Скоро! Анонс новой программы на учебный год 24-25: «Элементарные феномены в клинике психозов»
Скоро! Анонс новой программы на учебный год 24-25: «Элементарные феномены в клинике психозов»

Жак-Ален Миллер , курс 2010-2011 гг
Бытие и Одно // Совсем Одно
9 сеанс, 30 марта 2011

Жак-Ален Миллер, курс 2010-2011 гг
Бытие и Одно // Совсем Одно
9 сеанс, 30 марта 2011
Il s'agit ici du réel dans l'expérience analytique. Dans la vôtre aussi bien, comme analysants, comme praticiens. Et non pas seulement parce que du réel Lacan en a parlé, et que nous essayons ici depuis de longues années de le déchiffrer. Car si du réel il a parlé, c'est à notre usage, pour nous diriger, nous orienter, nous faire entrevoir en quoi l'expérience analytique, celle à laquelle nous nous prêtons comme analysants, celle que nous mettons en branle comme praticiens, en quoi cette expérience demande pour être pensée que soit introduite la référence au réel.

Je dis: pour être pensée. La question se pose de savoir pourquoi l'expérience analytique, il faudrait la penser. Après tout, on pourrait s'en passer. La meilleure preuve, c'est qu'on s'en passe très bien, au nom d'un ça marche. C'est l'éblouissement du débutant. On constate que même s'il ne s'y retrouve pas, dans un certain nombre de cas, ça marche quand même. Et on peut s'en satisfaire, on apprend souvent à s'en satisfaire; on pou rrait appeler ça du pragmatisme. On parle de pragmatisme chaque fois qu'on considère que ça se passe très bien d'être pensé.

Et pour asseoir cette position, cette paresse, on pourrait jeter la suspicion sur la volonté de penser. Il ne serait pas difficile de soutenir qu'elle conduit à des élucubrations incertaines, à ce que Kant appelait Schwärmerei – des rêveries, illusoires, inconsistantes.

On pourrait même en trouver la preuve dans les variations de la doctrine de Freud dont le développement est scandé par le passage d'une topique à une autre.

On la fonderait encore plus commodément en considérant les variations de Lacan. Ce qu'il appelait ses avancées, tout au long de trente années d'enseignement d'où se déprenaient régulièrement des écrits, tout au long de ce temps, il pouvait se vanter de ne jamais répéter, de ne jamais dire la même chose, mais justement, il serait aisé d'en faire une objection. S'il y a là une pensée qui ne s'arrête jamais, peut-être mérite-t-elle à ce titre d'être négligée.

Et ce qu'on pense pâlit auprès de ce qui se fait, ce qui se passe, ce qui a lieu. Et on pourrait même dire que dans la psychanalyse, ce qui a lieu se tient essentiellement au niveau du cas dans sa singularité, et que le concept, si c'est là la forme, l'instrument de la pensée, est impuissant à saisir cette singularité.

Donc, penser peut sembler très à distance de ce qui a lieu. Et puis au- delà, on pourrait prendre appui sur un dit de Lacan dont on ferait un slogan: «L'analyste ne pense pas». Dans son acte, il s'efface, il efface sa pensée, il retient sa volonté de penser, et reste sa présence, il doit être là. Le minimum, c'est qu'il livre son Dasein; encore qu'à la limite, on pourrait même soutenir qu'il peut se passer d'être là, c'est en tout cas la pensée maligne que donnait cette anecdote qui a été colportée sur Lacan: il avait fait une fois payer une séance alors qu'il était absent. Mais ce n'est pas fo rcément infondé, puisque déjà celui qui a à penser, à savoir l'analysant, avait mis en train ses associations et qu'il n'ait pas eu la possibilité de voir l'analyste ou de lui toucher la main, c'est un détail qui peut passer pour sans importance. Enfin, on se gardera de faire la théorie de l'analyse sur le fondement fragile de cette anecdote qui a fait rumeur mais dont rien ne valide le fait, et il faudrait en plus connaître les circonstances, si ça a été un fait.

