Жак-Ален Миллер, курс 2010-2011 гг
Бытие и Одно // Одно само по себе
4 сеанс, 9 февраля 2011

Жак-Ален Миллер, курс 2010-2011 гг
Бытие и Одно // Одно само по себе
4 сеанс, 9 февраля 2011
J'ai dû la dernière fois, comprimer en quelques minutes le développement que je comptais donner à mes remarques sur la fonction globale du fantasme sur quoi vient converger, selon Lacan, toute la pratique de la psychanalyse. J'ai dû comprimer ça parce que j'avais musardé avant, sans doute parce que je frétillais de reprendre avec vous mes anciennes amoures avec Kant Fichte Schelling et aussi Aristote et le Heidegger du livre Kant et le problème de métaphysique sur quoi j'étais quand la rencontre avec Lacan m'a fait un certain effet.

Donc je ne vais pas reprendre ça aujourd'hui parce j'ai mesuré le danger qu'il y avait pour moi à m'y avancer. Il faut que je prépare ça plus soigneusement pour le livrer à un auditoire qui n'est pas préparé à ça et pour ordonner un matériau qui est ample, complexe et qu'il faut travailler pour le simplifier. Je crois que vous n'en avez rien saisi la dernière fois, par ma faute.

Donc je prends aujourd'hui les choses par un autre bout, en supposant qu'avec vous, je puis me promener dans Freud et dans Lacan en considérant que vous avez là- dessus des connaissances, au moins des aperçus suffisants.

Pour clore cette première partie de cette année, puisque je reprendrais le 3 mars, je vais vous faire part de mes progrès dans la lecture de Lacan sur ce qui nous intéresse cette année. Progrès en lecture assez lent, pourriez-vous dire, en paraphrasant un titre de Paulhan. Ça n'est pas tout de lire Lacan, je le vois bien maintenant. Au fond, le plus intéressant est de lire ce qu'il ne dit pas, ce qu'il n'écrit pas. Sinon, on se contente – ça présente déjà une certaine difficulté – de reconstituer, je vais employer un mot que j'ai utilisé la première fois que je vous ai vus cette année, de reconstituer l'architectonique conceptuelle d'un texte, d'un écrit, de la leçon d'un Séminaire mais ça ne dit rien du pourquoi, ça ne dit rien de ce que ça écarte, ça ne dit rien de ce que l'écrit écarte où témoigne ne pas apercevoir.

Heidegger dit quelque chose d'approchant concernant sa lecture de Kant. Il ne s'agit pas seulement d'entrer dans la puissante mécanique conceptuelle qui est mise en œuvre, par exemple, dans la Critique de la raison pure, il s'agit de saisir où porte l'accent, et précisément, dirais -je en terme lacanien, ce que cette pensée s'évertue à éviter et la Critique de la raison pure est, à cet égard un bon exemple puisque Kant en a donné une seconde édition sensiblement modifiée dont Heidegger s'efforce de démontrer qu'elle constitue un recul par rapport à ce qu'était l'horizon de la première édition. Et donc il utilise la seconde édition pour montrer ce qu'elle referme de ce que la première ouvrait. Des différentes parties de la Critique de la raison pure Heidegger privilégie la partie qui s'appelle l'Esthétique et c'est à partir d'elle qu'il à l'analytique et à la dialectique; d'autres commentateurs de Kant à la lumière de l'anal ytique ou à lumière de la dialectique, on a ainsi comme trois types de lecture qui ont d'ailleurs été ordonnées par un livre que je pratiquai beaucoup à cette époque là dans ma jeunesse d'un philosophe appelé Vuillemin qui avait écrit un ouvrage sur l'Héritage kantien et la révolution copernicienne.

Lacan aussi a donné parfois une seconde édition de certains de ses Écrits; les modifications sont toujours significatives mais toujours légères, elles portent sur deux ou trois paragraphes – le repentir n'était pas son genre, n'était pas son fort. C'est plutôt dans la continuité de sa réflexion qu'il se corrige mais son vocabulaire ne change pas où change très peu et comme son ton est toujours assertif, on peut croire qu'il développe alors qu'en vérité, il modifie et parfois il zigzague et j'ai passé dans ce Cours, jadis, quelques années à reconstituer et à divulguer ce que l'architectonique de Lacan.

Le recul que me donne peut-être la satisfaction d'avoir quasiment achevé la rédaction de l'ensemble des Séminaires me fait bien apercevoir, je crois, un relief où ce que je traitais auparavant comme des difficultés conceptuelles m'apparaissent maintenant relever d'un autre ordre et j'ai pu constater que ma façon de lire aujourd'hui les écrits canoniques de Lacan, ceux sur lesquels moi-même je me suis longtemps penché, cette façon a changé et en particulier ce qui est le titre de l'œuvre de Lacan, à savoir le statut du réel.

Si j'ai dis, je reprends donc, si j'ai dit fonction nodale du fantasme, c'est parce que Lacan a promu le fantasme comme ce qui noue, conjugue l'imaginaire et le symbolique d'une manière qui fait de lui la fenêtre du sujet sur le réel. C'est, disais-je, la matrice à partir de laquelle le monde, la réalité prend sens et s'ordonne pour le sujet.

Je dis nœud en visant ce que Lacan développera, thématisera sous cette espèce topologique et on la trouve, cette fonction nodale, écrite couramment, très tôt, sous la forme du losange qui est dans son usage une pure forme de relation entre deux termes, a et b.

Il ne l'a pas inventé: en logique formelle et précisément en logique nodale, on utilise le losange pour désigner le possible, de la même façon qu'on utilise le carré pour signifier le nécessaire et en effet, Lacan indique une fois en passant que ce symbole nous sert à représenter toutes les relations possibles entre deux termes autrement dit c'est un symbole équivalent, un symbole à tout faire qui indique par son écriture qu'il y a relation, qu'il y a rapport et ça n'est pas ne rien dire. Songez à l'écho d'une proposition comme celle de il n'y a pas de rapport sexuel qui indique précisément que, dans cette affaire, on ne peut pas utiliser un tel symbole. C'est au moins le témoignage que, quand on l'utilise, ça n'est pas en vain et Lacan l'utilise éminemment concernant le fantasme comme l'index d'une relation entre deux quelques choses qui ne sont pas à proprement parler des éléments mais des ordres. Il l'utilise pour indiquer une relation et même une imbrication du symbolique et de l'imaginaire.

Le terme même d'ordre mériterait d'être commenté dans son usage lacanien. Il est utilisé surtout dans la formule de l'ordre symbolique. Il désigne ces trois registres de quoi? Ce sont des registres de l'être, ce sont des registres ontologiques pour lesquels il a les mots de réel, symbolique et imaginaire. La tripartition de ce qu'il appellera plus tard des dimensions, en jouant sur le mot et en dégageant dans dimension le mot de dit.

