, en même temps que l'on s'apprêtait de l'autre côté, et pour la première fois, à contester la direction de Lacan en arguant des oublis de formalités statutaires.

Tout cela s'est donc déroulé pendant ces trois mois, entre septembre et janvier, dans une atmosphère très lourde et pleine de rumeurs, et aussi dans le silence gardé par Lacan à son Séminaire, puisqu'il ne l'a pas repris pendant cette période-là. Pour la première fois, le docteur Lacan ne commençait pas son Séminaire au mois de novembre.

C'est dans ce contexte où les conflits étaient exacerbés, qu'est survenue la lettre du 5 janvier 1980 et que Lacan a repris son Séminaire interrompu pendant ces trois mois. Cette lettre a eu évidemment l'effet de renverser la stratégie qui aurait pu peut-être rallier une majorité des membres de l'EFP, cette stratégie qui était de s'attacher à cette institution et de la faire vivre après Lacan, en la faisant tourner – c'était l'avis de Lacan – dans une direction d'enseignement vraisemblablement contraire aux principales grandes orientations de son enseignement. Il y avait des grandes orientations de cet enseignement qui, sous le nom de l'Ecole freudienne de Paris, auraient pu, après Lacan, être renversées. C'est donc après ces trois mois – je les évoque brièvement – qu'a lieu le coup de tonnerre de la dissolution du 5 janvier 80.

Ce qui s'en est suivi a été dominé par de nombreuses assemblées, dont la dernière a eu lieu le 27 septembre 80, et qui est la date où a officiellement disparu l'EFP. Ces assemblées avaient été rendues nécessaires par le fait que la décision du 5 janvier avait été contestée sur le plan juridique par un certain nombre de membres, et cela avec mauvaise foi, puisque Lacan avait bien annoncé, dans sa lettre de dissolution, qu'il entendait convoquer une assemblée régulière de son Ecole pour voter cette dissolution. Ca figure en toutes lettres dans son séminaire du 5 janvier 1980. Il annonçait personnellement une dissolution, et il prévoyait en même temps la tenue d'une assemblée régulière des membres pour avaliser cette option, avec la possibilité de voter pour ou de voter contre. En oubliant cette phrase, un certain nombre de personnes ont porté accusation contre Lacan, en arguant non pas tellement de cette dissolution voulue par lui, mais des manquements mineurs du secrétariat qui aurait dû déposer des noms à la préfecture de police depuis dix ans – formalités qui avaient été négligées. Ces petites choses minimes ont donc justifié la tenue de nombreuses assemblées sous la houlette d'un administrateur judiciaire. Toute cette période, dont il faut bien dire qu'elle est de temps perdu, a occupé les membres de l'EFP du 5 janvier au 27 septembre 80. Je passe sur les détails... Voyez à quoi les analystes en groupe s'amusent...

Ces petites formalités ayant été enfin réglées, on est donc arrivé au 27 septembre 80, où une assemblée générale de l'EFP a régulièrement voté la dissolution de cette association. Au cours de cette première année, on avait vu déjà se séparer les membres de l'EFP. Ces membres étaient au nombre de six-cents et, au terme du 27 septembre où ils devaient se rassembler dans ce que Lacan avait baptisé la Cause freudienne, ils n'étaient plus que trois-cents, plus un certain nombre de gens nouveaux. Nous avons donc, ce 27 septembre, déjà poussé un soupir de soulagement: nous étions sortis de cette période institutionnelle.

C'est alors que nous avons eu une autre année, entre le 27 septembre 80 et le 9 septembre 81, qui est la date de la mort de Jacques Lacan, où se sont de nouveau divisées ces trois-cents personnes. A peine cette Cause freudienne avait-elle vu le jour, à peine sa mise en place faite, ses statuts déposés et ses premières nominations désignées par Lacan, elle s'est trouvée aussitôt dénoncée – j'ai été moi-même mis en cause . Nous avons vu progressivement, entre septembre 80 et Pâques 81, se défaire par pans entiers ce regroupement qu'avait effectué Lacan. Ça a été une période très curieuse. On a vu effectivement un certain nombre de personnes, qui avaient suivi Lacan pendant des années; considérer qu'il n'était plus là et se séparer de lui. Ca a été d'abord, au mois de décembre, dans la rumeur et l'insinuation, un premier lot de personnes, deux ou trois, les plus décidées. Puis, au mois de janvier, encore un autre paquet. Puis encore au mois de février. Chaque mois apportait son contingent de défections et de départs, agrémentés de lettres diverses et diversement injurieuses.

Cette époque s'est tout de même terminée juste après Pâques 81, avec la tenue d'un forum que Lacan avait convoqué en janvier, mais qui n'a certainement pas permis la réunification des anciens membres de la Cause fr'eudienne. Après Pâques 81, il y avait déjà l'embryon d'une Ecole avec Lacan à sa tête: l'Ecole de la Cause freudienne, dont les statuts ont été mis en débat au cours même de ce forum. Il y a là, entre Pâques 81 et septembre 81, une période spécialement difficile, parce que tout le processus était suspendu à la personne de Lacan, à sa réponse, à ses appréciations sur les proposition issues du forum, et que nous n'en avons eu aucune. Lacan est resté à peu près complètement dans le silence après ce forum dont la suite exigeait une réponse de sa part. De plus, il n'a plus fait son Séminaire.

On peut dire que ce processus est arrivé à son terme le 9 septembre, ce terme où, il faut bien le dire, tout apparaissait possible au point de vue institutionnel. Il n'était pas du tout assuré, à cette date, que cette Ecole de la Cause freudienne pourrait survivre à son fondateur, à celui qui avait dit qu'il adoptait cette Ecole pour sienne. Mais, depuis ce 9 septembre 81, on a assisté à quelque chose de surprenant, à savoir que cette Ecole de la Cause freudienne, qui ne comportait que cent membres de l'ex-EFP – c'est-à-dire un tiers de ceux qui étaient encore avec Lacan en septembre 80 – a gardé sa cohésion malgré la disparition de son fondateur, et a réussi à se donner un cadre institutionnel, cadre qui jusqu'à présent fonctionne, alors que tout ce qui s'était séparé dans le tohu-bohu des mois de décembre, janvier et février 80-81, s'est progressivement désagrégé, et n'a donné naissance qu'à des groupes presque individuels. A mon retour de vacances, on m'a fait parvenir des lettres que maintenant ces gens s'écrivent les uns les autres, et où ils se prennent à parti entre eux dans les mêmes termes qu'auparavant, quand ils s'en prenaient aux membres de l'ECF. On assiste donc à une désagrégation progressive.