Toujours est-il que l'accent est mis sur la présence de l'analyste au détriment de ce qui serait la pensée. C'est que la pensée, vue dans la perspective de l'expérience analytique, a des accointances avec le fantasme. On peut donc jeter la pensée avec l'eau du fantasme. Qu'est-ce que ce serait, une présence sans pensée?, une présence de l'analyste qui serait toute réceptivité et qui ouvrirait sur un laisser être?

J'arrête là ces suppositions dont il faut croire qu'elles ne vous touchent pas puisque vous êtes ici. Ici où pour ma part je compense ma non-pensée comme analyste dans l'acte en me livrant à des exercices de pensée.

Et je me contente d'opposer à tout ce qu'on pourrait développer à l'encontre de la volonté de penser ce que Lacan formule au titre d'un tirer au clair. C'est une expression qui figure dans la répons e que jadis il m'avait donné quand je le questionnais, ou plutôt quand je le mettais à l'épreuve des trois questions kantiennes, elles -mêmes reprises de la tradition philosophique, et spécialement de celle-ci, où elles culminent: que dois-je espérer? Et Lacan avait eu la malice de l'entendre comme assumée par moi en première personne – à cette date en effet la question pouvait se poser pour moi, que dois-je espérer de la psychanalyse ? – et Lacan de répondre: «La psychanalyse vous permettrait [...] de tirer au clair l'inconscient dont vous êtes sujet». Et il y a dans ce tirer au clair en effet quelque chose qui sans doute m'était adressé comme sujet puisque mon goût de la clarté, ma façon d'être clair n'échappe pas à mes auditeurs, mais au-delà indique l'orientation dans le penser l'expérience analytique.

C'est un fait que certains essaient de s'y retrouver, il ne s'agit pas de se retrouver soi-même mais d'organiser ce qui se présente. C'est bien ce qui animait Lacan quand il disait qu'il avait consacré, au moins longtemps, à faire des allées à la française de ce qui était le fouillis des concepts freudiens.

Et au-delà, il y a une dimension que l'expérience nue n'introduit pas. C'est celle que souligne Lacan dans les Autres écrits page 461 quand il écrit: «Il s'agit de structure, soit de ce qui ne s'apprend pas de la pratique [...]» Il y a là soulignée une discontinuité, un saut qui est à faire pour penser l'expérience au niveau de la structure. Encore faut-il savoir laquelle.

La psychanalyse est en effet une pratique. Ça veut dire que ça n'est pas une théorie, elle implique une mise en acte, elle est une mise en acte. Et sans doute, là plus qu'ailleurs, l'acte dépasse la pensée qu'on peut en avoir. Ça se constate dans la moindre interprétation, quand elle porte, on en a le témoignage par le praticien de ce qu'il s'éprouve alors comme peu ou prou dépassé, et imprévoyant des effets. Si ça se pense, ça se pense après-coup. Eh bien, il en va de même de penser la psychanalyse.

Penser l'expérience analytique, les phénomènes psychanalytiques, les événements psychanalytiques, ça suppose, ça exige un arrachement par rapport aux modes de pensée qui sont couramment en vigueur. Et je ne reculerai pas à dire que ça demande une ascèse proprement intellectuelle. Et c'est à ce titre que j'ai introduit la distinction de l'être et de l'existence comme préalable à la position du réel.

Cette position du réel, je suis arrivé à la coincer de deux coordonnées cueillies dans le dernier enseignement de Lacan: le signifiant, et singulièrement le signifiant Un – le Un détaché du deux, non pas le S1 attaché au S2 et prenant sens à partir de lui, donc le signifiant Un –, et puis, de ce terme où Lacan a utilisé les ressources de la langue française pour attraper quelque chose de ce que Fre ud désignait comme la libido, à savoir la jouis sance. La connexion du Un et de la jouissance, nous en trouvons des précédents dans les traditions de pensée, nous les trouvons évidemment du côté de l'Orient, j'ai désigné Spinoza, le livre V de L'Éthique, et avant lui les néo platoniciens, ce sont des exemplaires d'un fil qui court à travers l'histoire ou les mutations de la pensée. Je suis toujours au bord de vous l'exposer plus précisément, c'est sur ces lectures que je m'appuie et que je ne vous restitue pas parce qu'elles seraient trop loin de ce qui vous intéresse immédiatement; ce qui vous intéresse immédiatement, je le suppose, c'est que cette connexion du Un et de la jouissance est fondée dans l'expérience analytique, et précis ément dans ce que Freud appelait Fixierung, la fixation.