Ce sont différentes façons de loger le dit, et qui obéissent à des règles sensiblement différentes, l'image en particulier étant d'un fonctionnement tout à fait distinct de celui du signifiant, lequel est articulé en schèmes ou en systèmes. Or Lacan développe abondamment ce qui se passe dans chacun de ces ordres séparément. Dans l'ordre symbolique, il a mis en valeur un certain nombre de relations mathématiques, des réseaux et aussi les relations proprement linguistiques qui prévalent alors qu'il place dans l'imaginaire ce que la littérature analytique a elle-même réuni à ce titre en inventoriant le réservoir d'images prévalentes qui jouent un rôle pour le sujet et donc il était courant de supposer que certaines de ces représentations soient inaccessibles à la conscience.

Donc ce qui spécifie le fantasme, c'est là une connexion, une interpénétration spéciale du symbolique et de l'imaginaire.

I suffit de se référer au fantasme Un enfant est battu pour y voir à la fois mis e en scène une représentation imaginaire mais où on sent la présence d'une phrase articulée et la perspective que prend Lacan nous y fait distinguer que s'y composent des éléments qui relèvent d'ordres différents et il faut dire, je ne m'étends pas trop là-dessus, parce que Lacan a éduqué notre perception à cet égard, il a fait en sorte, par l'insistance de son enseignement, qu'il nous vienne comme spontanément de distinguer ce qui relève de l'imaginaire et ce qui relève du symbolique dans ce que peut nous livrer une cure analytique. C'est par rapport à cette perception éduquée que le fantasme se distingue par cette conjugaison et cette interpénétration de ces deux dimensions. Ne serait-ce que par là, on peut comprendre pourquoi il y a sur le fantasme une convergence spéciale de la pratique. Il y a ce qui relève du signifiant, il y a le trésor imaginaire et c'est en ce lieu, sur la scène du fantasme, que nous trouvons les deux réunis.

Dans le fantasme, la conjugaison de ces deux ordres se concrétise, se particularise dans la conjugaison au titre du symbolique et au titre du sujet barré et au titre de l'imaginaire de l'objet petit a. C 'est cette écriture du fantasme que Lacan utilisera tout au long de son enseignement jusqu'à son tout dernier enseignement qui liquide y compris ces éléments de construction, liquide toute construction.

D'un côté le sujet barré relève du symbolique tel que Lacan l'a construit, ce sujet. Il l'a construit à partir de la notion de négation, il l'a construit comme vide, il l'a construit comme négation de la substance et même comme négation d'être et à ce titre voué à s'identifier tandis que l'objet petit a comme imaginaire embrasse dans sa parenthèse toutes les formes imaginaires qui peuvent captiver l'intérêt du sujet au titre du désir, depuis sa propre image dans le miroir qui est comme l'incarnation de son narcis sisme et de là tout ce qui est image et dont, il faut bien dire, les frontières sont indistinctes parce qu'elles s'étendent aussi loin que ce que la philosophie classique appelait la représentation à quoi j'ai déjà fait allusion.

Au fond l'imaginaire dans son acception la plus ample embrasse tout ce qui est représentation et d'ailleurs le Fantasieren de Freud penche plutôt de ce côté-là: il est plus aristotélicien qu'il n'est lacanien ou français.

J'avais cette semaine une petite conversation avec le traducteur de Freud qui donne de nouvelles traductions de Freud depuis l'année dernière, qui a traduit la Traumdeutung sous le titre l'Interprétation du rêve et au fond je peux dire je l'avais recommandé comme traducteur en ne sachant de lui rien d'autre que ceci, qu'il avait superbement traduit la Phénoménologie de l'esprit.

Et Jean-Pierre Lefevre, puisque c'est son nom, me disait qu'allait paraître incessamment le Léonard de Vinci de Freud qui se trouvera préfacé par Clotilde Leguil ici présente et il m'a dit, en s'en pourléchant les babines: ça va faire crier. Parce que ce qu'on traduit d'habitude par fantasme, il l'a traduit par représentation imaginaire, considérant que ce qu'on appelle le fantasme, c'est une création de la psychanalyse en France et que ça n'est pas ce qui rend compte de l'usage freudien. Et je lui ai dit: pour moi, c'est dans le mille, c'est tout à fait cohérent avec ce que j'en pense. C'est tout ce que je peux dire, ce n'est pas pour ça que ça fera moins crier d'ailleurs, mais peut-être un peu moins à l'École de la Cause freudienne.

Et donc l'imaginaire a, en effet, l'amplitude de la représentation. Ce qui est formidable d'ailleurs, c'est que cette écriture a continué d'être utilisée par Lacan et d'être, si l'on veut, dans ce cadre valable quand Lacan a considéré que le fantasme conjuguait le symbolique et le réel c'est-à-dire quand il fait virer son symbole petit a d'un ordre à l'autre, lorsqu'il a considéré, précisément, que ce petit a était de l'ordre de ce qui est traumatique et inassimilable et néanmoins présent dans le fantasme.

Pour ordonner ce rapport, nous avons l'indication de cet algorithme dont Lacan s'est servi pour dégager, en particulier dans son Séminaire du Transfert, utilisé en tout cas, petit a sur moins phi. Ce petit a sur moins phi, c'est la façon la plus élémentaire de comprendre cette conjugaison que j'évoquais, la conjugaison d'un trou et d'un bouchon. Et c'est encore cet algorithme qui prévaut quand Lacan propose la passe comme fin d'analyse puisqu'il voit à cette fin deux versions: où bien la version accéder à la béance du complexe de castration, moins phi, ou bien à l'objet qui l'obture, petit a dont il évoque le statut que lui donne Freud comme objet pré génital et il faut savoir que, si Lacan choisit de se référer au pré génital comme à une approximation de ce qu'est l'objet petit a, s'il écrit ça, c'est parce qu'à cette date, il ne peut pas encore écrire si cet objet petit a est imaginaire ou réel. C'est pourquoi il botte en touche en disant: c'est ce que nous a préparé Freud sous les espèces de l'objet pré génital.

Là, vous avez un premier exemple de ce que j'évoquais: une lecture de Lacan qui s'occupe de ce qu'il n'a pas dit. Sur ce point, précisément, on s'aperçoit que le statut de l'objet petit a est bien équivoque et, au fond, je pourrai dire que d'une façon générale, il s'agit de savoir si, pour lui, la jouissance est imaginaire ou si la jouissance est réelle, parce que la jouissance sera toujours là.

