JAM reprend la parole.
Eh bien merci Clotilde de ce parcours rythmé qui, évidemment, évoque, comme chaque fois que moi-même je parle ici de philosophie, évoque des termes et des références qui ne sont pas d'un usage commun pour l'auditoire. Il faudrait quand même arriver à faire là-dessus une petite avancée. Vous avez fait référence à un article de Sartre, vous avez fait référence à
l'Etre et le néant mais, évidemment, c'est sept cent pages environ et ça avait d'ailleurs la réputation d'avoir été acheté pendant l'occupation parce que le volume, parait-il, faisait juste un kilo et que, comme on manquait de poids, ça servait, paraît- il, dans les balances. C'est peut-être trop vous demander de connaître ces sept cent pages – qui sont pourtant, dans beaucoup de parties, distrayantes – certaines pages sont délayées – c'est quand même distrayant mais c'est peut-être trop – donc peut-être que ça [26] vous paraît plus maniable et donc c'est l'article auquel j'avais fait référence, qu'a commenté ici Clotilde, ça a été publié d'abord en revue, dans une revue que lisait Lacan, dans laquelle même il a écrit, je crois, qui était la revue des philosophes en pointe dans l'entre deux guerres, et en particulier y écrivait Koyré, que Lacan a connu, et qu'il a pris comme une référence très importante dans sa propre épistémologie, et Kojève également qui avait été accueilli en France par Koyré et qui était dans ses dépendances. C'était la revue
Recherches philosophiques qui, en mille neuf cent trente six, publie cet article de Sartre qui est son premier – c'est avant son livre sur l'imaginaire, si je me souviens bien – c'est vraiment sa première apparition sur la scène philosophique et qui est vraiment sensationnelle, sous le titre
La transcendance de l'ego. Ça a été réédité aux éditions Vrin en mille neuf cent soixante cinq par une jeune philosophe qui est devenue par la suite la fille adoptive de Simone de Beauvoir. Je crois que c'est toujours disponible; ça sera ardu à lire pour ceux qui n'ont pas de formation, là il n'y a pas d'exemples, c'est... mais l'effort se fait quand même sur de beaucoup plus petites pages et moins nombreuses. En tout cas, il est certain que ça a été un article essentiel pour Lacan. Je crois que vraiment ça a marqué, pour lui, un moment et on a les traces dans tout son enseignement. C'est à mettre au rang des articles dont Lacan fera usage plus tard, et qui compteront beaucoup pour lui, de Lévi-Strauss, son article sur
l'Analyse des mythes qui a inspiré visiblement le
Séminaire de Lacan consacré au
Petit Hans, le Séminaire IV et l'article de Lévi-Strauss, qui était une critique de la psychanalyse, qui était une critique et même une satire de la psychanalyse, sous le titre de
l'Efficacité symbolique et Lacan a très bien pris ça et c'est à la fin de cet article qu'il a eu l'illumination de ces trois catégories rapportées les unes aux autres: le symbolique l'imaginaire et le réel.
Ça m'est déjà arrivé de l'expliquer, eh bien cet article de Sartre est à mettre au rang des deux autres et il leur est antérieur. Sartre emploie le mot ego dans le sens philosophique, avec des références philosophiques, mais, par une rencontre merveilleuse, c'est le mot qui est au centre de la seconde topique de Freud qui distingue le moi ou ego, le ça et le surmoi.
C et article est quand même la base, non pas clinique, mais la base philosophique de la critique à laquelle Lacan va se consacrer après la guerre, la critique de la forme qu'a pris la psychanalyse freudienne aux États-Unis, à partir de quoi elle a rayonné surtout aux États-Unis et à partir de quoi elle a rayonné sur le monde sous le nom
d'Ego psychology, la psychologie de l'ego.
Tout le premier enseignement de Lacan et la suite, c'est une canonnade, année après année, contre, à partir et contre
l'Ego psychology comme étant la version en vogue de la psychanalyse, celle qui néglige l'inconscient, lequel est inscrit dans la première topique de Freud et s'appuie exclusivement sur la seconde topique, sur la tripartition
ego ça, ego id super ego, exclusivement là-dessus, et qui donne une interprétation psychologique de ces trois instances freudiennes.