Pour lui, le refoulement, ce qu'il s'agit de lever par l'interprétation analytique, a sa racine dans la fixation; la Verdrängung trouve son fondement dans ce qu'il appelle Fixierung. Et il décrit la fixation comme un arrêt de la pulsion. Au lieu de connaître ce qu'il appelle un développement normal, une pulsion reste en arrière, subit une inhibition. Ce qu'il appelle fixation, c'est très clairement – l'expression figure comme telle dans son texte – une fixation de la pulsion, fixation à un certain point, Stelle, ou à une multiplicité de points du développement, et du développement de quoi?, du développement de la libido, précisément. Il a en effet la notion d'un développement normal de ce qu'il appelle libido, qui doit culm iner, maturer jusqu'à une maturité qualifiée de génitale. De fait, pour connaître ce qu'il appelle développement, la libido migre, se déplace, et par ra pport à ces déplacements, il croit pouvoir isoler, marquer, indiquer cette référence, à savoir ce qu'il appelle un point de fixation. Je dis que c'est précisément ce que Freud a ici repéré que nous formulons comme la conjonction du Un et de la jouissance, une conjonction qui fait que la libido ne se laisse pas aller à l'avatar, à la métamorphose, au déplacement. Ce que veut dire point de fixation, c'est qu'il y a un Un de jouissance qui revient toujours à la même place, et c'est à ce titre que nous le qualifions de réel.

Il faut ajouter que chez Freud, la fixation n'est pas du tout au premier plan. Si on consulte, comme je l'ai fait l'index, des concepts dans la Standard Edition, la traduction anglaise complète de l'œuvre de Freud par James Strachey, on voit que la majeure partie des références se logent dans le volume XII de cette édition qui couvre les années 1911-1913. Je ne m'attache pas là aux détails qui mériteraient d'être étudiés à la loupe, je me c ontente de dire que c'est quelque chose qui a été à la fois repéré par Freud mais à quoi il n'a pas donné une extension conceptuelle cons équente.

Pour nous, mutatis mutandis, dans notre langage, ce dont il s'agit est au premier plan. Et pourquoi? Parce que l'analyse dans la pratique contemporaine se prolonge au-delà du point freudien, au-delà du point où ça s'arrête pour Freud. Bien entendu, pour Freud, ça ne s'arrête pas; et ça s'arrête quand même, et ça reprend, ça doit reprendre. D'où son titre Analyse finie et infinie, les deux à la fois. Il n'a pas dit L'Analyse infinie – auquel cas il aurait été précurseur de Maurice Blanchot, auteur de L'Entretien infini –, il a dit finie e t infinie, ce qui veut dire que ça s'arrête en effet, ça finit, et quand c'est fini, ça reprend, ça doit reprendre un peu plus tard: on souffle pendant un moment. Ça évoque quelque chose – pour rester dans l'allusion littéraire – comme l'analyse toujours recommencée, pour parodier Valéry. Ça veut dire recommencée sur le même plan, et ça s'arrête toujours au même point.

À notre époque, et précisément parce que l'analyse n'est plus sous le régime finie et infiniemais qu'elle se prolonge, l'analysant se trouve d'une façon qui était inconcevable pour Freud, en tout cas inconçue par lui, l'analyse se prolonge jusqu'à ce que l'analysant soit aux prises avec la fixation. Lacan, vous le savez, son ambition explicitement formulée était celle de forcer la limite freudienne de l'analyse, d'aller au-delà de ce que Freud isolait comme les obstacles à la terminaison une fois pour toutes de l'analyse, ces obstacles tenant de façon différenciée pour chacun au rapport des sexes. Ce forçage lacanien des obstacles freudiens, c'est ce qui l'a animé dans son invention de la passe et c'est aussi ce qu'il a prolongé dans son écriture logique de la position sexuelle distincte du mâle et de la femelle.

C'est une fois accompli ce double effort que Lacan a isolé sous une troisième forme ce qui se rencontre au-delà du point freudien.