Étant donné le point de départ que Lacan a choisi pour son enseignement qui s'est offert à lui, dans lequel il a été pris, étant donné que son point de départ repose sur une bipartition ou plus exactement repose sur l'accent, la primauté donnée au champ du langage qui, de son dynamisme conceptuel propre, oblige à une partition entre ce qui est d'un côté champ du langage et fonction de la parole, comme symbolique, comme articulé, comme causal, comme wirklich et qui repousse donc le reste dans le statut de la représentation, qui repousse le reste dans l'imaginaire. Et donc les arguments ne manquent pas pour pouvoir dire: la jouissance a un statut imaginaire. Et précisément l'image du corps, le corps en tant que supporté par la représentation, est la source éminente, est l'objet de satisfaction, est l'objet de contemplation, est l'objet d'une extrême complaisance où se dénote précisément que là est la jouissance.

Et c'est parfaitment Claire,en particulier, quand Lacan traite du cas Schreiber où, en effet, la jouissance s'étale comme imaginaire. L'idée de lui féminisé et entouré d'objets supposés féminins est précisément pour lui la source vive de la satisfaction la plus extrême, qui s'est déjà annoncée dans le fantasme sous une forme très pure: qu'il serait beau d'être une femme et l'exaltation du beau est là pour soutenir la référence faite de la jouissance à l'imaginaire.

Et d'ailleurs j'aimerais plaider cette cause, si c'était nécessaire, puisque c'est une cause beaucoup plus agréable à défendre que les arguments que nous amenons pour parler de son statut réel où l'on patauge dans le déchet, dans le malaise et le malêtre, alors qu'il y a un statut imaginaire de la jouissance qui est au contraire exaltant, un statut qui est esthétique et qui permettrait de mobiliser ici tout ce qui est œuvre d'art aussi bien. Et donc, étant donné son point de départ, la jouissance se place d'abord pour Lacan du côté de l'imaginaire.

Ça n'est que da ns un mouvement second qu'il en vient à distinguer, mais sur les traces de Freud, que, si je puis m'exprimer ainsi, le noyau de la jouissance est réel. Freud parle, en particulier dans le texte que je relisais des Constructions en analyse, il parle, à propos du délire, du Wahrheits kern, du noyau de vérité qui est présent dans les délires.

Eh bien on pourrait dire que le noyau de jouissance le Lustkern – je crée l'expression, peut-être est-elle quelque part dans Freud – que le Lustkern est d'ordre réel; et c'est une longue trajectoire; ça n'est pas acquis comme un tour de passe-passe. Pour Lacan, au départ, le petit a est imaginaire.

En revanche, ce qui est désigné comme moins phi est déjà le résultat d'une opération symbolique parce que la négation comme telle relève du symbolique. Dans les images, l'opération de la négation ne fonctionne pas et, à cet égard, on saisit au fond l'imaginaire comme un voile de ce qui relève du symbolique et ça prescrit à la pratique analytique la visée de réduire l'imaginaire pour dégager la castration.

Réduite l'imaginaire, tout le monde s'est aperçu que l'analyse avait un effet de ce genre quand ça fonctionnait; quand on ne voit pas l'imaginaire se réduire, on s'inquiète. Cette réduction de l'imaginaire, c'est ce que dans la langue anglaise on avait désigné comme le shrink, celui qui réduit. On a saisi, au niveau d'une certaine évidence, qu'il y a une réduction. Et dans cette problématique, la fin de l'analyse se joue sur le rien, elle se joue sur les modalités du rien. C'est le rien qui constitue le Wahrheitskern, le noyau de vérité, de quelque façon qu'on l'énonce, comme assomption du reconnaissance du réconciliation avec ce rien.

Par quelque bout qu'on le prenne, dans cette problématique, ce qu'il y a au fond de la bouteille, si je puis m'exprimer ainsi de façon triviale, ce qu'il y a au fond de la bouteille, c'est le manque et même quand Lacan dira, très avancé dans son enseignement, le Wahrheitskern, c'est: il n'y a pas de rapport sexuel, c'est encore une déclinaison du rien. On peut mettre ça en série. Mais quand le schéma est différent et quand le r de réel vient s'inscrire au dessus de ce qui est symbolique, quand l'objet petit a manque, rien, ou prend la valeur réelle, ah! alors ce n'est pas la même chose.

R
_
S

Ah on s'imagine que c'est la même chose. On s'aperçoit bien que Lacan se met à parler beaucoup plus de jouissance et à ce moment-là, on prend comme modèle pour la pratique lacanienne de la psychanalyse: il faut contrer la jouissance comme on avait dit: il faut réduire l'imaginaire. Et donc on voit arriver des analystes armés de pied en cap pour contrer la jouissance.

Il s'agit d'autre chose. C'est au contraire ici le réel comme reste inéliminable. Alors précisément, ce n'est pas ce qu'on va se mettre à thérapier, ça, c'est supposé fini. Simplement lui aussi, ce réel, il se présente sous différents angles. On peut l'approcher – ce que faisait Freud lui-même et ce que Lacan a repris, au titre de reste; pas de reste fantasmatique, de reste symptomatique et c'est la fameuse constatation que, même après une analyse achevée avec satisfaction, il y a des restes symptomatiques.

Et, au fond, on peut traiter ça comme un défaut, comme la marque que tout n'est pas possible, qu'à l'impossible nul n'est tenu. Là au fond, il faut bien dire, c'est en infraction avec le culte du rien. Le reste symptomatique, ça ne cadre pas tout à fait ce que Lacan évoque du doigt de St Jean qui montre l'horizon déshabité de l'être. Il y a St. Jean qui montre l'horizon déshabité de l'être et pendant ce temps là, le reste symptomatique lui grimpe sur la figure, si je puis dire. Peut-être que l'horizon de l'être, il est toujours déshabité mais St Jean, lui, il est habité, il est parasité. On lui dit: regarde en haut, regarde en haut, ne regarde pas en bas. Donc il regarde, il se gratte et puis ... Je fais le clown pour vous imager une contradiction profonde qui est lisible dans la façon dont les analystes attrapent aussi l'expérience analytique. Alors ça c'est le réel comme au titre de trognon de réel, bout de réel. C'est trognon parce qu'on a bouffé toute la pomme imaginaire, on dit: il n'y a plus rien, on jette le trognon, mais le trognon est là; et comme ce trognon est un peu boomerang, il vous revient dans la figure.

Alors ça, disons, c'est le registre bout de réel. Ça va encore. Le fond est sain. Il y a sur les bords, nageant dans la soupe, si je puis dire, comme le bout de viande dans le bouillon du Buscón, les quelques bouts de viande qui restent dans – je ne sais même pas s'il y a de la viande, du poisson, des bouts de pain qui nagent dans la soupe du Buscón de Quevedo, mais enfin il y a le bouillon.

