Жак-Ален Миллер , курс 2010-2011 гг
Бытие и Одно // Совсем Одно
7 сеанс, 16 марта 2011

Жак-Ален Миллер, курс 2010-2011 гг
Бытие и Одно // Совсем Одно
7 сеанс, 16 марта 2011
Aujourd'hui, on va s'amuser. Il s'agit pour moi de vous faire comprendre quelque chose qu'on ne comprend que là où on prend plaisir. Donc, moi, ça m'amuse, ce que je vais vous dire. J'espère qu'il en sera de même pour vous. Ça ne va pas de soi parce que cette année plusieurs me font part du fait qu'ils ne sont pas si à l'aise que ça dans les références que je peux faire à la littéra ture philosophique. Mais ça n'est pas de nature à m'arrêter, comme vous l'avez vu, et aujourd'hui je vais essayer de vous communiquer des choses, qui dans leur fond ne sont pas si simples, d'une façon qui porte suffisamment pour que ça vous reste comme repère et même comme capteur dans ce qui est la pratique ici de la plupart, à savoir écouter ce qui se dit, ce qui se dit au petit bonheur la chance quand on enlève au sujet les contraintes qui pèsent sur sa parole. Déjà qu'on ne s'y retrouve pas en temps ordinaire, mais alors, quand on laisse associer librement, vraiment on pédale dans la semoule, quand on est à là place de celui qui doit avec ça organiser quelque chose et au minimum une interprétation.

Eh bien, ça demande à être capté par un appareil dont je vais essayer de donner les linéaments. Alors, bien entendu, comme on me l'a fait remarquer, je repasse par des chemins que j'ai déjà frayés dans ce cours mais c'est pour faire voir un relief qui n'avait pas été aperçu jusqu'alors ni communiqué, et c'est en tout cas à mes yeux, pour moi, pour mon travail de réflexion, un gain.

Je prends cet exemple – on me dira si c'est probant –, il est arrivé à notre maître, Lacan, d'énoncer à la stupéfaction de ses élèves que l'Autre n'existe pas. Insurrection. C'était vraiment leur tirer le tapis sous les pieds. Alors que le lieu de l'Autre appartient – toujours, mais appartenait déjà - au b.a.-ba de ce qui s'est cristallisé comme le lac anisme. Cette cristallisation d'ailleurs s'est tellement imposée que le dit que l'Autre n'existe pas a été très largement passé par pertes et profits, malgré les efforts que mon ami Éric Laurent et moi-même avons fait en prenant ce dit pour le titre d'un cours que nous avons donné ensemble, L'autre qui n'existe pas et ses comités d'éthique, qui mettait l'accent en effet sur une des conséquences de l'inexistence de l'Autre. Mais ce qui n'a pas été aperçu, en tout cas ce qui n'a pas été dit, c'est ceci que je vais dire à savoir que l'Autre n'existe pas veut dire exactement que c'est le Un qui existe. L'Autre n'existe pas, c'est une autre façon de dire ce que Lacan avait jeté comme une jaculation: Yad'lUn

Que je transcris ainsi dans le Séminaire qui finira par paraître. Ça avait été remarqué, ça? Pas exactement. J'ai au moins l'aveu, réticent évidemment, d'Agnès Aflalo.

Quel est cet Un qui existe alors que l'Autre avec un grand A n'existe pas? C'est le Un du signifiant. L'Autre n'existe pas, ça ne veut pas dire que l'Autre n'est pas. L'Autre, le grand Autre est, e.s.t - pas h.a.i.t, ça c'est l'Autre méchant; il peut l'être –, mais en tant que tel il n'est pas du tout soustrait à l'être. Au contraire, on ne comprend rien à ce concept merveilleux que Lacan a forgé du grand Autre si on ne saisit pas que ce grand Autre s'inscrit au niveau de l'être, à distinguer du niveau de l'existence. Impossible de se retrouver là-dedans sans distinguer l'être et l'existence.

C'est là que nous retrouvons notre ontologie, qui m'avait jadis tiré l'œil parce que je trouvais que ce n'était pas tout à fait à sa place, à sa bonne place dans le discours de Lacan, à l'époque. L'ontologie, c'est la doctrine de l'être, et en effet, le grand Autre, c'est un «lieu d'être», c'est le lieu ontologique où s'inscrit le discours, le lieu que vise tout dit. Impossible de parler sans faire révérence au lieu de l'Autre. C'est précisément cette révérence qu'on prend pour un référence, et justement, ça n'en est pas une.

Il faut que je vous prenne par la main pour que ça vous devienne évident. C'est difficile de faire naître des évidences, des évidences qui ne vont pas tout à fait dans la direction du sens commun, mais enfin il s'agit avant tout de vous apprendre à parler une langue, c'est ce que Lacan a réussi. Avec le temps évidemment ça se tamponne, ça se recroqueville un petit peu, parce que Lacan n'est plus là pour soutenir de sa voix les évidences qu'il faisait naître. Il faut donc essayer de les soutenir, de les ranimer.