Il a pensé d'abord obtenir ce forçage par la réduction du fantasme. C'est ce qu'il a mis en œuvre dans ce qu'il a appelé la passe. Il a fait du fantasme, au singulier, le champ de bataille où pouvait se décider l'issue de l'analyse. Il l'a fait en assignant quelle place au fantasme pour le sujet ? – en assignant au fantasme la place du réel, en disant: le réel, c'est le fantasme, ou au moins le fantasme est à la place du réel, pour le sujet. Ça supposait bien sûr qu'il ait réduit la multiplicité des fantasmes au fantasme singulier, au fantasme qui mérite l'article défini. Alors que Freud, même s'il pouvait faire de tel fantasme un paradigme, par exemple Un enfant est battu, il n'en faisait pas le fantasme. C'est Lacan qui a inventé le fantasme au singulier, qu'il a qualifié une fois – et nous l'avons repris mille fois – de fondamental, le fantasme fondamental. Mais tout ça pour obtenir un analogon du réel sur lequel on peut penser que la parole a de l'effet.

Il l'a argumenté, bien sûr. Il l'a argumenté en termes logiques en disant que le «clavier logique» – c'est son expression, Autres écrits page 326 –, que le clavier désigne comme la place du réel, celle de l'axiome; en tant qu'un axiome reste constant alors que les lois de déduction sont variables, et il a fait fonctionner le fantasme comme l'axiome des symptômes: ce qui se retrouve à la même place dans les différents symptômes dont un sujet pâtit. Étant entendu que le fantasme comme fondamental ne s'interprète pas mais qu'il sert d'instrument à l'interprétation, on interprète en fonction du fantasme à qui on fait donc jouer le rôle de réel.

Ce qui est ici important, c'est bien sûr l'opposition entre la constance de l'axiome et la variabilité de la déduction: les symptômes ne se défont pas toujours de la même façon et ne se rapportent pas à l'axiome de la même façon, mais l'axiome, lui, reste constant. Et en quelque sorte, en assimilant ce qu'il a construit comme le fantasme fon damen tal à un axiome, un axiome dans un système logique, il a traduit la fixité de l'Un de jouissance qu'avait repérée Freud sous le mode de la constance de l'axiome. Un axiome dont la formule générale est – il l'a reprise de son ancienne écriture – $ poinçon petit a.

Et il a montré que l'analyse permet d'obtenir une fracture de la formule, ce qu'il a appelé d'un côté la chute de l'objet petit a et de l'autre côté, le mot manque, mais il a parlé de la destitution du sujet qui avait été institué dans le cadre du fantasme, une destitution qui en définitive le libère de la constance qui là se rassemble sur l'objet petit a.

Et il a préparé ce coup-là en déplaçant de registre l'objet petit a. Cet objet petit a, il l'avait inventé, repéré dans le registre imaginaire, et pour les besoins de la cause, il l'a fait migrer dans le registre du réel. Il a surpris son auditoire en disant un jour: l'objet petit a est réel. Ce qui permettait de dire un peu plus tard: il y a du réel dans le fantasme. Le fantasme dont jusqu'alors on avait bien repéré les affinités imaginaires, qu'on pouvait très bien admettre aussi participant du symbolique, sur le modèle du scénario d'une scène, et Lacan s'en était très bien contenté, et d'ailleurs l'écriture même de ce dont il fera l'axiome le reflète: $, c'est dans le fantasme le sujet de la parole, c'est un terme symbolique et petit a un terme venu de l'imaginaire. Cette écriture était faite pour montrer la conjugaison de termes hétérogènes appartenant à deux registres distincts.

Et si à un moment Lacan s'efforce de souligner qu'en définitive l'objet petit a appartient au registre du réel, c'est pour pouvoir dire: il y a du réel dans le fantasme. Et au-delà, que le fantasme est réel, parce qu'il revient toujours à la même place pour le sujet, et qu'à cet égard, le sujet de la parole qui est mobile, véhiculé sous la chaîne signifiante de signifiant en signifiant se trouve par l'objet petit a arrêté, en quelque sorte gelé à cette place.