Depuis ce 9 septembre 81, il est sensible que nous sommes entrés dans une époque qui est marquée, du point de vue institutionnel en France, par le relais pris par cette Ecole, après l'EFP que Lacan avait fondée et dissoute. Il me semble maintenant, à Pâques 82, que cette histoire pleine de bruit et de fureur, et qui a été diversement douloureuse pour beaucoup, s'achève. Le dernier trimestre de cette année verra les dernières instances de cette Ecole de la Cause freudienne se mettre en place, avec ses assemblées générales, ses congrès, le règlement de l'expérience de la passe, et l'on peut penser que l'année qui commencera en septembre marquera décidément la question instititionnelle comme close et surmontée.

Je dis cela pour marquer que nous n'aurons plus aucune raison de ne pas affronter la question de l'enseignement de Lacan et de la suite à lui donner. Nous avons essayé d'assumer cette tâche malgré ce bruit et cette fureur. Un certain nombre, à la Section Clinique ou ailleurs, essayaient de maintenir des enseignements, en étant en même temps tout de même conditionnés par cette évolution institutionnelle. Mais je crois que maintenant une parenthèse va pouvoir être posée sur cette période institutionnelle, et cela pour tout le monde. Pour tous ceux qui se sont trouvés liés à l'enseignement de Lacan, la question ne pourra plus être éludée de la suite à lui donner.

J'ai posé cette question au début de cette année, et je ne fais ici que bien mesurer que je ne serai pas le seul à me poser cette question qui, au contraire, va être partagée par tous dans le champ de la psychanalyse. Un certain nombre vont présenter cet enseignement comme un chapitre clos de l'histoire de la psychanalyse. D'autres vont au contraire ressasser cet enseignement. Et nous, nous aurons à formuler notre position qui jusqu'à présent suppose que l'on n'élude pas cet enseignement, que l'on ne joue pas à produire des signifiants nouveaux à la va comme je te pousse. La suite à donner à cet enseignement suppose au contraire, sinon un retour, puisque nous ne l'avons pas quitté, mais du moins une relecture opératoire. Il ne faut pas en particulier se méprendre sur le terme d'avancée de Lacan, qui est un terme flou, alors que son enseignement est une histoire faite de renversements, d'inversions de termes, de changements d'optiques, tels que j'essaye ici de les reconstituer. Aujourd'hui donc, après Pâques 82 – et ce sera clair pour tout le monde à la rentrée prochaine – on peut considérer comme presque close cette période de trois ans, qui a quand même été notre horizon fondamental, l'horizon fondamental de notre activité d'enseignement. Je crois que l'on va maintenant rentrer dans une période où l'enjeu est de donner ou non une suite à l'enseignement de Jacques Lacan. C'est pour cela que j'ai été un peu long avec ces réflexions que je me suis faites après la lecture de cet article du Monde et après mon retour de vacances.

J'ai dit qu'en cette partie de l'année nous allions nous attacher au concept de jouissance chez Lacan, concept qui n'a pris sa valeur qu'une fois que furent achevés les Séminaires du retour à Freud. Ce que j'appelle les Séminaires du retour à Freud, ce sont les dix premières années du Séminaire de Lacan, qui ont porté chacune sur un ouvrage ou deux de Freud. Ce sont des Séminaires qui, pendant dix ans, ont eu pour objet une lecture des textes freudiens. Ca s'appelait d'ailleurs Séminaire des textes freudiens. Or il est sensible que le concept de jouissance est, pendant cette période, en quelque sorte secondaire. Il n'apparaît pas du tout comme l'un des concepts fondamentaux nécessaires à structurer l'expérience analytique. Je crois que si on s'occupait des travaux des élèves de Lacan à cette date, on verrait que c'est un terme qui est absent de leurs réflexions.

C'est à partir du texte de "L'instance de la lettre" que l'ensemble de l'enseignement de Lacan est conçu. C'est à partir de ce texte qu'on lit et qu'on comprend Lacan comme d'un belvédère. J'ai essayé, dans le début de cette année, de marquer les limites de notre conception de l'enseignement de Lacan fondée sur "L'instance de la lettre". Je dirais, pour aller vite, que cette période est suivie par celle qui installe l'instance de la jouissance dans l'inconscient au centre de l'enseignement de Lacan. Il ne faut pas galvauder ce terme, mais je crois qu'il n'est pas excessif de faire graviter autour de lui les réflexions de Lacan, les réflexions parfois contradictoires de Lacan, ce qui n'épuise évidemment pas son effort de systématisation. Autant les dix premiers Séminaires sont des Séminaires de textes freudiens, autant les dix suivants sont ds Séminaires à proprement parler lacaniens, c'est-à-dire qui prennent pour thème les concepts mêmes introduits par Lacan.

Parmi ceux-là, je dirais que la jouissance est un concept discret. C'est seulement avec le dernier Séminaire de cette seconde série, c'est-à-dire le Séminaire Encore, que ce terme vient au premier plan, y compris pour les auditeurs. On pourra repérer chez les élèves de Lacan, quand on les lira d'une façon sinon objective, du moins historique, que ce terme commence tout de même, dix ans étant écoulés, à venir sous leur plume ou dans leur bouche. J'ai déjà évoqué ce concept de jouissance plusieurs fois, et j'ai marqué aussi que l'on peut en retrouver les linéaments dans les dix premiers Séminaires. Je ne suis pas à dire, en effet, que ça surgit d'un seul coup, comme Athéna de la cervelle de Jupiter ou de Zeus. Ca figure même dans le dernier texte des Écrits, mais à la limite.