Je commence par dire, par remarquer – je m'appuie là-dessus sur un savoir de rat de bibliothèque, que vous n'êtes pas obligé d'avoir acquis – ce qui apparaît quand on grignote la bibliothèque, c'est que s'il y a un trait qui depuis toujours – depuis toujours... parfois on fait des petites percées du côté de l'homme des cavernes, Lacan l'a fait avec les cailloux du Mas –d'Azil, où sont inscrits les petits traits unaires de la bête tuée, mais en général quand on dit depuis toujours, dans notre tradition, on ne remonte pas tellement au-delà de Platon et d'Aristote –, s'il y a un trait qui dis tingue l'être – gardez ça –, c'est l'équivoque.

On en a un témoignage érudit dans l'écrit de quelqu'un que Freud a fréquenté – ça vous donnera confiance –, dont il a suivi les cours, et même la façon dont il harnache sa découverte de ce qu'il appelle la dénégation, la Verneinung, n'aurait pas été possible sans quelques em prunts faits à ce professeur, il s'agit de Brentano. Comme ça se prononce. Eh bien, Brentano, à qui on pense que Freud doit la différence qu'il fait entre jugement d'attribution et jugement d'existence, Brentano a commis en 1862 une dissertation, pour obtenir une habilitation universitaire, qui s'intitulait La diversité des acceptions de l'être d'après Aristote. Avec un sujet pareil, ce n'était pas promis à être un best-seller, mais ça a trouvé un lecteur éminent dans le jeune Heidegger et, à son témoignage, c'est ce livre-là qui fut son fil conducteur à travers la philosophie grecque. Brentano – rassurez -vous, je ne vais pas y entrer plus avant – distingue pas moins de sept significations de l'être chez Aristote. Je ne le relève que pour poser la question de savoir ce qui vaut à l'être son équivocité. Et même quand on prend un seul auteur, celui que tout du long de ce que j'appelais notre tradition on n'a pas cessé d'ânonner, et en particulier sa défin ition de l'être dans cet ensemble de papiers qu'on a appelé Métaphysique, vous le savez, simplement parce que ça venait après les ouvrages sur la Physique, lui, ne s'était pas occupé de rédiger tout ça, il avait laissé ça à ses élèves, comme c'est le chic pour les penseurs de grande dimension.

L'être est aussi équivoque parce que l'être tient au discours, tient à ce qui est dit. Lacan, là sur ce point, est tranchant et précis. Voyez le Séminaire Encore page 92, il laisse en suspens «qu'il n'y ait d'être que dans le dit». Mais ce qu'il déclare certain, c'est «qu'il n'y a du dit que de l'être». Impossible de parler sans déterminer l'être, un être, des êtres, de l'être, comme on dit: de l'air, de l'air...

Appelons ça, sur ce versant, l'être de langage. C'est l'être, celui- là, qui ne tient son être que d'être dit. Évidemment, c'est n'importe quoi. Nous sommes bien placés pour connaître ça. C'est ce dont nous sommes recouverts quand nous sommes à la tâche de recueillir les dits de l'association libre. L'association libre c'est l'ontologie déchaînée: des mères phalliques, des pères qui n'en sont pas, des hommes qui se féminisent, des haines qui sont de l'amour, des souffrances qui sont des jouissances, et pour couronner le tout, une pulsion qui est de mort. A priori, ça ne vaut que ce que vaut la licorne ou ce que vaut le cercle carré: ce sont autant d'êtres de langage.

Dites-vous bien que tout cela est, appartient à l'être au titre d'être dit. Et au titre d'être dit, ça file aussitôt au lieu de l'Autre, comme lieu du discours. Ou si vous considérez que le message vient de l'Autre, vous avez affaire, il faut le reconnaître, à un grand Autre qui est à côté de ses pompes. C'est le sort de chacun.

Ça n'invalide pas l'objection, c'est contradictoire. Cercle et carré, ça se contredit. Ce qui veut dire: il y a des dits qui contrecarrent des dits. Et, bien que ça se dise du même souffle de voix, ça vous tire de deux côtés opposés, ça vous écartèle. En effet, je crois que je ne suis pas loin du sens commun en disant que vous faites fonctionner sur le déconnage à pleins tuyaux auquel vous pouvez être confrontés l'objection, le critère, le filtre de la contradiction, plus ou moins serré selon votre humeur ou votre doctrine. Mais enfin, l'ontologie, dites-vous bien que c'est comme un accordéon, ça peut être tout serré ou ça peut être tout ouvert: laissez venir à moi les petits cercles carrés, ça s'est trouvé. Il y en a au contraire qui ferment l'accordéon complètement et dont la voix s'étouffe. Mais quel que soit le serrage du lacet, pour essayer de savoir si ça existe ou non, vous faites intervenir la logique. Vous faites la différence entre ce qui est par le fait du dit et ce qui existe entre guillemets «pour de vrai».