Ce qui est réel dans le fantasme, c'est petit a, parce qu'il fixe le sujet, et qu'il est constant. Et Lacan de cette constance pense obtenir l'équivalent de la fixation de réel qui était en jeu dans ce que Freud à un certain moment a isolé à propos de la pulsion.

Concédons à Lacan qu'il y a l'événement de passe, c'est-à-dire qu'en effet – je ne songe pas à le nier parce que je crois l'avoir constaté – que l'expérience analytique permet d'obtenir la fracture que Lacan a décrite. Mais quel est son effet?

Son effet, Lacan l'a tracé d'une plume impeccable. L'effet de ce qu'il appelait la traversée du fantasme, c'est un effet sur le désir. Tout cet appareil est fait pour saisir la déflation du désir que la poursuite d'une analyse permet d'obtenir. Un désir gonflé, éventuellement chaotique d'apparence, qui se porte sur diff érents objets qui se multiplient ou qui se cachent, à un moment, on obtient quelque chose qui a été repéré, un certain ratatinement que traduit le mot anglais shrink dont on désigne argotiquement le psychanalyste comme un réducteur de tête, ici un réducteur de désir. Et corrélativement, le sujet qui s'instituait à partir du fantasme animant ce désir se trouve en effet destitué, et ça peut passer pour une solution du désir. Lacan dit tout ça; au fond il n'y a rien à y reprendre. C'est la solution d'un x, de l'x du désir que le psychanalyste a pour fonction de présentifier à l'analysant sous la forme célèbre du Che vuoi?, Que veux-tu?, emprunté au Diable amoureux de Cazotte. Ce que Lacan appelle le désir du psychanalyste, c'est précisément l'énonciation de ce Que veux-tu?, et ici notez bien – on en fera usage plus tard – que le nom du désir, c'est la volonté, qui vaut comme désir décidé, ce désir que Feud appelle à la dernière phrase de L'Interprétation des rêves le désir indestructible. Et ce désir indestruc tible, l'événement de passe exprime qu'il trouve une solution.

Une solution de désir n'est pas une solution de jouissance. C'est la solution de ce qui dans la jouis sance fait sens. Et Lacan le sent si bien qu'après avoir dit que le fantasme tient la place du réel, il fait aussi du fantasme la fenêtre du sujet sur le réel. Autrement dit, il ne pense pas à une chute ou une réduction du réel mais seulement à une réduction de cet analogon du réel que serait le fantasme, et dans le fantasme l'objet petit a qualifié de réel.

La chute de l'objet petit a, c'est exactement une chute dans le hors-sens. Il n'y a plus l'objet petit a en tant que l'objet petit a fait sens. C'est pourquoi Lacan avait été conduit à formuler une fois dans ses tentatives que l'objet petit a est un effet de sens réel. Qualifier un effet de sens de réel, ça traduit, par une certaine discontinuité, par l'hétérogénéité de ces termes, ça traduit toute la difficulté de ramener le registre du réel au sens.

L'expérience contemporaine de l'analyse – je veux dire celle qui se fait aujourd'hui, en ce moment – ne connaît pas le stop and go prescrit par Freud dans Analyse finie et infinie. Bien sûr, il y a des tranches, mais dans la règle, l'expérience analytique se prolonge d'une façon qui était tout à fait inconnue, impraticable, impratiquée du temps de Freud. Et notre expérience met désormais l'analysant aux prises avec ce qui de sa jouissance ne fait pas sens. Elle le met aux prises avec ce qui reste au-delà de la chute de l'objet petit a, elle le met aux prises avec l'Un de jouissance.

Ce que Freud avait découvert comme la répétition, Lacan avait commencé par en rendre compte dans l'ordre symbolique. Il y avait même vu l'occasion de fonder son concept de l'ordre symbolique, et ça lui avait ouvert la voie vers l'invention de ce qu'il a appelé la chaîne signifiante. Mais il faut dire, d'une chaîne signifiante dont il s oulignait le caractère mathématique et formel, précisément sans autre contenu qu'un sujet qui se véhicule comme un zéro sous la suite des nombres.