Pour reprendre ma considération, je pourrais marquer le rapport de ce concept avec le terme dont il est question cette année à la Section clinique, à savoir le surmoi. En effet, s'il y a un texte de Freud que Lacan a repris dans la seconde partie de son enseignement, c'est bien Totem et Tabou – texte qui est minoré tout au long des Écrits parce qu'il manifeste une figure à laquelle il n'est pas facile de donner sa place dans le premier enseignement de Lacan, à savoir la figure du père qui jouit. Ca installe au premier plan cette singulière fonction du monopole de jouissance. Ca met même en évidence cette fonction virile essentielle qui est le plus d'une femme.

On connaît les efforts du christianisme pour essayer de discipliner l'homme, pour le cantonner au pas plus d'une. On voit aisément là un clivage entre ce pas plus d'une, qui a pour fonction de transmettre la fonction symbolique du nom, et le plus d'une qui peut exister dans le registre de la jouissance. Il y a eu des efforts syncrétiques pour essayer de dépasser cette organisation judéo- chrétienne. Lacan a marqué que si le catholicisme a pu avoir cette perdurance à travers le temps, ça devait bien tenir au fait que cette doctrine épousait des veines de la structure, qu'elle était tout de même, à certains égards, une possibilité préformée dans la structure. Pas cependant d'une manière unique, puisque l'islam épouse d'autres veines de la structure et exploite dans sa perdurance une autre de ses possibilités. Il faudrait d'ailleurs se poser la question de ce qu'il en est de la psychanalyse dans les pays musulmans. Lacan avait déjà exclu les Japonais de l'aire de la psychanalyse. On pourrait peut-être aussi en exclure lres musulmans, c'est à voir.

Il y a donc eu des efforts de syncrétisme. Je me suis amusé à lire, en Sicile où j'étais pendant ces vacances, l'histoire du royaume normand de Sicile, qui a duré pas mal d'années au cours du XIIe siècle, et qui a été une sorte d'exception ayant joué un rôle tout à fait important par rapport à l'empire germanique et à la papauté. C'est une histoire tout à fait amusante, une sorte de chronique qui a été écrite dans les années 70 par un lord anglais. Il devait avoir des loisirs, puisqu'il explique qu'il a commencé à l'écrire alors qu'il était à l'ambassade britannique de Khartoum. J'imagine qu'il s'est passionné pour ce royaume normand parce qu'on y voyait une sorte de réussite que n'ont évidemment pu tenir les Anglais dans leur empire, cet empire qui leur fait maintenant des problèmes. C'est là une forme syncrétique dont on regrette que ça n'ait pas pris, puisque le royaume normand de Sicile était un pays foncièrement grec, bien sûr latinisé, où se trouvaient – reste de l'occupation arabe qui a duré deux siècles – des Sarrasins, et où les Normands sont arrivés du Cotentin et sur l'injonction du pape. C'est là un mélange qui est donc absolument improbable et qui donnait un Etat où les finances étaient entre les mains d'un eunnuque sarrasin, et la flotte entre les mains d'un grec byzantin. Ils ont réalisé la chose la plus drôle, à savoir que le roi chrétien de Sicile avait un harem. On a vu, comme ça, pendant tout un siècle, les mœurs africaines et musulmanes se marier très bien avec le couronnement de ce roi par le pape, qui, à chaque nouveau roi, se faisait bien tirer l'oreille pour le consacrer à nouveau, mais qui finalement cédait.

Le royaume normand de Sicile peut donc faire rêver à ce que donnerait un syncrétisme entre les chrétiens et l'islam. Ces choses-là, on peut s'y intéresser, c'est très joli, mais enfin, au bout d'un siècle, ça s'évapore, sans autres traces que les traces architecturales qui sont d'ailleurs tout à fait plaisantes. Le royaume normand de Sicile n'épouse pas les veines de la structure, même si l'on pourrait, en manière de politique-fiction, expliquer ce qui se serait passé en Europe si ce royaume avait réussi à tenir le coup.

Il est amusant aussi de voir que dans ce gouvernement on faisait confiance aux eunuques. Pendant des siècles, les unnuques ont été spécialement disposés au gouvernement des hommes. Être gouverné par des hommes qui sont castrés est vraiment un motif de leur faire confiance. Dans les pays chrétiens, en Italie, on ne leur faisait visiblement pas confiance pour exercer le pouvoir, puisqu'on les faisait chanter. C'est drôle: pourquoi confie-t-on, dans une certaine tradition, le gouvernement aux eunnuques, et pourquoi, dans une autre, les fait-on chanter? Ça serait vraiment à retrouver.

Pour en revenir donc au sultan originaire, au père de Totem et Tabou, on peut dire que ce que ça se met en valeur chez Freud – si on aborde la question de la jouissance par là –, c'est que la jouissance originaire n'est pas celle de la mère et de l'enfant. C'est une longue tradition analytique que de faire de la mère et de l'enfant le repère central. La jouissance originaire n'est pas celle de la mère et de l'enfant, mais celle du père. C'est la fonction que Lacan finira par écrire non-phi de x. C'est là l'écriture lacanienne de Totem et Tabou:

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E x . Φx

Ca nous aide à bien saisir ce qu'est la fonction phallique dont il s'agit. La fonction phallique, telle que Lacan l'écrit et l'emploie, est équivalente à la castration. Nier la fonction phallique quand il s'agit du père de Totem et Tabou, c'est installer ce père dans la non-castration. Le père qui jouit de toutes les femmes, c'est le père non castré, et ça s'écrit non-phi de x, ce qui veut dire que le grand phi tout seul ne désigne pas chez Lacan la puissance phallique. Le secret de ce phi, c'est la castration. Lacan a proposé plusieurs formules qui articulent ce phallus à ce qui s'en dissimule dans la fonction phallique. Disons donc que c'est ce point de non-castration qui est le repère essentiel de toute la fonction phallique. C'est le point essentiel à partir duquel les hommes se reconnaissent comme étant tous inscrits dans la fonction phallique, c'est-à-dire dans la castration.