Eh bien, si je vous ai menés déjà jusqu'à ce point sans vous avoir meurtri la comprenette, ça suffit déjà – si vous voulez bien considérer l'affaire – pour associer l'être au semblant.

La parole permet de mettre en scène des êtres qui défaillent à recueillir les dits del'association libre. L'association libre c'est l'ontologie déchaînée: des mères phalliques, des pères qui n'en sont pas, des hommes qui se féminisent, des haines qui sont de l'amour, des souffrances qui sont des jouissances, et pour couronner le tout, une pulsion qui est de mort. A priori, ça ne vaut que ce que vaut la licorne ou ce que vaut le cercle carré: ce sont autant d'êtres de langage.

Dites-vous bien que tout cela est, appartient à l'être au titre d'être dit. Et au titre d'être dit, ça file aussitôt au lieu de l'Autre, comme lieu du discours. Ou si vous considérez que le message vient de l'Autre, vous avez affaire, il faut le reconnaître, à un grand Autre qui est à côté de ses pompes. C'est le sort de chacun.

Ça n'invalide pas l'objection, c'est contradictoire. Cercle et carré, ça se contredit. Ce qui veut dire: il y a des dits qui contrecarrent des dits. Et, bien que ça se dise du même souffle de voix, ça vous tire de deux côtés opposés, ça vous écartèle. En effet, je crois que je ne suis pas loin du sens commun en disant que vous faites fonctionner sur le déconnage à pleins tuyaux auquel vous pouvez être confrontés l'objection, le critère, le filtre de la contradiction, plus ou moins serré selon votre humeur ou votre doctrine. Mais enfin, l'ontologie, dites-vous bien que c'est comme un accordéon, ça peut être tout serré ou ça peut être tout ouvert: laissez venir à moi les petits cercles carrés, ça s'est trouvé. Il y en a au contraire qui ferment l'accordéon complètement et dont la voix s'étouffe. Mais quel que soit le serrage du lacet, pour essayer de savoir si ça existe ou non, vous faites intervenir la logique. Vous faites la différence entre ce qui est par le fait du dit et ce qui existe entre guillemets «pour de vrai».

Eh bien, si je vous ai menés déjà jusqu'à ce point sans vous avoir meurtri la comprenette, ça suffit déjà – si vous voulez bien considérer l'affaire – pour associer l'être au semblant.

La parole permet de mettre en scène des êtres qui défaillent à l'épreuve de la logique et se révèlent n'être que des semblants. L'équivocité de l'être veut dire d'abord que l'être n'est «qu'ombres et reflets». En revanche, remarquez que l'objection que vous faites au nom de la logique vous fait associer l'existence au réel.

Je reprends – il faudrait que j'en fasse un distique –, l'être est du semblant, l'existenc e concerne le réel. Et ça suppose d'en passer par la logique. OK?

Eh bien, vous approchez ainsi de ce que Lacan vous a indiqué en énonçant de la façon la plus énigmatique que «la logique est la science du réel». Ça aussi, on l'a dit, mais on ne l'a pas dit jusqu'à présent à sa place. Et autant l'être est équivoque, autant l'existence est univoque. Elle ne se dit qu'en un seul sens, on ne trouve pas là la diversité des acceptions, comme concernant l'être chez Aristote.

L'existence ne se dit qu'en un seul sens: au sens logique. Là, il faut évidemment que j'opère une traction pour soustraire l'existence au bain dans lequel on la fait barboter. L'existence, on continue de la prendre communément au sens de l'existentialisme, comme ce qui déborde le concept. Sartre disait joliment: «L'existence précède l'essence». Il y a d'abord le fait de l'existence, quelque chose qui est de l'ordre d'un fait brut, sauvage, et viennent ensuite à la traîne les définitions dans lesquelles on essaie de prendre ça. C'était dire au fond qu'il ya un il y a avant tout ce que vous pouvez en dire, en idéaliser, en essentialiser. Cet existentialisme-là en fait visait un être pré-discursif, comme on s'exprimait alors. Disons que c'était la manière de Sartre de donner une version de ce que Heidegger appelait le dasein, l'être-là – sein, c'est: l'être, da, c'est: là ; on a traduit, on a néologisé l'être-là. C'était mettre à l'affiche l'existence au sens de présence ici et maintenant d'un être pré – conceptuel. Encore un effort pour être lacanien, il faut se décrasser de ça.