Et il y a une deuxième version du réel, pas la version bout. Il y a la version que Lacan appelle le sinthome. Et alors ça, c'est vraiment autre chose, puisque le sinthome, c'est un système. C'est bien au-delà du bout de réel. Le sinthome, c'est le réel et sa répétition. On verse au crédit du réel la répétition dont il est le ressort. Et donc, par là, le réel apparaît lui-même comme principe et comme ressort du symbolique.

Alors que Lacan avait éduqué son public dans l'idée que c'est le symbolique qui est le ressort de l'imaginaire, eh bien on découvre qu'il y a une porte dérobée où il se révèle que dans les coulisses, c'est le réel qui est le ressort du symbolique et que si on parle si bien, si on pense ces grandes choses, jusqu'à la Critique de la raison pure, c'est parce qu'il y a dans les dessous, quelque chose qui travaille et qui tourne et qui est le sinthome.

Le dernier mot de Lacan a bougé. On a cru un moment que le dernier mot du dernier mot, c'était vraiment: il n'y a pas de rapport sexuel. Il l'a formulé mais ça a basculé dans: il y a le sinthome et comment s'en sortir alors que ce que le sinthome inspire, c'est de l'ordre de la parole de Hegel, dit-on, devant la montagne: c'est ça, parole immortelle. C'est ça, il y a montagne et c'est encore trop même de mettre un mot. Voilà ce qu'il s'agit d'encadrer.

Alors là, il faudrait s'attacher au tous derniers textes de Freud parce qu'il y a affaire, en effet, avec ce qui se découvre à la fin de l'analyse, aussi bien dans Analyse finie et infinie, qui a été écrit au début de 1937 et publié au mois de juin, dans Cons truction en analyse qui est paru en décembre 1937 et le tout dernier texte de Freud sur lequel sa plume est tombée, rappelle Lacan, sur le clivage du moi, Die Ichpaltung dans le processus de défense, dont le dernier mot a été écrit au tout début de 1938.

Comme vous le savez, dans Analyse finie et infinie, dans la dernière partie, la huitième, Freud indique sur quoi lui semble achopper la terminaison de l'analyse, la terminaison définitive de l'analyse et c'est sur quelque chose qui est commun aux deux sexes mais qui a des formes d'expression différentes chez chacun – Eindruckform – différentes. Chez la femme le Penisneid, la nostalgie d'avoir le pénis, d'avoir l'organe génital masculin - et dieu sait qu'on lui a reproché ce diagnostic – et chez l'homme Das Streben – Suzanne Hommel, si elle est là, me dira si je prononce correctement – la rébellion contre la passivité induite par un autre homme. Freud dit: je vais plutôt appeler ça un refus de la féminité chez l'homme, l'Ablehnungmais finalement il utilise une autre fois dans le texte encore le mot de sträuben. Quand c'est un verbe sträuben, c'est le verbe qu'on emploie quand il s'agit du hérisson qui dresse ses piquants: on dit sträubt. C'est bien choisi, il se hérisse quand il soupçonne l'autre homme de vouloir le féminiser.

Le facteur commun, tout de même, le facteur commun qu'il dégage, c'est ce qu'on traduit comme aspiration à la virilité das Streben nach Männlischkeit c'est une aspiration, ça c'est un effort il s'efforce vers la virilité comme valeur donc il s'agirait de faire en sorte que – et Freud dit que, là, on n'y arrive pas, ou c'est très difficile –, faire en sorte que pour l'homme, le fait de suivre un autre homme n'ait pas la signification de la castration, n'ait pas la Bedeutung de la castration. Vous voyez que Freud emploie très souvent le terme de Bedeutung à propos du phallus ou de la castration et Lacan l'a repris dans le titre de son article célèbre, et ils expliquent aussi que le Penisneid, on n'arrive pas à le faire passer, qu'il est source de dépression chez la femme et qu'elle reste habitée par une certitude intérieure – innere Sicherheit –, que la cure ne servira à rien de ce point de vue-là. Je résume hâtivement les considérations de Freud qui doivent être prises mot-à-mot.

L'idée de Lacan, c'est que sur la scène du fantasme, cela peut être résolu. Il a l'idée – et c'est ça, la passe! –, il a l'idée que ce dont il s'agit dans la huitième partie d'Analyse finie et infinie se joue sur la scène du fantasme, ce que Freud ne dit pas, et qu'à cette place-là, si on reconnaît l'identité fantasmatique de ce débat, on peut le surmonter.

Par quelle opération Lacan fait-il du fantasme le champ où il s'agit de résoudre cet obstacle majeur, à la terminaison de la cure analytique? Il me semble qu'on peut le dire très simplement comme ça: que Lacan fait voir que ce que Freud appelle das Streben nach Männlichkeit – l'aspiration à la virilité, il faudrait que je trouve une autre façon de traduire, l'aspiration, ça fait un peu, j'espère avoir le temps d'y revenir, ça fait un peu Madame Bovary – est d'ordre fantasmatique, que la virilité est par excellence de l'ordre du fantasme, c'est-à-dire que la virilité repose sur ce comblement de la castration fondamentale de tout être parlant, marqué moins phi

(-φ)

par un petit a, c'est ça qu'on appelle la virilité. C'est-à-dire, pour le dire encore plus simplement, que petit a venant boucher-jmoins phi, eh bien, on a:jphi. Et c'est cela même qui est l'institution du sujet, c'est ce que Freud cerne: le caractère radical de l'institution phallique du sujet par le biais d'un fantasme qui par quelque angle qu'on l'aborde est toujours un fantasme phallique, instituant le sujet.

C'est même frappant d'ailleurs chez Freud, il parle à propos du Penisneid comme du refus de la féminité, il dit que ce sont deux thèmes, ce sont deux éléments, mais à le lire de près, comme aujourd'hui, je n'ai pas trouvé où il disait où ça se situait dans l'appareil psychique.

Alors que pour Lacan, il n'y a pas d'ambiguïté, ça se situe sur la scène du fantasme, ça tient à l'élévation fantasmatique du phallus, c'est de ça qu'il s'agit, si je puis dire, de guérir les gens pour en effet les réconcilier dans cette optique avec le manque, avec la castration symbolique, qu'ils soient capables de dire le c'est ça ou le c'est comme ça de Hegel – pas devant la montagne mais devant le trou: ça me manquera toujours.

Il a donc l'idée qu'on peut destituer le sujet de son fantasme phallique, et qu'on peut, si je peux encore imager ça plus simplement, on peut lui faire dire oui à la féminité, on peut le faire renoncer à ce refus de la féminité qui affecte l'être parlant, pas simplement l'homme. Et d'ailleurs, le meilleur exemple aux yeux de Lacan, c'est le psychanalyste lui-même. C'est pour ça que la position analytique, c'est la position féminine — au moins, elle est analogue à la position féminine. Ça veut dire qu'on ne peut pas être analyste en étant institué par le fantasme phallique.