Le boulet que Lacan met dans son canon à ce moment-là-évidemment pour canonner année après année, il faut beaucoup de boulets de canon - mais au moins un de ses boulets, c'est cette transcendance de l'ego dont, évidemment, il faut dire un mot, que vous avez dit, vous avez dit son rôle – peut-être il faut expliquer le mot transcendance dans ce titre, ce n'est pas au sens où on dit de quelque chose qui est génial: c'est transcendant, mais ce n'est pas non plus la transcendance au sens où on peut l'employer de façon absolue pour désigner les supra êtres quelque part, ce n'est pas non plus, mais ça vous ne ferez pas l'erreur parce que vous ne connaissez pas le sens kantien du mot transcendantal – ça veut, vraiment, il me semble, vous me direz ce que vous en pensez, ça veut dire que l'ego est hors de, ça a plutôt le sens de l'ex-sistence de l'ego. La thèse fondamentale, c'est que l'ego ex-siste hors de la conscience, la thèse fondamentale, c'est de distinguer pour ça la conscience et l'ego et de dire que l'ego n'est pas la conscience mais que c'est un des objets que peut considérer la conscience, que c'est transcendant, c'est comme un objet du monde que la conscience vise, sauf que, évidemment, ce n'est pas à proprement parler dans le monde.
Le verbe viser que j'emploie est tout à fait précis, l'idée que la conscience vise, ça se réfère à la notion dite – c'est un terme technique – dite de l'intentionalité que Sartre avait d'ailleurs célébrée dans un texte fameux de quatre pages pour dire comme c'était pour lui libératoire par rapport à la psychologie, ça repose sur l'idée – qui va vous paraître un peu plate – que toute conscience est conscience de quelque chose, que toute conscience est une visée vers quelque chose qui lui est transcendant, qui lui est extérieur; c'est à ce titre qu'on parle de phénoménologie puisque c'est la doctrine, la base de la phénoménologie de Husserl que Sartre était allé étudier en Allemagne et c'est de ses premières lectures qu'il a rapporté, qu'il a ramassées et radicalisées des vues de Husserl sur cette transcendance de l'ego. Ce qui définit la conscience, c'est d'être une visée, en quelque sorte pure, et donc ça implique, chez Husserl par exemple, la critique du cogito cartésien, qui apparaît comme une sorte de formation de concrétion de la conscience, ça implique aussi chez Husserl une critique du «je pense» du «je transcendantal» de Kant, que celui-ci définit comme devant pouvoir toujours accompagner les représentations. Au fond, le cogito, lorsque je me pense comme pensant, c'est la conscience qui se prend pour objet, qui se pose comme un objet, de telle sorte qu'on doit distinguer deux états de la conscience, son état irréfléchi et son état réfléchi.
Quand elle est réfléchie, eh bien apparaît cette position d'objet et quand elle est irréfléchie, c'est-à-dire quand je ne pense pas, il y a des états de la conscience où je ne pense pas à moi, où le moi n'apparaît pas, il y a un seul exemple qu'en donne Sartre dans ce petit article, c'est assez sommaire, c'est «je cours après le bus – aujourd'hui on ne court plus après les bus, ils sont tous fermés mais à l'époque où Sartre écrivait, on a encore connu ça dans les années soixante dix, les bus avaient des plates-formes avec une petite lanière en cuir qui fermait et donc, même si on avait manqué le bus, eh bien on pouvait encore courir derrière et puis sauter sur la plate forme, aujourd'hui, ça n'aurait plus de sens, un tel exemple ≠ donc il dit: au moment où je cours derrière le bus, je ne pense pas à moi et donc moi j'ai disparu et nous sommes dans l'état dit irréfléchi de la conscience - ce sera beaucoup plus sophistiqué dans l'Être et le néant, là c'est au départ, donc : moi je ne pense pas à moi, moi j'ai disparu, et voilà au fond l'apparition d'un champ de conscience où il n'y a pas de je, et c'est simplement par l'acte de réflexion, si je me met à réfléchir, alors apparaît un je mais c'est déjà une formation secondaire et ça ne traduit pas l'authenticité, la vérité de cette conscience à l'état impersonnel etdoncilyaunchampde conscience sans je et le je n'apparait que secondairement. C'est très sommaire.