J'aimerais bien m'étendre mais je me permets d'aller vite. Le secret de cet existentialisme, c'est qu'il est une ve rsion du vitalisme. C'est clair que chez Sartre, cette présence palpite, c'est une chair, une chair qui sue, elle crache, elle pisse, elle chie, et elle inspire chez lui et ceux qui l'ont suivi toute une littérature naturaliste. Rien à voir avec l'existentialisme de Lacan qui, lui, est un logicisme.

L'existence de Lacan, c'est ce qui résulte de ce que la logique sélec tionne parmi le semblant des êtres de langage pour y reconnaître du réel. L'existence lacanienne dépend, se déprend d'une opération signifiante. Si on cherche où se fait le partage des eaux, c'est bien sur ce terme que j'ai employé d'être pré-discursif. L'existence surgit du langage travaillant le langage, elle suppose l'appareil logique s'emparant du dit pour le serrer, le cerner, le comprimer, l'ordonner et pour du langage en faire sourdre du réel.

Ce réel – qui est au niveau, disais-je, de l'existence –, ce réel, c'est du signifiant. Rien à voir avec la présence qui palpite. Et c'est grâce à ce signifiant que vous avez ce que voulez d'êtres, il faut que le signifiant se monte en discours pour que des êtres fassent leur apparition à la surface du réel, quitte à éclater comme des bulles de savon.

De signifiant en tant que du réel – je le pose avant de vous y amener – il n'y en a qu'un. Au niveau où nous parlons, c'est le signifiant Un. Évidemment, ça contraste avec l'abondance, la jungle de l'ontologie. Nous sommes là dans le registre austère, parcimonieux de l'hénologie – je l'ai déjà écrit la dernière fois – qui veut dire: la doctrine de l'un, dont la devise et même le discours est: Yad'lUn. Et le mot d'hénologie, Lacan l'a lâché au moins une fois dans son Séminaire XIX.

Autant l'ontologie est abondante, autant l'hénologie est restreinte. L'hénologie tient dans ce dit que Lacan a inventé mais qui est fondé dans toute la tradition philosophique: Yad'lUn. C'est le noyau du fait qu'il y a du discours, et pour qu'il y ait de l'être, il faut d'abord qu'il y ait du discours. Même si Lacan laisse en suspens – on verra ça – qu'il pourrait bien y en avoir un qui s'en passerait. Mais pour autant que l'être dépend du discours, l'être dépend de 'lUn. Et l'Un à cet égard est antérieur à l'être. C'est précisément la doctrine qu'ont développée les néo platoniciens, et d'abord Plotin, à partir du Parménide de Platon. C'est pourquoi Lacan s'est étendu sur cet ouvrage, dans ce Séminaire XIX.

Cet Un d'où nous – qui ne sommes pas des néo platoniciens mais des néo lacaniens –, d'où nous l'abordons, nous le trouvons dans le discours en tant que réduit à son noyau, il est le signifiant Un; tout signifiant, au sens de chaque signifiant, est Un. Et à ce titre, il préside et conditionne l'être.

L'hénologie comme dominant l'ontologie, voilà la réponse à la question que je posais jadis à Lacan, quand j'étais chiffonné par cette ontologie à laquelle il avait

recours. Le signifiant en tant qu'il existe comme réel préside et cond itionne toutes les équivoques, tous les semblants de l'être dans le discours. Au fond, c'est là comme une donnée première, c'est un Un qui mérite d'être dit originel parce qu'on n'arrive pas à remonter au-delà.

Faites bien attention à ceci. Si je vous ai fait entrevoir la puissance et la majesté de cet Un, c'est que cet Un n'a rien à voir avec le un que vous rencontrez dans la suite des nombres, avec le un que suit le deux avant le trois etc. Le Un dont il s'agit, le Un de chaque signifiant, cet Un dont chaque signifiant se supporte ou plutôt que chaque signifiant est, cet Un, c'est un Un tout seul.

Il faut encore, maintenant que je vous ai annoncé cet Un tout seul, que je vous familiarise avec lui, pour que vous puis siez faire ami-ami.

Je dirais d'abord que c'est le Un à partir duquel seulement vous pouvez poser et penser toute marque, parce que c'est seulement à partir de cet Un que vous pouvez poser et penser le manque. C'est la marque originaire à partir de laquelle on compte: un, deux, trois, quatre. À condition d'en passer d'abord par son inexistence.

Je l'écris sur une ligne pour que vous en gardiez quelque mémoire, cet Un tout seul, je l'écris, pour le différencier, à la latine. Voilà le Un tout seul:

I

C'est cet Un que vous effacez et qui vous donne le manque.

IO

Ce manque, qui a été attrapé à partir de la théorie des ensembles comme l'ensemble vide et dont un Frege fait le signe de l'inexistence : il n'y a pas. Il n'y a pas le Un. Et c'est une fois obtenu ce manque qu'alors peut se développer la suite des nombres par récurrence et d'abord en inscrivant 1, ce manque, la suite des nombres se branche sur le 1 effacé.