Et donc Lacan par des biais divers revient sur l'affinité spéciale de la position de l'analyste et de la position féminine. D'ailleurs, ça se vérifie. Au XXI° siècle, je l'ai déjà dit, qui peut douter que la psychanalyse sera aux mains des femmes? Gardez les hommes!, comme une espèce à protéger, dans la psychanalyse. Pour le reste, il faut bien dire qu'ils sont en voie de disparition rapide. Il n'y a d'ailleurs pas que dans la psychanalyse, n'est-ce pas: aujourd'hui, quand on lit quelque chose comme das Streben nach Männlichkeit, ce n'est pas très apparent. Ce qui semble bien le vent dominant, c'est das Streben nach Weiblichkeit, l'aspiration à la féminité.

Alors, ça produit, en effet — il y a des gens qui ne sont pas d'accord — ça produit un certain nombre de fondamentalistes qui veulent ramener cette aspiration à l'ordre androcentrique dont les grandes religions de l'humanité donnent un splendide exemple; ça les énerve spécialement. Bien sûr, il y a des causes sociales, historiques, tout ce que vous voulez, certains mouvements auxquels on assiste. D'où je vois ça, je pense que le phénomène le plus profond, c'est l'aspiration contemporaine à la féminité. Et les résistances, et le désordre, et le délire et la rage dans laquelle ça plonge les tenants de l'ordre androcentrique, ce à quoi les grandes fractures auxquelles on assiste entre l'ordre ancien et l'ordre nouveau, ça se déchiffre quand même, au moins pour une part, comme l'ordre viril reculant devant la protestation féminine et - je ne dis pas que le débat soit tranché par là — mais l'enjeu paraît pouvoir être parlé au moins dans ces termes.

L'idée de traversée que Lacan a articulée, est quand même très dépendante d'un ordonnancement imaginaire de la question. C'est quand même l'idée qu'il y a un écran, l'écran du fantasme, expression qu'il a employée, et que cet écran peut quand même être traversé, être percé en direction de ce que j'appelais tout à l'heure le rien, et qui prend la valeur ou bien d'une castration symbolique ou bien: pas de rapport sexuel, et dans les deux cas, c'est la référence au phallus qui est le support de cet écran.

–––––––––> RIEN

Et c'est très convaincant. Et ça marche quant au désir. Quant au désir, on peut dire en effet qu'il y a une traversé du fantasme qui aboutit à une révélation de vérité, qui donne accès au Warheitskern, au noyau de vérité.

Mais est-ce que ça marche quant à la jouissance? Ça marche quant au désir parce qu'en effet ce phallus qui est au principe de l'institution fantasmatique du sujet, c'est un semblant. Mais ce qui n'est pas un semblant, ce qui est réel, c'est la jouissance; et avoir crevé l'écran sur lequel se dessinait le phallus, le semblant phallique, même élevé à la dignité du signifiant, ça ne résout pas pour autant la question de la jouissance.

Admettons que ce que Lacan appelle la traversée du fantasme règle le problème de la vérité. C'est- à-dire la question du désir de l'autre, la question: que veux-tu?, adressée à l'autre. C'est le niveau du ça parle, mais reste le réel, et ce qui se joue à ce niveau-là ne se joue pas au niveau du ça parle mais au niveau de ce qui se jouit. Autrement dit, la passe, c'est une réponse à la huitième partie d'Analyse finie et infinie et ça repose sur la réduction de l'enjeu phallique au fantasme. Et le mot même de traversée — que Lacan n'emploie qu'une fois — si je l'avais distingué, c'est parce qu'il traduit bien la problématique imaginaire où ça reste pris — et précisément ne règle pas du tout ce que Freud expose dans un texte qu'il faut lire en même temps que la huitième partie d'Analyse finie et infinie, il faut lire le chapitre X d'Inhibition, symptôme, angoisse, le chapitre ultime où Freud essaie de cerner ce qu'il appelle la «cause ultime de la névrose» entre guillemets et où il dit qu'elle se situe au niveau du ça, où opère le Wiederholungszwang, l'automatisme de répétition dans lequel est prise la pulsion.

Et ajoutez à ça une phrase essentielle que j'avais déjà naguère signalée de l'addenda B d'Inhibition, symptôme, angoisse où Freud écrit en toutes lettres que l'«exigence pulsionnelle est quelque chose de réel», et was reales, quelque chose de réel. L'exigencepulsionnelle, c'est ainsi qu'on a traduit le mot de Freud, Triebanspruch, qui veut dire revendication, réclamation; donc en effet, c'est un énoncé, et Lacan en a fait, dans son graphe, une demande. On peut dire qu'il l'a domestiquée comme une demande ce dont il s'agit dans Triebanspruch, et quand Lacan dit: la demande d'amour est inconditionnelle, cet adjectif inconditionnelle, cet adjectif inconditionnelle, il vaudrait beaucoup mieux l'appliquer à la Triebanspruch: c'est une réclamation inconditionnelle.

Alors bien sûr que Lacan en a tenu compte puisque Freud, quand il introduit ce quelque chose de réel de l'exigence pulsionnelle, dit: c'est le fondement réel de l'angoisse, et c'est précisément ce que Lacan dit quand il dit: «l'angoisse n'est pas sans objet». Elle n'est pas sans objet parce qu'elle a comme fondement réel ce qu'il y a de réel dans l'exigence pulsionnelle. Et quand Lacan dit que l'objet petit a a été approché comme prégénital, c'est en effet dans Freud, qui parle des exigences pulsionnelles de la sexualité infantile.

Mais Lacan a poussé très loin la domestication de la pulsion, dans son graphe – dont je sais que vous connaissez l'architecture –, dans son graphe à deux étages, la pulsion est à l'étage supérieur de ce qui est ici la parole – ça se passe entre parole et pulsion –, ces deux étages fonctionnent simultanément et répondent au même modèle, à savoir ce sont deux chaînes signifiantes: Lacan le dit en toutes lettres, il parle des «signifiants de la chaîne constituants supérieure».

Il a fait cette construction pour résoudre la question - dans laquelle je n'entrerai pas - dite de la double inscription. Mais ça suppose en effet de faire de la pulsion un certain type d'énoncé, mais faire de la pulsion un certain type d'énoncé, ça ne règle pas la question de l'etwas reales.