Évidemment, ça change du tout au tout quand à la répétition on donne un contenu de jouissance. Si on donne à la répétition un contenu de jouissance, si c'est d'elle qu'il est question dans la répétition, alors le terme même de chaîne est inapproprié. Parce qu'il ne s'agit plus d'une succession qui se compte et s'additionne – je l'ai évoqué la dernière fois –, il s'agit d'une réitération. C'est ça qu'on peut appeler la pure répétition, la réitération du Un de jouissance, pour laquelle on a aujourd'hui dû inventer, promouvoir le terme d'addiction.

Le terme de chaîne, dis-je, est alors inapproprié et c'est au niveau de la chaîne qu'on parle de loi. Lacan avait mis en valeur précisément les lois de la chaîne signifiante, son fameux exemple des alpha, bêta, gamma, delta est fait pour manifes ter comment d'une simple succession de plus et de moins on obtenait des lois complexes qui semblaient être même des lois du hasard. Au niveau de la réitération, nous n'avons plus de lois. Et c'est à ce niveau-là que Lacan formule: Le réel est sans loi. Il est sans loi, à la différence de la chaîne signifiante, ce qui ne veut pas dire qu'il est sans cause. Loi et cause sont deux termes différents, c'est précisément dans l'achoppement de la loi que la cause s'inscrit. Ici, le réel a une cause qui est la conjonction de l'Un et de la jouissance.

C'est pourquoi on voit alors dans le discours de Lacan s'effacer le mot de dialectique. La dialectique, ça pouvait être la traduction de ce que Freud appelait le développement de la pulsion. La dialectique se tient au niveau de l'être, et il faut dire qu'alors, elle est éminemment flexible: dès qu'on dit que quelque chose est A, voilà le B qui s'avance pour qu'on obtienne que ce quelque chose n'est pas B, et voilà que le non-être suit l'être comme son ombre et qu'ils commencent un balai effréné, un véritable carnaval de l'être qui donnait le tournis aux Grecs eux-mêmes. C'est bien pourquoi chez les Grecs, qui avaient beaucoup donné dans cette dialec tique de l'être, on a vu se produire un appel à un au-delà de l'être. Arrêtez le tournis! C'est à quoi répond, c'est là qu'est enseignante cette extraordinaire poussée de l'hénologie pour sortir du vertige de l'ontologie. C'est comme ça qu'on peut s'expliquer que Plotin et à sa suite toute une école se soient engouffrés dans le discours sur l'un, impliquant une véritable ascèse, puisque Plotin n'en mangeait plus, n'en dormait plus; c'est dans sa tête, paraît-il, qu'il tenait tout son traité avant de l'écrire. On ne peut s'expliquer cette passion que par l'authenticité d'un appel à un au- delà de l'être qui est ce que nous appelons le réel.

Au niveau de la dialectique – une dialectique pure et simple – quel est le dernier mot? Au niveau de la dialectique, le dernier mot – celui que Lacan a proposé dans les débuts de son enseignement–, le dernier mot, c'est le rien. C'est le non-être ou le manque-à-être, c'est ce que traduit l'image sur laquelle Lacan clôt son écrit de La Direction de la cure, qui marque le moment où il rassemble son appareil à penser l'expérience analytique et à en orienter la pratique. Cette image, déjà évoquée, c'est celle du Saint Jean de Léonard de Vinci, le doigt levé pour indiquer ce que Lacan appelle «l'horizon déshabité de l'être» et il dit que toute interprétation analytique consiste à refaire ce geste qui pointe vers le rien dont il trouve la référence – et c'est là-dessus qu'il clôt cet écrit –, dont il trouve la référence chez Freud dans le titre de son dernier écrit inachevé sur l'Ichspaltung, Le clivage du moi, a-t-on traduit, et c'est sur le mot Spaltung que Lacan termine cet écrit. Spaltung est là la faille, le manque et, disons, le dernier mot de la dialectique si on s'en tient à elle, c'est la faille de l'être. Il faut dire que c'est au prix d'une lecture singulièrement limitée de l'écrit de Freud en question, qui est certainement un des écrits de Freud qui pointe le réel précisément comme cause de la Spaltung subjective. Mais laissons ça. Le dernier mot de l'expérience analytique pour le Lacan des cinq, six premiers Séminaires, c'est que l'expérience analytique a à se conclure sur une certaine assomption du manque, dans un horizon que l'être a déjà fui.