Mais c'est au prix d'une équivoque. Ce rond que j'ai ici tracé, à regarder du côté du I, c'est le I effacé, c'est le manque de Mais c'est au prix d'une équivoque. Ce rond que j'ai ici tracé, à regarder du côté du I, c'est le I effacé, c'est le manque de cet I. Pour donner naissance à la suite des nombres, il devient le zéro. À gauche, il a la signification de l'ensemble vide, et à droite, il a la signification du zéro.

Cet Un originel du signifiant, préalable aux nombres, dans l'analyse, il est mis au travail. C'est le principe même de l'association libre et c'est à ce titre que Lacan l'appelle l'Un-dire. Et c'est à partir de lui que viennent ensuite à se tirer la suite des nombres, que viennent ensuite à exister les 1 qui s'inscrivent de signes différents dans la suite des nombres.

Cet Un tout seul, lui n'a pas d'Autre. Et c'est ce que signifie Lacan quand il dit page 116 de Encore – évidemment, on lit surtout Encore pour son érotique, pour ce qui y est dit du rapport sexuel, du coup on néglige ce qui est du registre hénologique, or l'érotique de Lacan ne fait pas sens sans son hénologie – c'est pourquoi, disais-je, Lacan pouvait dire: «L'autre ne s'additionne pas à l'Un. L'Autre s'en différencie».

Sur ce petit schéma, où est-il, l'Autre? L'autre est là où s'inscrit l'ensemble vide, précis ément comme un lieu, et si on le dit «lieu d'être», c'est précisément parce que c'est un lieu d'inexistence. C'est un lieu qui est fait de l'éclipse du Un originel. D'où la formule que Lacan a pu lancer, très précise: «L'Autre, c'est l'Un-en-moins», désignant ainsi cette zone circulaire que j'ai ici inscrite. Et on peut même dire, pour raffiner, que l'Autre, c'est l'Une-en- moins, et retrouver à partir de là comme la matrice des formules de la sexuation que Lacan propose.

La suite des nombres procède de cet Un originel, les nombres sont tous faits de la même façon, ils ne sont rien d'autre que des uns, comme l'indique le symbole de la récurrence: +1. Tous les noms de nombre répercutent le sign ifiant Un, et c'est au titre de cette répercuss ion que Lacan peut dire dans les Autres écrits, page 554, que les nombres sont du registre du réel. C'est au titre de répercuter l'Un originel.

Si je voulais ici parodier Sartre, je dirais: l'hénologie précède l'ontologie. Comme le discours l'être. Et cet Un, c'est aussi ce d'où procède la science, c'est ce dont elle implique la présence dans le réel qu'elle manie. C'est ce que Lacan impute à l'Un quand il dit: le Un engendre la science, il y a de l'Un dans la nature. Et ça, c'est un savoir que le sujet du signifiant peut rejoindre, manier et faire accoucher de puissances inédites. Toujours pour le plus grand bien de l'humanité. Exemple: le nucléaire.

Le nucléaire, ça nous connaît. Cette puissance, on l'a domestiquée. Ce réel, on est allé le chercher dans les profondeurs de la nature, on sait l'activer, l'intensifier et le faire produire. Le seul problème, c'est que le savoir que nous avons du savoir dans le réel, ça ne couvre pas tout le champ. Il y a une puissance dans la nature apparemment qui ne se laisse pas domestiquer par le savoir dans le réel que nous pouvons acquérir jusqu'à présent. C'est fâcheux. C'est fâcheux parce que ça donne l'Apocalypse. Peut-être pas pour toujours, mais jusqu'à présent, il y a quelque chose dans la géologie qui ne se laisse pas encore déchiffrer, c'est-à-dire chiffrer. Tout ce qu'on peut faire, c'est lui fourrer un thermomètre dans le derrière et quand ça monte un peu trop on dit: Alerte. Mais en général, on a entre trois quarts d'heure et cinq minutes. Ce n'est pas tout à fait suffisant.

On essaie de lui soustraire des chiffres, à la nature, à la géologie, à la Terre, on essaie de déduire une loi, mais le fait est qu'on ne sait pas encore inhiber ni même prévoir les glissements de terrain et des plaques tectoniques, l'élan des tsunamis, l'irruption des tremblements de terre et donc on voit – si on survit, peut-être qu'on pourra le calculer plus tard –, mais pour l'instant on voit la contingence faire irruption dans les calculs. Spectacle grandiose de ce que j'appellerais un événement de Terre, qui nous représente le réel sans loi.

Évidemment, c'est bien fait pour qu'on s'interroge sur le point de savoir si le discours de la science ne serait pas par hasard animé par la pulsion de mort. Si, à son acmé, il ne serait pas fait peut-être pour abolir l'humanité. Résorber l'être parlant-parlé. Résorber l'être en proie au signifiant Un. J'entendais dans le taxi qui m'emmenait ici que l'empereur du Japon prie. Ce n'est pas absolument fait pour donner confiance.