C'est là que Lacan propose une jonction entre Totem et Tabou et ce que Freud a élaboré dans "Le moi et le ça". C'est même ce qu'il nous a donné comme repère le plus précis sur l'abord à faire du surmoi. Le surmoi au sens de Lacan est connecté au il existe un x pour non-phi de x. Je le cite: "Le surmoi est lié à la jouissance pure, c'est-à-dire à la non-castration." C'est évidemment une fonction-limite, une fonction qui n'est réalisée par nul être vivant. C'est ce qui donne toute sa valeur au père mort. Dans la psychanalyse, il n'y a pas de père qui soit vivant. C'est ce que relevait Lacan en disant qu'on n'analyse jamais un père mais toujours des enfants. Ca conduit à saisir toute la valeur de l'impératif surmoïque: Jouis! C'est de ce point-ci que peut se formuler cet impératif, dans la mesure même où il est impossible à satisfaire. C'est ce qui conduit Lacan à bien poser que cet impératif du surmoi surgit au déclin de l'Œdipe. Il est strictement connecté avec la castration oedipienne. Dans la mesure où le sujet passe par la castration oedipienne, le père se fait entendre comme surmoi dans ce Jouis impossible à satisfaire.

Ce surmoi d'après l'Œdipe demande évidemment d'être articulé avec la castration structurale, celle qui n'est ni d'avant ni d'après l'Œdipe, celle qui tient à proprement parler à la subversion du sujet, celle qui s'écrit $. Là, il s'agit précisément de la non-castration qui s'écrit non-phi et de la castation qui s'écrit phi. C'est comme cela que s'écrit cette castration post-oedipienne, qui est à articuler avec le terme que je proposais auparavant pour écrire le surmoi et qui est phi zéro, à savoir la non-castration que comporte la jouissance pure du surmoi:

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Φ Φ Φ0

Ce sont là deux fonctions qu'il faut distinguer dans la négation. Avec cette négation fondatrice du père, c'est-à-dire le non-phi, et avec le phi zéro corrélatif de la forclusion du père dans la psychose, nous avons deux négations distinctes, l'une fondatrice du père, et l'autre fondatrice de sa forclusion. Elles ont des effets strictement contraires. Cette non-castration du père, qui permet de formuler le Jouis comme ordre impossible, est évidemment productrice du réel, à partir précisément de l'impossible de cette jouissance. C'est même là que le noyau de vérité qu'il y a dans le principe de réalité de Freud pourrait trouver à se fonder. C'est à partir de l'impossible de cette jouissance que le réel comme impossible trouve à se fonder. A partir de phi zéro, le réel ne trouve pas à se fonder. Il ne trouve pas à se fonder dès lors que le Jouis est accompli. Pour Schreber, le Jouis du surmoi n'est pas du tout impossible. L'histoire de Schreber est l'histoire de l'accomplissement méthodique de cet impératif. Schreber finit par nager dans la jouissance pure. C'est évidemment pour lui un ordre très difficile à satisfaire mais non impossible. Tel qu'il se présente à nous, animé d'un va-et-vient que lui impulse la jouissance divine, il marque qu'il surmonte, lui, l'impossible de ce commandement.

Il y a là un paradoxe. Ce surmoi, c'est une figure de l'Autre, mais qui se distingue par ceci, qu'elle contiendrait la jouissance qui serait complète, non barrée. Le surmoi présente une sorte de réconciliation paradoxale de l'Autre et de la jouissance. C'est ce qui fait d'ailleurs sa fonction politique, celle que traditionnellement on a appelée les lendemains qui chantent. Évidemment, quand nous savons ce qui fonde le chant en dernière instance, on se rend compte que les lendemains qui chantent sont bien près de déchanter. On s'aperçoit de ce qui leur est réservé, à ces chers lendemains. Les lendemains qui chantent, c'est la promesse de l'Autre non barré, c'est-à-dire d'un Autre qui serait recéleur de jouissance.

J'ai marqué le paradoxe de cette fonction du surmoi par rapport à l'Autre et à la dialectique du désir. La dialectique du désir, c'est mettre au premier plan la mouvance du désir, sa surprise, son côté furet: il n'est jamais là où l'on croit. La subversion du sujet lui est strictement corrélative. La subversion du sujet, qui s'écrit aussi $, c'est la dépendance du sujet à l'endroit du signifiant. Le sujet est subverti dans la dialectique du désir. Ces deux termes ne font pas place à la jouissance. Il n'y a pas de place pour la jouissance entre subversion du sujet et dialectique du désir – ces deux termes d'un article essentiel de Lacan, où il rassemble les résultats des dix dernières années de son Séminaire, dans une présentation vraiment très synoptique avec les graphes. La fonction primordiale de la jouissance vient, dans le texte même, comme en biais et comme la promesse grosse de tout le développement ultérieur de l'enseignement de Lacan.

Je dirais que si la psychanalyse n'était que la subversion du sujet et la dialectique du désir, cela donnerait une idéalisation. Le sujet subverti comme tel, c'est le sujet de la science. C'est bien ce qui permet de dire que le sujet de la psychanalyse est le sujet même de la science. Et le sujet de la subversion du sujet, c'est quoi ? C'est certainement ce sujet subverti par le signifiant, mais qui ne demande – c'est ce que l'on constate – qu'à venir en position de commander au signifiant. C'est ce mouvement-là que nous pouvons suivre. Le sujet subverti par le signifiant, le sujet qui se véhicule et qui se représente dans la chaîne signifiante, ne demande au temps suivant – qui est celui de l'hystérie mais qui est aussi bien celui de la science – qu'à venir commander au signifiant. C'est justement cela qui met le sujet en position de subvertir le signifiant, ou, en tout cas, d'y commander. Par contre, lorsque le sujet est en position de vérité par rapport à la chaîne signifiante, il se manifeste comment? Il se manifeste par ces irruptions que Freud a étudiées dans le détail: le lapsus, le mot d'esprit, l'acte manqué. Là, le sujet vide, instable, divisé, est mis en évidence. Mais tant que nous nous repérons seulement sur ce $, nous nous repérons sur une fonction qui est essentiellement la fonction mobile du sujet, et qui est tout à fait distincte de la fonction inerte que constitue l'objet a.