Au niveau de la passe, on s'est décalé d'un cran. Au niveau de la passe, le dernier mot, ça n'est pas seulement $ où se retrouve la Spaltung. L'indication, c'est plutôt le petit a, l'objet métonymique de la parole qui vaut comme marqueur de jouis sance. Et Lacan ne dit plus alors que l'interprétation vise le manque-à-être du sujet, à cette date, il dit au contraire que l'interprétation vise l'objet petit a, c'est-à-dire cet index mobile de la jouissance dans la parole.

Troisièmement, non plus le rien, non plus le petit a mais la pure réitération de l'Un de jouissance que Lacan appelle sinthome, par différence avec le symptôme qui lui s'arrête au sens – et c'est par là que Freud avait fait novation, bien sûr, il avait fait novation par la sémantique des symptômes –, mais au-delà de la passe, on découvre un au-delà de la sémantique des s ymptômes, c'est-à-dire une pure réitération dans le réel de l'Un de jouissance.

C'est bien pourquoi on ne peut pas alors se contenter de parler de sujet, de dire que l'expérience analytique est au niveau du sujet de la parole. On est obligé de mettre le corps dans le coup, c'est pourquoi Lacan parle alors de parlêtre, c'est- à-dire d'un être qui ne tient son être que de la parole, c'est un être évidemment fragile, contestable et dont rien ne dit a priori qu'il ait un répondant de réel.

Et le corps dont il s'agit, remarquez bien que Lacan l'introduit non pas comme un corps qui jouit – le corps qui jouit, c'est pour le porno, là, nous sommes dans le freudo –, il s'agit du corps en tant qu'il se jouit. C'est la traduction lacanienne de ce que Freud appelle l'autoérotisme. Et le dit de Lacan Il n'y a pas de rapport sexuel ne fait que répercuter ce primat de l'autoérotisme. Le sinthome est défini comme un événement de corps qui évidemment donne lieu à du sens, à partir de cet événement une sémantique des symptômes se développe, mais à la racine des symptômes freudiens qui parlent si bien et qui se déchiffrent dans l'analyse, qui font sens, à la racine de cette sémantique, il y a un pur événement de corps.

Rien de ce que j'évoque n'invalide ce que Lacan appelait la passe. Je note simplement une c ertaine vacillation dans la localisation du réel alors en jeu: la tentative de réduire le réel à l'axiome du fantasme et la place ménagée d'un réel qui s'en distingue. Rien n'invalide cette passe si on la considère comme une dénivellation qui se produit dans le cours d'une analyse, et à partir de laquelle l'expérience analytique ouvre sur un en-deçà du refoulement, c'est-à-dire précisément là où Freud situait la fixation, la fixation de libido, la fixation de la pulsion comme racine du refoulement.

J'appelle désormais la passe le moment où se dénude cette racine du refoulement. Et dans cet espace, tout reste à construire. C'est une simple constatation que rien n'opère plus comme avant, et en particulier, aux prises avec le sinthome, l'interprétation révèle une certaine vanité.

Tout est à construire, mais Lacan trace des voies. Quand il dit Il n'y a pas de rapport sexuel, cela est dit au niveau du réel, pas au niveau de l'être. Au niveau de l'être, il y a du rapport sexuel en veux-tu, en voilà. Ce dit est dit au niveau du réel et formule que l'inexistence du rapport sexuel, ce n'est pas un refoulement.

De la même façon, son dit préalable Yad'lUn est corrélatif de Il n'y a pas de rapport sexuel. On pourrait même mettre en jeu ici le rapport de l'Un et de la dyade sur quoi, dit-on, se resserrait l'enseignement oral de Platon. Platon n'a pas tout écrit de ce qu'il enseignait, il y a donc depuis lors des rumeurs dans l'histoire de la philosophie, que Platon disait un peu autre chose à côté, à ses élèves, en tout cas qu'il resserrait son discours précisément sur le rapport de l'Un et de la dyade, et d'une certaine façon, on peut dire que Lacan s'inscrit dans la suite de ce qu'on dit de cet enseignement oral.