Le réel au sens de Lacan, pour en pénétrer les arcanes, il faut se familiariser avec l'usage duil existe en logique. C'est pour ça que le plus simple est de partir de la scission que Frege a opérée entre Sinn et Bedeutung.

Bedeutung peut se traduire comme la signification et c'est en ce sens que Lacan dit Die Bedeutung des Phallus. Il faut dire que Freud emploie fréquemment le mot, et dans ce sens-là. Et sans doute Lacan l'a-t-il employé parce qu'il y voyait aussi une façon de faire allusion à l'usage de Frege. Mais chez Frege Bedeutung se traduit comme la référence, ce qui dénote, pour employer un autre vocabulaire, c'est-à-dire ce qui pointe vers une existence.

Sinn, c'est sens, ou c'est signific a tion, c'est ce qui dit l'essence, ce qui décrit quelque chose, ce qui décerne des attributs ou des propriétés à quelque chose.

Si je voulais encore parodier la phrase de Sartre à la Frege, je dirais: la Bedeutung précède le Sinn. Mais ça n'est pas ce que dit Frege, il ne dit pas que l'un précède l'autre, mais qu'existence et essence, ça fait deux.

L'essence, la description, le nom [inaudible] bien être essence d'un être mais n'assurent d'aucune existence. Cercle carré ça fait sens, ne serait-ce que pour dire que le cercle carré, il n'y en a pas; une licorne se décrit, se représente, on en rêve – au moins Serge Leclaire – même si dans la nature, ça ne se rencontre pas. Vous pouvez parfaitement admettre ça dans votre ontologie, si ça vous chante. Comme je l'ai dit, une ontologie, c'est élastique, l'ontologie, c'est une bonne fille, elle se prête aux austères comme aux prodigues. Voyez d'ailleurs ce qui reste dans les mémoires sous le nom du rasoir d'Occam.

Ça remonte au XIVe siècle. C'était l'avis donné qu'il ne fallait pas multiplier les êtres au-delà du nécessaire. Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem, tout le monde peut comprendre ça. C'est d'ailleurs sous cette forme que ça s'est transmis – dans Occam on trouve, semble-t-il, une formule voisine mais pas exactement similaire que je m'abstiens de vous citer. C'est un principe d'économie: des êtres il en faut mais pas trop, pas au-delà du besoin, il faut y aller doucement avec l'être. Un être, ça va, trois, bonjour les dégâts. Et il y a en effet comme une ivresse de l'ontologie.

Il y a par exemple un logicien, fin XIX°, début XX°, qui a été médité par Bertrand Russell qui s'appelait Me inong. Lui, c'était l'ultra libéral, il avait une ontologie où tout ce qu'on dit pouvait entrer. Mais enfin toutes ces discussions ne sont là que pour montrer qu'on s'arrange toujours avec l'ontologie. En définitive, c'est une question de sagesse – dont je parlais l'année dernière –, le rasoir d'Occam dit: en ontologie, rien de trop, et en particulier le moins d'hypothèses possibles, allez au plus simple. Le résultat, c'est que quand Napoléon avait dit: mais enfin, monsieur de Laplace, je ne trouve pas mention de Dieu dans votre système, Laplace lui avait répondu: Sire, je n'ai pas besoin de cette hypothèse.

Mais il y a une hypothèse de Lacan,encesens. C'estencesens qu'il emploie le mot page 129 de Encore:

«Mon hypothèse [et c'est en quelque sorte l'hypothèse minimale de la psychanalyse], c'est que l'individu qui est affecté de l'inconscient est le même [que celui] que j'appelle le sujet d'un signifiant».

Et d'ailleurs, d'une façon générale, ce que Lacan appelle le sujet, c'est l'hypothèse par excellence, c'est-à-dire ce qui se pose dessous. C'est ça que veut dire le grec d'hypothèse. Le sujet est supposé au signifiant, au savoir et cette supposition, c'est l'inconscient même.

Faites attention que c'est une suppos ition ontologique. La supposition de l'inconscient, c'est une supposition ontologique qu'on l'écrive, qu'on lui donne le sens du manque d'être, sujet barré, ou qu'on parle d'être parlant, ou de parlêtre, et Lacan, quand il utilise le terme d'être parlant et de parlêtre ne manque jamais de dire qu'il n'a d'être que de parler. Toute la question est de savoir, dans ce fil, l'inconscient – et c'est ce que Lacan a fait durant tout son enseignement –, l'inconscient apparaît comme ontologique. Et c'est seulement à la pointe, entre deux virgules dans une parenthèse, que Lacan a pu dire qu'il se pourrait que l'inconscient soit réel.