Et donc posons la question, est- ce que le rapport du sujet à la pulsion se joue sur la scène du fantasme? Car Lacan a tout essayé pour que oui. Et disons, c'est même ce qui peut- il emploie une fois l'expression de fantasme fondamental – et on pourrait dire: voilà, il y a le fantasme ordinaire, à ce moment-là c'est en effet une petite histoire, un scénario avec un support symbolique et des représentations imaginaires. Mais, au-delà du fantasme ordinaire, il y a le fantasme fondamental, et là il est question du réel. On peut aussi dire que par tout un aspect, l'enseignement de Lacan, c'est une défense contre le réel et que c'est contraint et forcé que petit-à-petit les redans qu'il avait c onstruits comme dans une architecture à la Vauban – à laquelle il fait allusion lui-même une fois – doivent céder devant un réel qu'il a essayé de domestiquer en en faisant une demande articulée au niveau supérieur de son graphe, où on irait de la jouissance à la castration qui sont les deux termes ultimes, en passant par ces deux lieux: ici, la pulsion écrite à partir de la demande $?D, et ici le fameux S (A barré).

J'ai passé beaucoup de temps à piger ça, à l'entendre, et qu'est-ce que ça veut dire? Ce que Lacan veut démontrer c'est que dans la pulsion, ça parle, que la pulsion, ça parle. Il veut démontrer que la pulsion ça parle parce que c'est la façon la plus simple dont on pourrait concevoir que la fonction de la parole ait une incidence sur la pulsion.

Donc, bien sûr que le sujet n'a aucune idée qu'il parle dans la pulsion – ça, ça ne le dérange pas –, mais nous disons, comme Lacan, page 816 des Écrits: le sujet dans la pulsion est «d'autant plus loin du parler que plus il parle». C'est formidable. Vous n'y voyez rien, mais ne vous inquiétez pas, là, il parle. Et il résout à la fois, il met en évidence le caractère de demande de la pulsion avec ce grand D; et comme c'est une demande, là ce n'est pas comme dans le fantasme où la phrase un enfant est battu ou je bats un enfant, toutes ces phrases-là apparaissent – il y en a une qui n'apparaît pas mais elles apparaissent excessivement –, dans la pulsion non, donc il faut faire disparaître le sujet, c'est le $.

Là, ce serait l'occasion de dire, c'est le même que dans le fantasme; Lacan parle d'évanouissement du sujet et n'emploie pas la mot de fading du sujet qu'il emploie pour le fantasme alors que ça veut dire la même chose, mais il préfère ne pas employer pour la pulsion le même mot et pour le même symbole $.

Et en effet il démontre, parce Lacan démontre tout, il faut d'abord savoir ça pour comprendre Lacan, c'est que Lacan est beaucoup plus intelligent que vous et moi, quand il veut démontrer quelque chose, il y arrive. Lacan l'a dit en toutes lettres: je me fais fort de donner n'importe quel sens à n'importe quel mot si vous me laissez parler assez longtemps. Quelqu'un qui a dit ça vous a révélé quand même quelque chose de sa façon de faire.

Donc puisqu'il faut démontrer que la pulsion, ça parle, les preuves à l'appui ne manquent pas. D'abord, il y a tout ce qui démontre chez Freud que la pulsion obéit à un ordre grammatical, avec des réversions du sujet à l'objet. C'est déjà présent dans le cas Schreber et c'est aussi présent dans son texte Pulsions et avatars de pulsions, la pulsion est grammaticale.

Ensuite, Lacan met en valeur le caractère de coupure que présentent les zones érogènes, les bords, les zones qui sont des bords – et le bord est selon Lacan éminemment une fonction signifiante –, et puis,ça, c'est formidable: la pulsion insiste. La pulsion insiste, ça veut dire qu'elle est dotée de mémoire, et une mémoire, c'est signifiant, et Lacan donc amène l'idée – j'ai retrouvé ça dans le Séminaire VII, L'éthique de la psychanalyse, j'en avais un vague souvenir parce qu'en le rédigeant, je m'étais dit: quand même, il pousse le bouchon un peu loin –, il va jusqu'à dire que la pulsion a une dimension historique, c'est-à-dire qu'au nom de l'insistance de la pulsion qui tient à une fixation précisément invariable, Lacan dit: c'est de la mémoire, donc c'est de l'histoire.

Il cherche donc tout ce qu'il peut pour ramener, il plaide la cause qui ramène la pulsion à la parole. Et c'est sur ce modèle-là, sur le modèle énonciatif qu'il présente la pulsion – je rassure déjà tous ceux qui s'effraient de l'horrible critique que je fais de la pensée de Lacan: j'ai toujours eu envie de le critiquer, il faut bien le dire, mais je critique un Lacan au nom d'un autre Lacan, n'est-ce pas, je fais ce pas que faisait Lacan, je montre comment. Donc, comme c'est un modèle énonciatif, de la même façon qu'il y a au niveau de la parole un bouclage de la signification, il faut qu'il y en ait un autre ici, c'est le fameux S(A barré) dont ensuite on a fait le Saint des Saints de la psychanalyse – j'y étais pour quelque chose moi-même, d'ailleurs, parce que c'est, en effet, une construction chiquée. Alors ça signifie quoi S(A barré), comme étant là?


Au fond, c'est la réponse à ce qu'il en est comme énoncé, à savoir: il n'y a pas de répondant dans l'Autre, un côté «inconnu au bataillon». On prend l'annuaire, on regarde, Trieb: personne!, ça ne figure pas dans l'annuaire, il n'y a pas d'abonné au numéro que vous avez demandé. Disons que c'est, pour le dire en termes architectoniques, ça répond à ce qu'il y a un manque dans l'Autre, ça veut dire que toute la pulsion est organisée en signifiants, selon Lacan, que ces objets de la pulsion – il se garde de dire le mot –, les objets de la pulsion sont des signifiants.

Elle traite, elle est une courroie signifiante mais on ne dit pas qu'elle est hors de la parole sinon à la fin, c'est tout rassemblé à la fin, son décalage par rapport à l'Autre; tant qu'elle avance sur la chaîne signifiante, c'est bien. C'est à la fin que Lacan rassemble le problème: là, il n'y a pas de signifiant qui réponde et donc d'une certaine façon on ne peut pas en rendre compte au niveau du signifiant.

En effet, au niveau du signifiant, au niveau de l'Autre, comment rendre compte de tout ce qu'il y a d'arbitraire ou plus exactement de contingent dans la jouissance, qui ne se déplie pas? Et on peut même dire que c'est bien pour ça que déjà à ce moment-là Lacan formule que l'Autre n'existe pas, au niveau de la pulsion l'Autre n'existe pas; au niveau de la pulsion, l'Autre de la parole, l'Autre du savoir, l'Autre du langage n'est pas là.