Ce qui a séduit dans le sujet divisé de Lacan – malgré les résistances qu'il a rencontrées – c'est au fond le sans-attache de ce sujet, sa liberté. Ce qui a séduit, ce sont les moires du désir et la liberté de ce sujet. C'est là qu'un idéalisme a pu se reconstituer à partir de l'enseignement de Lacan. L'objet a comme objet inerte n'a évidemment pas engendré le même enthousiasme. Non seulement ça ne l'a pas engendré, mais lorsque j'avais rappelé la fonction que Lacan lui attribue dans la position de l'analyste, ça m'avait valu des reproches extrêmement durs de la part d'un certain nombre de ses plus anciens élèves. L'identification au sujet barré apparaît évidemment beaucoup plus prometteuse et charmante. L'accent mis sur le signifiant comme fondateur du sujet, comme producteur du sujet, est bien sûr une subversion du sujet, mais en même temps contient toujours la promesse du sujet au poste de commandement. Cette subversion peut paraître anti-narcissique, puisqu'elle subvertit l'idéologie et la fantasmatisation du moi, mais elle contient toujours la promesse du sujet au poste de commandement.

Ca a conduit toute une part des analystes qui ont suivi Lacan, à ne pas voir d'autre position pour l'analyste que celle de l'hystérique. Ca les a conduit à ne pas pouvoir imaginer intervenir dans la cure d'une autre position que celle de l'hystérique. Quand je dis dans la cure, je suis bien gentil, puisque cela était aussi évident dans leurs manifestations publiques. Je veux dire que la simagrée à laquelle ils s'étaient identifiés dans leur vie publique, dans leur positiobn sociale, était profondément celle de l'hystérie.

L'accent de Lacan s'est déplacé jusqu'à considérer que l'objet a est fondateur du sujet. Ne croyez pas que ça ne produit pas un déplacement d'accent sensible. Evidemment, Lacan, il essaye de rafistoler ces deux choses- là. Il essaye de les rabouter, et pas avec des petits moyens. Mais je crois cependant que la tension entre ces deux orientations est tout à fait essentielle. D'un côté, nous avons la subversion du sujet. Cette subversion du sujet, nous savons ce qu'elle est. C'est la subversion qu'implique S1/$. C'est la subversion que comporte la part même mise sur le sujet par le signifiant qui effectue le sujet, qui le met en position d'être véhiculé dans la chaîne signifiante, d'être identifié par le trait unaire, etc. Autrement dit, la subversion du sujet concerne essentiellement le rapport du sujet au signifiant. C'est bien pourquoi Lacan a dû introduire un autre terme quand il s'est agi de qualifier les rapports du sujet et de l'objet a, à savoir le terme de destitution subjective – terme dont on se sert un peu à l'aveugle et qui concerne le rapport du sujet barré et de l'objet a.

Quel est donc le rapport entre subversion du sujet et destitution subjective ? C'est là que c'est amusant. La destitution subjective, telle que Lacan la formule comme expérience terminale de l'analyse, tient à la séparation du sujet et de l'objet a. Ca nous oblige à introduire un terme supplémentaire, celui d'institution subjective, et de considérer que cette institution tient au contraire à la connexion du sujet barré et de l'objet a. C'est un raisonnement simple. Si la destitution du sujet – à distinguer de sa subversion – tient à la séparation du sujet et de l'objet a, c'est donc que Lacan considère – je prends ça comme hypothèse – que l'institution subjective tient à la relation du sujet barré et de l'objet a, relation qui en première analyse constitue le fantasme même, la formule même du fantasme : ($ <> a). C'est ce qui fonde que Lacan localise – et c'est tout à fait remarquable – l'expérience finale de l'analyse au niveau du fantasme et non au niveau du symptôme.

On voit là ce que veut dire le rappel de Lacan, dont il faut bien dire qu'on n'en a pas tenu compte dans l'EFP, à savoir que l'interprétation porte sur l'objet a. L'interprétation analytique porte fondamentallement sur l'objet a. C'est deux positions différentes que de dire que l'interprétation porte sur le sujet barré, c'est-à-dire sur le sujet du désir, et de dire qu'elle porte sur l'objet a, c'est-à-dire sur la cause du désir. Ca se retrouve dans les textes les plus récents des personnes qui se querellent maintenant entre elles. Ils ne comprennent évidemment pas du tout sur quoi ils se querellent. Ils mettent en cause ce qu'ils appellent la pratique du Lacan des dernières années, c'est-à- dire qu'ils restent attachés au style d'interprétation qui porte sur le sujet du désir et non pas à celle qui porte sur la cause du désir.

On peut dire que le sujet arrive dans l'analyse comme étant foncièrement le sujet du discours du maître. On peut évidemment le laisser dans cette position. On peut considérer que l'analysant est foncièrement le sujet du discours du maître. Ca donne alors cette théorie folle, qui a même maintenant un petit organe de publication pour se répandre, celle qui consiste à proposer à l'analysant de s'assujettir aux signifiants du discours analytique. C'est une des tendances où, d'une façon tonitruante dans le petit marais des publications, on en vient à dire que l'analysant arrive comme sujet du discours du maître, et qu'il s'agit de le laisser dans cette position pour qu'il s'assujettisse aux signifiants du discours analytique lui-même conçu comme discours du maître. Ca donne un enseignement paranoïaque qui est de demander aux esclaves de se lever, ce qui est un comble.