Ce qui n'est pas être mais réel en tout cas, c'est le signifiant. Et c'est même parce qu'il y a du signifiant dans le réel qu'on est conduit à lui supposer un être qu'on appelle Dieu. Mais si Dieu il y a, il ne peut être qu'inconscient. C'est pourquoi la science n'a pas du tout résorbé les religions, comme on s'imaginait au beau temps du positivisme. Au contraire, Dieu en a repris de la vigueur, à partir du signifiant dans le réel. Mais, si Dieu il y a, le jour est bien tombé pour dire qu'il ne sait certainement pas ce qu'il fait. C'est- à-dire qu'il fait des dégâts.

En même temps, d'ailleurs, je trouve formidable qu'il y ait tout plein de révolutions ces temps-ci, qui visent aussi le Un sous les espèces: dégage. En effet, le Un encombre mais le Un dont il s'agit dans ces mouvements de masse, à la différence de l'Apocalypse nucléaire, c'est le Un numérique, c'est le Un hiérarchique. C'est au numéro Un qu'on dit: dégage. Il faut faire une différence entre le Un de pouvoir et le Un de savoir. Mais toute différence qu'on fera entre les deux n'empêche pas qu'on n'arrive à se débarrasser d'aucun. Au fond, je pourrais écrire cet aucun comme ça:

OK-Un

qui nous assure qu'en définitive nous y consentons.

Faisons maintenant retour à la scission Sinn et Bedeutung, c'est-à- dire signification et référence, être et existence, sens et réel. Il y a quelqu'un qui a fait quelque chose qui est comme un mot d'esprit mais qui n'en a pas moins inspiré les réflexions des logiciens pen dant tout le XXe siècle, au moins de ces logiciens qui s'occupaient du rapport de leurs écritures avec la langue de tous les jours. Ça tient en quelques pages, et c'est un article de quelqu'un dont Lacan a beaucoup pratiqué l'œuvre – à en croire les références, nombreuses, qu'il lui fait –, Bertrand Russell. C'est un article qui s'appelle On denoting, de 1905, Sur la dénotation. En termes frégéens, on dirait Sur la référence; nous dirions Sur l'existence. Dans cet article, il s'occupe à extraire, à faire saillir dans tout énoncé l'acte référentiel. Je ne vois pas pourquoi je ne reprendrais pas un des énoncés familiers par quoi cet article est resté, une proposition célèbre: Le présent roi de France est chauve. Dit en 1905, en pleine IIIe République. Ça n'empêche pas que ça fait sens: la royauté, la France, plus la calvitie, ça s'articule. On comprend ça, de la même façon qu'on comprendrait quelqu'un qui dirait: pas du tout, regardez ses beaux cheveux. Mais enfin, il faut dire, c'est l'exemple d'un Anglais, avec une petite pointe de francophobie. Derrière ça, il y a l'idée évidemment que les Français sont des beaux parleurs, ce sont les princes du blablabla et que, eux, les Anglais, ils ont la tête plus près du bonnet, et puis ils sont regardants à la dépense, y compris en matière d'ontologie, d'ailleurs Occam était anglais.

Sous sa couronne, pas un cheveu. Je verrais volontiers dans cette calvitie royale une allusion à l'ensemble vide, d'autant plus justifiée que de roi de France en 1905, il n'y en a pas-pas davantage en 2011. Et ça n'empêche pas d'en parler, de le décrire et de lui attribuer la calvitie, ou quoi que ce soit d'autre. Ou bien on le fait entrer dans le paradis de Meinong- on fait entrer le roi de France de 1905 dans le paradis de Meinong où il salue la licorne, rend hommage au cercle carré, et tous les trois vont parler au chapelier fou, c'est le monde de Meinong –, ou on fait entrer le roi de France chauve de 1905 dans l'ensemble vide, et on dit: si exquise que soit cette description du roi de France chauve de 1905, toujours est-il que sa référence n'est que l'ensemble vide. Et à ce moment-là, l'ensemble vide, c'est vraiment la poubelle de l'ontologie, c'est vraiment le canal d'évacuation de tous les êtres qui ne passent pas le filtre de l'existence.

Ainsi, la trouvaille de Russell, c'est de diviser le dit, et de dire: d'un côté, il y a la description, qu'il appelle la description définie, c'est le Sinn de Frege: le roi de France est chauve – comme on peut dire le roi de France est grand, le roi d'Angleterre est blond etc. –, mais ça laisse ouverte la question de savoir s'il y a ou non un roi de France, et ça dit: la question du il y a doit toujours être posée quelque soit la splendeur de la description, la question du il existe.

Donc, d'u n côté, dans toute propos ition nous avons une liste de propriétés, des qualités, des significations-être roi de France, être chauve etc. – mais une dénivellation par rapport à la question qu'il faut faire surgir: est-il vrai qu'il existe quelque chose qui répond à cette description ou non?