Yad'lUn est un dit corrélatif de Il n'y a pas de rapport sexuel. Et c'est dit sur l'Un au niveau du réel. Notez bien que Lacan n'a pas formulé L'Un est. Parce qu'on sait où ça mène: si on emploie l'Un absolument, ça appelle aussitôt des négations et des mélanges et si on fait du verbe être une copule, alors il faut dire ce qu'il est. Yad'lUn pose l'Un comme absolu, et dans cet effort qui s'essouffle d'un Plotin dont j'apporterai peut-être la prochaine fois un écrit qui m'a spécialement distrait cette semaine.

Notez bien que Lacan ne dit pas Il y a le sujet. Il n'y a pas de Il y a du sujet, et surtout un sujet qu'on a préalablement ou simultanément barré. Le sujet, le sujet de l'inconscient, c'est une hypothèse, et Lacan lui garde ce statut. C'est une hypothèse qu'on fait sur l'Un comme réel lorsqu'on invente de l'enchaîner à un autre. Cet Un qui est une hypothèse, disons que dans l'analyse, on lui donne valeur de réponse du réel, mais c'est seulement relatif à l'analyse. C'est ainsi que Lacan, de l'inconscient aussi, il ne recule pas à faire un être, ou un vouloir être, ou un manque-à-être relatif à l'analyse, et de même à propos du sujet supposé savoir, il ne leur donne pas de statut au niveau du réel, ce sont des termes qui dépendent de l'appareil d'un discours.

En revanche, Il n'y a pas de rapport sexuel et Yad'lUn, même découverts à partir de l'expérience analytique, et à partir surtout de la pensée de cette expérience, nous leur donnons une valeur au niveau du réel.

Il y a troisièmement encore une position corrélative qui est l'auto jouissance du corps. Cette auto jouissance du corps est à la fois articulée au Yad'lUn et à Il n'y a pas de rapport sexuel. Ces trois formules ont à se lire ensemble.

Ça donne une direction à l'écoute analytique.

Il y a d'abord ce que l'on appelle l'entretien préliminaire, le temps de l'entretien préliminaire qui peut être plus ou moins prolongé et où traditionnellement l'analyste avait à jauger la capacité de celui qui se présente à faire une analyse et la probabilité qu'une analyse lui fasse du bien. La cap acité à évaluer, c'était avant tout quelque chose comme, disons, son rapport au sens. J'avais déjà naguère constaté qu'aujourd'hui refuser à quelqu'un une analyse n'avait plus du tout le sens d'avant et n'était pas susceptible du même type d'évaluation parce que l'analyse, et les thérapies qui en dérivent, apparaissaient aujourd'hui comme du registre des Droits de l'Homme.

Mais on voit bien ce que cette constatation que je faisais habillait. En effet, après les entretiens préliminaires, il y a cette période merveilleuse qui a été isolée par les analystes –les Américains parlant de lune de miel de l'analyse –, et il y a la période ensuite jusqu'à la passe, qui marque une résolution du désir par sa déflation.

Maisilya – etc' est ça où Lacan, s'est le premier avancé – un au-delà de la passe dans l'analyse. Cette zone encore mal connue, encore mal pensée, précisément – elle est connue, elle est expérimentée mais insuffisamment pensée –, Lacan a essayé de l'appareiller avec son nœud borroméen où, remarquez-le, les catégories en jeu sont le réel, le symbolique et l'imaginaire et pas du tout comme tels et en premier lieu l'inconscient et les concepts freudiens. Ici, on essaie de se tenir au niveau du réel et non au niveau des hypothèses que sont le sujet supposé savoir, c'est-à-d i r e l'inconscient dans le statut que Freud lui donnait, à savoir: l'inconscient se déduit. Autrement dit, pour que l'inconscient vaille, il faut la logique. Et nous ne situons pas l'inconscient au niveau du réel, ce qui fait que quand la racine du refoulement est dénudée, on peut dire que l'inconscient est de peu de ressources – l'inconscient et l'interprétation, qui est de même niveau.

Il y a donc ici à forger du nouveau, et c'est à quoi nous nous efforcerons dans la suite de l'année.

À la semaine prochaine.
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Tilda