La position de Lacan est toute différente. Elle est de poser que même si le sujet arrive à l'analyse comme sujet du discours du maître, il va fonctionner foncièrement comme sujet du discours de l'hystérique. C'est là qu'il relève un petit peu ce qu'on a ressassé comme une petite chanson, à savoir que la psychanalyse consiste à hystériser le sujet. Tout le monde a vu que Lacan avait touché là quelque chose de vrai, et tout le monde s'est mis à répéter ça. Mais il faut voir que ça n'a vraiment de valeur que si l'on saisit que l'autre hypothèse serait de continuer de maîtriser le patient, c'est-à-dire de le laisser dans l'état où il arrive comme sujet du discours du maître. Cette hystérisation, elle veut dire quoi? Ça veut dire que le sujet passe de sa position de vérité à sa position d'agent dans le discours.

Quand vous faites un lapsus dans une assemblée, vous vous ridiculisez, à moins que vous arriviez à faire passer ça pour un mot d'esprit. Mais disons que ce lapsus n'est pas ce qu'on attendait de vous, et que ça émerge effectivement comme une vérité que vous lâchez. Et comme le lapsus freudien est connu de tout le monde, tout le monde est en plus persuadé d'attraper là quelque chose de vous, quelque chose d'authentique. C'est ça que veut dire le sujet en position de vérité dans le discours du maître. Dès que l'on est dans le discours hystérique, c'est complètement différent. Il y a tout un lot d'émergences qui perdent absolument cette valeur déterminante, parce que précisément carrière est ouverte. Quand un analysant ne fait pas assez de lapsus dans son analyse, il est déçu. Vous voyez comment ça s'inverse par rapport à la localisation dans le discours universitaire ou dans le discours du maître.

C'est d'ailleurs ce que signifie exactement l'association libre. Lacan a dit qu'il n'y avait rien de plus nécessaire et de plus déterminé que l'association libre, et tout le monde s'est mis à répéter ça. L'association libre, ça veut que le sujet est invité à quitter sa position de vérité pour donner libre cours au jeu du signifiant, pour se mettre à jouer au jeu du signifiant. Il est le joueur du signifiant. A cet égard, il commande au signifiant. Dans une partie de cartes, une fois que les cartes sont données, on suit la donne comme on peut, mais il n'empêche que c'est un jeu. L'association libre comporte l'institution du sujet à la condition de joueur.

Ce que comporte le schéma des quatre discours de Lacan, c'est que l'interprétation ne doit pas porter sur le sujet en position de vérité, puisque le sujet est foncièrement hystérisé dans l'expérience analytique. L'interprétation doit au contraire porter sur ce qui fait vérité pour le sujet hystérique ou hystérisé, et je vous fais remarquer que c'est le fameux objet a que vous avez en position de vérité dans le schéma de Lacan. Bien sûr qu'il est vrai que le sujet est la vérité du signifiant, nous le vérifions tout le temps. Mais nous pouvons aussi vérifier spécialement que la vérité du sujet c'est sa jouissance. Ça donne une tout autre tablature que le premier aspect que j'évoquais. Je dirais que l'interprétation analytique est continuellement celle qui, portant sur la jouissance comme vérité, fait émerger cette jouissance en position d'évidence. C'est cette interprétation que vise Lacan. C'est celle qui, portant sur la vérité du sujet comme jouissance, installe cette jouissance en position maîtresse, et c'est à cet égard que l'interprétation fonde continuellement la position de l'analyste.

Ca introduit évidemment un accent très nouveau chez Lacan, celui de la dévalorisation de la vérité. Pendant toute une période de cet enseignement, la vérité est valorisée. Elle est d'abord valorisée comme située au lieu de l'Autre, comme garantie par l'Autre. Elle est aussi valorisée comme surprise, émergence, et aussi bien comme ayant structure de fiction. Mais ce que l'on observe progressivement dans cet enseignement, c'est au contraire la dévalorisation de la fonction de la vérité, cette dévalorisation étant spécialement liée au fait que la jouissance se trouve occuper la place de la vérité.

C'est là que se résout cette difficulté que j'ai déjà signalée et qui est celle de l'articulation de la pulsion et du désir. Le désir, le désir comme rapport métonymique d'un signifiant à un autre, est un sous-produit. Tel que Lacan le resitue au milieu de ces dix premières années, c'est un sous-produit de la demande. Il n'y a désir que comme sous-produit de la demande, ce qui veut dire que d'abord on en parle. Le désir n'est pas une fonction silencieuse mais une fonction qui est au contraire à articuler au dit. C'est par rapport à la demande, qui est toujours une articulation signifiante dont le minimum est S1- S2, que le sujet barré du désir est continuellement supposé. Si je pose ainsi le désir, je fais valoir la formule de la pulsion telle que la donne Lacan : ($ <> D). Cette pulsion suppose l'extinction de la demande mais reste interne et structurée par le signifiant, par ce trait du signifiant que Lacan appelle dans la pulsion la coupure. Dans "Subversion du sujet et dialectique du désir", Lacan considère que tous les objets en question dans la pulsion freudienne portent ce trait de coupure.

Disons que c'est là-même que Lacan situe – et en même temps évite – la place de l'objet a dans ce texte de "Subversion du sujet". Et disons que ce à quoi on assiste par la suite est une inversion. La formule même que Lacan donne de la pulsion dérive du désir et de la demande. La pulsion, comme il le dit, c'est ce qui reste de la demande quand le sujet s'y évanouit. Cette déduction suppose que l'on parte du désir et de la demande pour arriver à la pulsion.

Mais ce à quoi Lacan viendra par la suite est tout à fait différent, puisque l'objet a deviendra la cause du désir. La conception sera exactement inversée par rapport à la première. Pendant tout un temps, on va du désir à la pulsion. Puis, dans un second temps, on va de la jouissance au désir. C'est déjà présent dans la question que j'évoquais, celle de comment la pulsion peut condescendre au désir.