Donc il y a visiblement une grande tension entre le statut de cette réponse S(A barré) et puis le statut qui est donné à la pulsion comme chaîne de signifiants. Ça n'empêche que quand Lacan parle de la pulsion, il fait bien sa place à la jouissance, il écrit jouissance au départ du vecteur; comment parler de la pulsion sans faire sa part à la jouissance, mais comment faire entrer la jouissance dans ce système? Eh bien, c'est là, – bien sûr que je l'ai commenté, mais je ne l'avais pas vu sous cet angle –, ici, il ramène la jouissance au complexe de castration. C'est-à-dire qu'en effet il fait sa place à la jouissance, il va même dire que c'est ça le manque dans l'Autre, il n'y a pas le signifiant de la jouissance qu'il faudrait, mais il traite la jouissance, et, ça, c'est fondamental, il traite la jouissance à partir de l'interdiction. Il traite la jouissance à partir d'un non à la jouissance et à partir d'une problématique foncièrement œdipienne.

On voit bien le paradoxe dans la phrase qu'il peut employer alors dans le commentaire de Socrate, dans les Écrits page 822, il dit: «Le phallus donne corps à la jouissance».

La jouissance, quand même, n'a pas attendu le phallus pour avoir un corps; c'est même... la jouissance comme telle est impensable sans un corps, qui jouit. Donc, le phallus donne corps à la jouissance, dans la dialectique analytique; ça, c'est autre chose, c'est relatif au discours analytique. En fait, ce qui apparaît à ce moment de l'élaboration de Lacan, ce n'est pas que le phallus donne corps à la jouissance, c'est qu'il donne signification à la jouissance et qu'il lui donne une signification très précise, qui est une signification de transgression, corrélative de l'interdiction. C'est parce qu'on a dit: tu ne dois pas jouir, tu ne dois pas jouir de la mère, tu ne dois pas jouir de la voisine, tu ne dois pas jouir de ton organe etc., c'est parce que la jouissance arrive appareillée d'un discours d'interdiction qu'elle prend figure de transgression.

Et c'est pourquoi Lacan peut assigner à cette signification le symbole – mais c'est quand même un peu pour rire –, le symbole racine de moins un (√–1) et dire qu'il faut le multiplier et qu'à ce moment-là on a le manque de signifiant –1, autrement dit, différentes modalités du négatif.

Ce qui est amusant, c'est que tout de même la matière résiste, la chose analytique résiste. C'est ça, c'est comme ça que je lis Lacan, là. Je vois les apports prodigieux qu'il développe, d'argumentations, et qu'il y a tout de même la chose même de la psychanalyse – et qu'avait cernée Freud – qui résiste, et comme son abord est extrêmement précis, on sent, c'est comme une baguette de sourcier, on sent que là justement il y a quelque chose. Par exemple, bien sûr qu'il faut quand même que Lacan réserve la placede: il y a une jouissance à qui la négation, ça ne fait rien du tout, qui est une jouissance, alors ça!, qui est hors négation, c'est ce qu'il appelle – je l'ai dit, jadis – le phallus symbolique, signifiant de la jouissance impossible à négativer.

Alors, comment on traite de l'impossible à négativer dans un système qui est tout articulé autour de la négation? On voit dans une phrase, regardez comment Lacan fait passer ça: «Tout support qu'il soit de moins un (–1), le petit phi (-φ) devient grand phi (Ф) impossible à négativer». Essayez de vous représenter ça ! J'ai essayé! Mais on comprend que dans ce mode de phrase, c'est tout le problème qui est concentré, tout le problème qui est d'accoucher d'un impossible à négativer, à partir du négatif. Alors, on essaie la multiplication, on essaie tout ça jusqu'au moment où on jette tout ça. Parce que qu'est-ce que c'est Lacan? Lacan, c'est une avancée. Ce que je recompose ici, il faut bien qu'il soit passé par là pour avoir mis tout ça au panier. Et il l'a mis au panier. Au moins, il est passé au-delà. Je ne vous donne que cet exemple – je suppose que vous avez appris le b.a.-ba de la pulsion, vous l'avez appris sans doute dans le Séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse: regardez les deux chapitres qu'il y a sur la pulsion et comparez -les à ce que Lacan a dit deux ans avant! On ne reconnaît plus rien, c'est tout à fait différent, c'est construit d'une façon profondément distincte, parce que dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Lacan se règle, prend comme point de départ la question de la jouissance et pas comme point d'arrivée. À ce moment-là, la pulsion, ce n'est plus du tout un énoncé! Il fait de la pulsion un vecteur qui vient entourer l'objet petit a. Il n'y a plus de S(A barré) etc., il y a une problématique de la pulsion qui est sans l'interdiction, où l'interdiction ne domine plus la question de la jouissance.

Dans le texte que j'évoquais du graphe, qui est le texte intitulé Subversion du sujet et dialectique du désir, la question que clairement Lacan évite à la fin, c'est d'avoir à dire la fin de l'analyse, à partir de son point de départ. Lorsqu'il vient à la question de la fin de l'analyse, c'est la fin du texte, il dit: «Nous n'irons pas ici plus loin», page 827. Ce n'est pas en général comme ça que l'on finit un texte! Quand on finit un texte, on ne va pas plus loin. Quand on a besoin de le dire, c'est qu'il y a justement quelque chose du travail sur: comment aller plus loin? Alors, il ne va pas plus loin, mais il fait de la clinique. C'est-à- dire qu'il examine, une fois qu'il a cerné son grand S de grand A barré, et ses ques tions de la jouissance, il étudie la jouissance dans le rapport à l'Autre dans la névrose, la perversion et la psychose. Il fait de la clinique! Et une clinique qui est dominée par quoi? Par le rapport de la jouissance au grand Autre, et précisément par le rapport à la jouissance de l'Autre.

Et voilà, il recommence! Comme ça lui a réussi avec le désir, de traiter la question du désir à partir du désir de l'Autre, il a la jouissance: il se met à traiter la jouissance à partir de la jouissance de l'Autre. Et ce qu'il en dit est d'ailleurs formidable. C'est formidable jusqu'au jour où il dira, parce que ça ne marche pas comme ça: l'autre en question, c'est le corps. Ah, d'accord! Mais en attendant, ici, c'était la jouissance de l'Autre avec un grand A et il a essayé d'insérer la jouissance dans le petit jeu qu'il connaissait, qu'il avait déjà mis au point, et avec grand succès comme toujours. Ce n'est pas ça qui gêne, c'est que c'est toujours réussi avec Lacan, c'est ça qui est gênant. C'est toujours réussi, donc il faut saisir le point où lui n'était pas content, il faut croire, pour continuer, et pour changer.

Et précisément ici, évidemment ça change tout quand on parle de la jouissance du corps et pas la jouissance de l'Autre comme on parlait du désir de l'Autre. De telle sorte que ce que vous voyez par contre quand vous lisez le Séminaire Le sinthome, c'est que la chose que Lacan, en tout cas, qui essaie le nœud de toutes les façons possibles: il le tire, il est méconnaissable, il le dédouble, il le détriple, il le torture, ce nœud, mais il y a une chose dont il ne faut pas lui parler, dont il ne veut pas entendre parler, c'est la jouissance de l'Autre, parce qu'il sort d'en prendre, il a vu ce que ça donnait et il a dit: la jouissance de l'Autre, y'en a plus! Ce n'est pas la question!