Puisqu'on peut parfaitement décrire quelque chose qui n'existe pas.

On doit donc toujours faire surgir la question du il existe quelque chose ou quelqu'un, un terme qui a ces propriétés. Les propriétés, du point de vue de l'existence, ce n'est pas sérieux. D'ailleurs, j'en trouvais un exemple d'Alphonse Allais. C'est bref, c'est l'histoire d'un gars qui dit: moi, je suis un type du genre de Balzac, je bois trop de café; je suis un type dans le genre de Napoléon, m a femme s'appelle Jos éphine etc. Voilà ce que c'est les propriétés. Eh bien, par rapport aux propriétés, la question sérieuse, c'est la question du il existe. Le sens est au niveau de la description et disons en termes logiques, de la fonction; le réel est au niveau du il existe.

C'est là qu'on introduit cet x qu'on appelle la variable. Le Sinn, la description se résume logiquement dans la lettre grand F de la fonction et on décrit, et on aligne les attributs. Et on attribue tout ça à on ne sait quoi dont on marque la place en écrivant x entre parenthèses.

F(x)

On dit que c'est une variable, pas pour dire que ça varie, pour dire qu'on ne sait pas s'il y a quelque chose de réel qui peut venir à remplacer ce trou. Et ce qui est la constante, c'est le quelque chose qui peut remplir ce trou et qui dans tous les cas ne sera qu'un signifiant. Ça ne sera qu'un exemplaire du signifiant Un.

Mais je ne renie pas le terme de variable, simplement, pour la cons tante, j'utiliserai l'adjectif que j'emprunte au logicien Kripke dans sa théorie des noms propres, je dirai que c'est le rigide. À côté de la variable, il y a le rigide, qui, lui, est l'index de l'existence.

Dans tous les cas, quelque soit le nom dont on le décore, la nature de ce qui existe est d'une nature signifiante. C'est dans ce contexte que s'inscrit le Il n'y a pas le rapport sexuel crié par Lacan. Il n'y a pas le rapport sexuel au niveau du réel. Et d'abord parce qu'au niveau du réel, c'est le Un qui règne, pas le deux. Le rapport sexuel ne fleurit qu'au niveau du sens. Et Dieu sait si ses significations sont équivoques et variables.

Le il existe dans la psychanalyse, Freud l'a appelé la fixation, il l'a repéré comme fixation. Et pendant tout un temps, Lacan n'a pas du tout rapproché il existe et le signifiant, ne croyez pas ça. Dans la majeure partie de son enseignement, vous savez bien qu'au contraire pour lui, le signifiant, c'est ce qui remue, le signifiant, c'est éminemment ce qui est variable, et c'est ça que comporte l'usage récurrent chez Lacan du terme de dialectique. La diale ctique, ça dit tout et son contraire, et ça vaut en particulier pour le signifiant en tant que conjoint à ses e ffets de signification.

C'est par rapport à un signifiant au niveau de l'être, c'est par rapport à ça que Lacan a distingué l'angoisse comme ce qui ne trompe pas, et j'avais justement expliqué dans ce cours que sa définition de l'angoisse comme l'affect qui ne trompe pas prenait sa valeur de ce qu'au contraire le signifiant trompe et passe son temps à ça, le signifiant conçu comme l'instrument des sophistes et des rhéteurs.

Lacan allait donc chercher la cons tante, allait chercher ce qui reste fixe du côté de ce qu'il appelait l'objet petit a.

Sa dialectique évidemment est relative à l'ontologie, et justement elle perd ses droits quand il s'agit du signifiant Un comme corrélatif du il existe. Là, plus de dialectique, et d'ailleurs le terme alors disparaît du discours de Lacan et il est remplacé par la suprématie de la logique.

En même temps que corrélatif du signifiant Un, du signifiant rigide, s'inscrit la jouissance opaque au sens. La jouissance opaque au sens, c'est une référence de l'ordre du réel. Rien à voir avec l'objet petit a. L'objet petit a était au contraire chez Lacan la jouissance transparente au sens, la jouissance qui a du sens, la jouissance qui est sens, et même qui est joui-sens, avec l'équivoque.

Et avec ce que je scande de l'enseignement de Lacan, nous sommes vraiment à l'envers de ce qui fut l'essentiel de son chemin et c'est un fait que cet envers, c'est lui qui nous en a frayé le chemin, qui passe aujourd'hui entre les deux bornes corrélatives du signifiant Un et de la jouissance opaque au sens. Tous ces termes, évidemment, je les ai déjà mentionnés, frayés devant vous à partir de Lacan, je crois que je leur ai donné aujourd'hui un placement inédit et j'espère vous avoir tout de même un peu amusés.

Voilà.
Made on
Tilda