Ce que les quatre discours essayent d'articuler, c'est comment, sous un premier aspect, ce fameux objet a est un objet produit par le signifiant, découpé par le signifiant, est un objet chute – c'est ce que Lacan répète dans les années 70: le signifiant découpe le corps de l'homme –, et comment, sous un autre aspect, il est en même temps cause du désir. Les petites machines tournantes des quatre discours essayent, sous une forme plaisante et simple, de résoudre cette aporie. Ces petites machines qui tournent permettent justement d'installer que ce qui apparaît d'abord comme produit dans le discours du maître, apparaît dans le discours de l'hystérie comme l'objet- vérité à la place de la cause, comme l'objet cause. Vous avez là une façon de rendre compatible le fait que le signifiant soit la cause du sujet et le fait que l'objet a soit la cause de la division du sujet. Dans les textes, vous voyez tourner toutes ces expressions, mais comprenez que l'extraordinaire efflorescence de cette rhétorique lacanienne tient aux difficultés tout à fait précises que Lacan rencontre de texte en texte, et toujours sur ces mêmes points. Dis ans après sa présentation du Graphe, les quatre discours représentent un effort théorique extraordinaire pour présenter, surmonter et exploiter les propres contradictions de son élaboration.

Pour les pulsions, ce qui est frappant, c'est qu'on en donne effectivement la liste, la liste finie, et qu'elles apparaissent à cet égard comme autant de conséquences du signifiant sur la jouissance de l'homme. Le sujet barré, c'est aussi bien un sujet aux pulsions, aux pulsions et aux fantasmes. Ce sont là deux termes qui sont dans une jonction fondamentale. Il faut évidemment tout le détour de l'enseignement de Lacan pour arriver à les raccorder. Sans ça, on laisse irrémédiablement le fantasme au registre de l'imaginaire et la pulsion au registre du brut instinct naturel. Le progrès de l'enseignement de Lacan a conduit à faire de la pulsion et du fantasme des termes quasiment équivalents.

C'est bien pour cela que tout le monde s'est demandé, dans le Séminaire XI où Lacan évoque la traversée du fantasme comme étant l'issue de l'expérience analytique, pourquoi il demande en même temps ce qu'est la pulsion pour un sujet qui a traversé le fantasme. C'est bien parce que ces deux termes ont une certaine équivalence qu'il peut formuler cette question. Il avait déjà d'ailleurs approché cela dans les Écrits, quand il évoquait le névrosé et qu'il disait que chez l'obsessionnel la demande fait fonction d'objet a dans le fantasme. C'était déjà marquer une jonction, un recouvrement possible entre pulsion et fantasme. Je dirais que la formule comme quoi l'objet a fait fonction de cause du désir, implique le recouvrement du fantasme et de la pulsion. Ça bouge évidemment le statut du fantasme, ça désimaginarise sa fonction. C'est là un mouvement constant dans l'enseignement de Lacan.

Il n'y a pas trop de problèmes pour rapprocher pulsion et demande. Dans la psychanalyse, on ne s'est jamais servi de la pulsion que comme d'une demande silencieuse. Mais à partir du moment où Lacan a installé l'objet a au cœur de la pulsion, il est évident que la formule ($ <> a) supplante la première formule de la pulsion ($ <> D). Lorsque Lacan a créé ces deux écritures, la demande était un terme fondamental de son enseignement. Mais vous pouvez constater qu'à partir d'un certain moment, ça a été un terme qui a été progressivement minoré. Ce qui au contraire est apparu essentiel comme permettant l'articulation de la pulsion et du fantasme, c'est l'objet a, l'objet acomme réel. On peut dire que c'est comme si la seconde formule supplantait la première. Lacan a progressivement confondu fantasme et pulsion. Il a découvert une dimension où fantasme et pulsion s'équivalent.

Dans cette optique, vous avez deux rapports essentiels, et deux seulement: la subversion du sujet par le signifiant, et l'institution subjective due à l'objet a – institution qui est équivalente à une division. Ces deux formules sont les deux formules essentielles. S1 ne se conçoit pas sans S2, et ce que Lacan construit avec ses quatre discours, c'est la jonction dee ces deux formules. Si vous aviez à mettre la demande quelque part, où est-elle ? Elle est incluse dans le S1-S2. Cette demande, qui évidemment prend la forme de la suggestion et de l'ordre, est incluse dans S1-S2. C'est essentiellement avec ces deux formules – la subversion du sujet par le signifiant et l'institution subjective due à l'objet a – que Lacan fonctionne ensuite dans son enseignement.

Tout cela implique quoi ? Ca implique déjà le non-rapport sexuel. Du point de vue de la jouissance, le sujet a rapport avec l'objet a et non avec l'autre sexe. Ni la jouissance phallique ni la jouissance de l'objet a ne sont sexuelles chez Lacan. Ce qu'il appelle rapport sexuel comporte nécessairement référence à l'autre sexe. Or, les quatre discours sont construits essentiellement sur le rapport du sujet, de l'objet a et du signifiant, et non pas sur le rapport à l'autre sexe. Ni dans le rapport au signifiant, ni dans le rapport à l'objet a, le rapport à l'autre sexe ne trouve de fondement. Je dirais que pour le sujet analytique tel que Lacan le situe, d'un côté par rapport au signifiant et de l'autre côté par rapport à l'objet a, il n'y a pas de place pour le rapport avec l'autre sexe. Le rapport à l'autre sexe n'est pas l'une des coordonnées fondamentales du sujet tel qu'il émerge dans chacun des quatre discours. C'est bien cela qui l'occupe, Lacan. C'est parce que c'est nulle part que ça l'occupe tout le temps. Mais ça ne l'occupe pas sous les espèces de ces rapports que sont chacun des discours.