C'est donc dans ce contexte que l'interdiction de la jouissance qu'il a mise en fonction, d'une façon très œdipienne, très «complexe de castration», que l'interdiction de la jouissance répond au désir de l'Autre. Il définit donc le névrosé comme le sujet pour qui l'Autre serait habité par une volonté de castration – quand Lacan dit: volonté, il faut entendre: un désir décidé –, l'Autre habité par une volonté de castration, ce n'est donc pas l'Autre qui dirait: jouis!, c'est l'Autre disant: ne jouis pas!, disant un non à la jouissance.

Au fond, tout ce qu'il développe dans la dernière partie sur laquelle j'ai tellement travaillé est articulé autour d'un non à la jouissance que dirait l'Autre, et donc les solutions, dit-il: on dit oui à cette volonté de castration, c'est-à-dire, grosso modo, on se suicide, ou bien on se momifie, on se ratatine complètement sous cette volonté de castration de l'Autre, ou bien on se suicide en se vouant à la cause perdue, à la fameuse cause perdue.

Et ce qu'il n'envisage même pas à cette date, c'est qu'on puisse dire non à l'aspiration à la virilité. Ça lui viendra, comme je l'ai déjà dit, avec la passe, qu'on puisse dire: non, je ne suis pas concerné par cette volonté de castration.

Juste, in extremis, avant qu'il dise: «Nous n'irons pas ici plus loin», il dit quand même une phrase où se concentre ce qu'il peut dire à ce moment-là de la fin de l'analyse. Ça se présente comme: qu'est-ce que la castration? La castration veut dire que – il va nous donner la Bedeutung de la castration –, que la jouissance doit être refusée pour être atteinte. Vous savez, je l'ai beaucoup lue, cette phrase, et je l'ai beaucoup fait lire, et je l'ai beaucoup commentée. Mais c'est maintenant que je comprends au-delà de ce qu'elle dit dans quoi elle est prise. «La castration veut dire que la jouissance doit être refusée pour être atteinte», comment ça s'appelle, ça? Ça s'appelle la dialectique. Lacan a réussi – et c'est ça qu'il essayait avec la puls ion –, il a réussi à faire entrer la jouissance dans la même dialectique que le désir. Parce que c'est ça, l'essence de la dialectique: on dit non et par là, enfin on peut dire un oui d'un ordre supérieur. C'est l'Aufhebung! Il faut commencer par consentir à l'interdiction de la jouissance pour la retrouver mais à un degré supérieur, purifiée, et admirable, et permise. En quelque sorte, il faut prendre sur soi la ruse de la raison, comme disait Hegel. La ruse de la raison, c'est: on interdit et après, on retrouve la même chose mais exaltée et à une autre dimension, et il dit même exactement où on va la retrouver, où on va l'atteindre: «sur l'échelle renversée de la loi du désir». Ah! Donc, la jouissance va être atteinte d'abord sur quelque chose qui concerne le désir; c'est ça que Lacan fait avec la jouissance, il la fait entrer dans la dialectique du désir.

Alors c'est quoi, l'échelle de la loi du désir? E t pourquoi faut- il la renverser? C'est très clair, Lacan l'a expliqué, avec Saint Paul, et l'Épître aux Romains, qu'il cite dans L'éthique de la psychanalyse – le passage de Saint Paul qui dit que le péché est né avec la loi –, et Lacan explique que c'est exactement ce qui fait l'objet désirable, c'est précisément l'interdiction par la loi; le: tu ne feras pas ceci et tu ne coucheras pas etc., ce sont autant d'index du désirable. Et dès lors, la loi du désir, c'est la loi comme la loi qui crée le désir par l'interdiction et par la négation. Et Lacan dit, eh bien, qu'il faut renverser cette échelle et avoir accès précisément à ce qui jadis était interdit. Elle doit être refusée: si la jouissance t'est refusée, c'est pour que tu puisses l'atteindre, mon petit. Voilà, la jouissance est là donc introduite dans la dialectique du désir.

Le décrochage est parfaitement sensible dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, où précisément l'objet petit a n'est plus qu'un substitut, Lacan dit même que ça n'est qu'un vide: peu importe, c'est n'importe quel objet qui peut venir à cette place, ce qui compte, c'est la satisfaction que la pulsion obtient par sa trajectoire. Et cette trajectoire ne dépend pas de l'interdit. Dans la problématique précédente, on peut dire que le désir est créé par l'interdit, c'est-à- dire qu'il a une origine œdipienne, et que la jouissance en dépend parce qu'elle tient à la transgression de l'interdit.

Eh bien, précisément c'est au- delà que Lacan a pu penser la jouissance, penser la jouissance au – delà de l'interdiction, penser la jouissance positivée comme celle d'un corps qui se jouit, et la différence est sensible: la jouissance ne tient pas à une interdiction, la jouissance est un événement de corps. La valeur d'événement de corps est de s'opposer précisément à l'interdiction, elle n'est pas articulée à la loi du désir, la jouissance, elle est de l'ordre du traumatisme, du choc, de la contingence, du pur hasard, ça s'oppose terme à terme à la loi du désir, et elle n'est pas prise dans une dialectique mais elle est l'objet d'une fixation.

Et c'est précisément parce que Lacan a pu passer au-delà de la problématique de l'interdiction qu'il a pu dégager comme telle la jouissance féminine, c'est-à-dire ne plus la centrer sur le Penisneid, qui était par excellence une fonction négative. Et ce que Lacan appelle cette jouissance spéciale qui est réservée à la femme, c'est précisément la part qui existe sans subir l'interdiction, qui n'est pas prise dans le système interdiction – récupération et son Aufhebung – parce qu'on sait où ça mène, en général, du côté de la sexualité féminine. Ça consiste à dire, finalement: un enfant, c'est encore mieux que l'organe qui vous manque, et une fois qu'on a introduit l'amour maternel dans cette partie, ça y est, tout se suit: la famille, la société, la religion, la suite..., et ça efface ce qui de la féminité résiste précisément à la logique de l'Aufhebung, à la logique dialectique de perdre pour retrouver.

Alors, il faut voir comment ça fonctionne du côté homme et à ce moment-là, eh bien, il y a encore beaucoup de choses à dire que je dirai, je n'ai pu en faire qu'un petit morceau aujourd'hui, je reprendrai tout ça, je continuerai tout ça le 2 mars.

À bientôt.
Made on
Tilda