Il s'agit là – je l'ai déjà fait valoir – de la doctrine qui rend compte de la sublimation. Le scandale, ce qui était inintégrable par les postfreudiens, c'est que Freud ait pu dire que la pulsion pouvait se satisfaire hors du but sexuel, c'est-à-dire dans la sublimation. Or la pulsion, parce qu'elle est d'abord rapport à l'objet a, est foncièrement dans cette position. Je dirais même que toute pulsion se satisfait hors du but sexuel. Ce n'est que par un rapport second qu'elle peut être mise en rapport avec l'autre sexe. Dans tout l'enseignement de Lacan, le rapport à l'autre sexe apparaît comme un forçage et demande qu'on en rende compte comme de quelque chose qui n'est pas naturel. Quand Lacan a formulé son "Il n'y a pas de rapport sexuel", ça remettait évidemment en série ce qui apparaît continuellement dans son enseignement, et aussi bien dans l'expérience analytique qui est justement le témoignage de ce non-rapport sexuel.

La sublimation, c'est normal, c'est même l'état natif, et ce qu'il faut arriver à comprendre, c'est comme la pulsion peut être tout de même raccordée à un but sexuel. Comment est-ce que la jouissance de la pulsion peut-elle condescendre au désir de l'Autre ? Ça m'a beaucoup frappé qu'on ne comprenne pas du tout la phrase de Lacan selon laquelle la sublimation permet à la jouissance de condescendre au désir. C'est pourtant un point décisif. La jouissance comporte en elle-même quelque chose de fermé sur elle-même, et c'est seulement dans un second temps que l'Autre peut s'y inscrire.

Il y a donc l'amour de sublimation qui permet à la jouissance de condescendre au désir, et il y a spécialement l'amour sublimation dans la psychanalyse. Pourquoi la jouissance du symptôme accepte-t-elle de condescendre au désir de l'Autre lors de l'entrée en analyse ? L'hypothèse des freudiens a été évidemment qu'il y a une pulsion sexuelle, tandis que toute la construction de Lacan pose qu'il n'y en a pas. Il y a évidemment des choses qui y ressemblent, par exemple la pulsion altruiste. C'est ce qui conduit Bertha Pappenheim à devenir une grande infirmière. Ça donne le sentiment d'une ouverture sexuelle à l'autre, c'est ce qui fait penser à la pulsion sexuelle. On peut admettre qu'il y a un rapport pulsionnel. Pourquoi pas ? On peut admettre que chacun se voue à réaliser son rapport pulsionnel, c'est-à-dire son entente avec l'objet a. Mais s'il y a un rapport pulsionnel, il n'y a pas pourtant pas de rapport sexuel.

On s'est beaucoup cassé la tête sur le terme de rapport dans la phrase de Lacan. Mais avant de se casser la tête sur ce terme, il faut bien voir ce que Lacan entend par là, à savoir que la jouissance sexuelle suppose l'Autre. Sous quelle forme le suppose-t-elle ? Il y a eu beaucoup d'inventions pour essayer de construire le rapport sexuel sur sa propre inexistence. C'est se servir d'un rapport qui existe pour tout être parlant et qui est le rapport à l'Autre, pour mouler là-dessus le rapport sexuel. C'est se servir du rapport au lieu de la vérité – rapport qui existe pour toute personne qui parle – pour faire exister le rapport sexuel. Ca demande d'abord que l'on confonde la femme avec la vérité, ce à quoi les hommes, il faut bien le dire, sont spécialement prompts. A ce moment-là, on peut jouer à faire exister le rapport sexuel, y compris sur les modes de la négation.

C'est pourquoi Lacan a pris comme repère l'amour courtois et sa mise en scène de la sublimation. L'amour courtois fait exister le rapport sexuel sur le mode même de s'y refuser. Ca consiste à identifier une femme à l'Autre, et donc à en faire La femme, ce qui suppose, comme le dit le poète, qu'on en reste séparé à jamais. C'est par là justement que la femme arrive à être la Chose comme lieu de la jouissance. Dans l'amour courtois, on arrive à rendre compatibles l'Autre et la jouissance. C'est évidemment une invention extraordinaire.

J'ai lu, pendant ces vacances, un article du nommé Leo Spitzer sur le troubadour Jaufré Rudel, où il polémique avec un adversaire pour savoir si l'amour lointain dont parle ce troubadour est une femme ou la terre promise. Spitzer doit avoir raison en disant qu'il s'agit d'une femme, en disant que c'est beaucoup plus amusant que s'il s'agissait de Jérusalem, et que donc, sauf à avoir des arguments extrêmement forts, on n'a pas de raison de renoncer à ça.. Ce qui est surtout amusant, c'est de voir à quel point cette conception de l'amour s'est infiltrée dans nos manières les plus constantes. Spitzer donne, d'une façon un peu lourde, la description du comportement du gentilhomme, de l'homme de bonne compagnie à l'égard des femmes, à savoir que pour bien se conduire en société, il faut justement laisser entendre aux femmes qu'on les désire mais qu'on en est justement séparé. Dans toute conversation de salon, il y a déjà le modèle du troubadour qui est présent en miniature.

Je vous lis le passage: "Car, en somme, n'est-ce pas l'attitude du troubadour vis-à-vis de la femme qui inspire nos relations de salon avec celle-ci, avec la femme, mariée ou jeune fille, qui ne nous appartient pas – relations toutes empruntées de cette chevalerie chrétienne médiévale. Le cavalier d'une dame à une table de dîner ou sur une causeuse de salon, le danseur qui fait danser une femme, donnent encore aujourd'hui à entendre aux femmes, par des signes discrets, comme les troubadours du XIIe siècle, qu'ils les convoitent sans demander la consommation, par respect pour la valeur morale de la femme. Ces hommes de société répètent en somme la promesse de Jaufré: Non querei conquits. Qu'on songe à ce que cette fiction d'érotisme de la possibilité d'un roman entre un cavalier et sa dame produit de piquant, de raffinement et de playfulness dans la vie de société. L'école des troubadours a donné un tour original à un thème essentiel de la vie occidentale: l'attitude qui convoite la femme et la respecte, et elle a par là contribué d'une façon durable à enrichir la vie des sexes dans la société."

C'est une chute possible pour ce petit redépart d'aujourd'hui. Je reprendrai les choses systématiquement la semaine prochaine.


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