Ce que je dis est un peu plus sommaire que ce qu'il y a dans le texte de Sartre, mais pas tellement, c'est de cet ordre mais c'est déjà suffisant pour comprendre comment Lacan pourra déplacer cette forme déjà même sur le
wo est war, soll ich werden freudien: là où je ne pensais pas je, là où le je n'étais pas, à savoir dans le ça, le je dois advenir. Donc ce qui, chez Sartre, est le champ de conscience pré personnel, impersonnel ou pré personnel, dans sa différence avec l'apparition réflexive du je, est transporté par Lacan sur la phrase
wo est war, soll ich werden: là où c'était le ça, doit advenir le je.
C'est ça le paradoxe, c'est que ce qui est défini par Sartre comme le plus pur de la conscience, dont toute concrétion est évacuée, cette conscience qui n'est qu'une visée vers autre chose, cet état là, ce n'est pas un état, c'est un mouvement, c'est une visée, c'est une spontanéité pure, eh bien est traduit pas Lacan dans le terme du ça où, en effet, le je n'est pas là.
On ne se reconnaît pas dans le ça, c'est pour ça qu'on l'a nommé comme ça, on a nommé le ça comme ça parce que, justement, je ne suis pas dans le ça, je ne m'approprie pas, je ne suis pas chez moi dans le ça. À cet égard, quelle est la modalité d'être de cette conscience qui n'est pas je, qui est avant le je? C'est une pure spontanéité, mais qui, du point de vue de l'être, est un néant, un néant qui se dirige, un néant constituant, qui n'est pas constitué comme un objet mais qui est au contraire constituant des objets, et qui est constituant des objets surtout quand... – à cet égard qui leur donne du sens.
D onc ça oblige Sartre à inventer, là, une catégorie spéciale pour cette conscience irréfléchie, de dire c'est à la fois – c'est un absolu, ça n'a pas d'extérieur, ça n'a pas de contraire, c'est
sui generis dans sa dimension, et en même temps, ça n'est pas substantiel, ça n'a pas une substance, ça n'a pas un être, posé là, qu'on peut définir par, c'est une pure spontanéité qui va vers.
Il dit même dans
l'Être et le néant que la conscience ne saurait être limitée que par elle-même, ce qui est quasiment une expression de Spinoza à propos de la substance, mais supposée non substantielle. Donc on a d'un côté la conscience qui est néant, on a de l'autre côté l'être, comme dans le titre, mais l'être en soi qui en ignore tout et le rapport des deux, c'est que la conscience donne du sens, ou lit le sens qu'il y a, mais, en fait, apporte et donne le sens. Et donc ça suppose, et ça ce n'est pas tellement thématisé, ce n'est pas tellement réfléchi chez Sartre, c'est: quel est l'être du sens? Ça paraît justement un indéfinissable.
Ça a été très important pour Lacan, quand même, pour attaquer en son cœur
l'ego psychologyqui justement considérait l'ego comme un objet psychologique, doté de propriétés psychologiques, mesurables éventuellement; ils considéraient que c'était le même, que l'ego psychanalytique, l'ego freudien, c'était la même chose qu'un ego psychologique, qu'il a des propriétés, que ces propriétés sont objectivement mesurables, et qu'i l est doté d'un certain nombre de mécanismes, par exemple les mécanismes de défense comme disait Anna Freud et donc Lacan a pratiqué, avec les moyens que donnaient la phénoménologie et qu'avait exploités Sartre comme Merleau-Ponty, Lacan s'est retrouvé avec eux dans la critique de l'objectivisme.
Donc il y a des circulations, il y a des critiques qui sont les mêmes et qu'est-ce que c'est que l'objectivisme, qu'est-ce que c'est qu'un l'objectiviste, on peut dire – on a employé l'expression – c'est la méconnaissance du rôle de la spontanéité constituante du sens. Et donc à la place de rapports de significations, à la place de considérer que la conscience se fait ceci, elle devient cela parce qu'elle
se fait cela, au fond c'est une conscience à transformation, eh bien on considère qu'elle est habitée par des affects qui eux-mêmes sont considérés comme des choses, enfin on n'a affaire qu'à un monde de choses et l'ego est une chose parmi les autres et il y a des rapports de causalité qui sont des rapports de caus alité mécaniques. Irci
Alors que, quand il est question de sens, évidemment, on n'a pas de rapports de causalité mécaniques. C'est ainsi que – j'ai relu quelques pages de
La transcendance ce de l'ego – Sartre critique l'idée que l'évènement psychique serait une chose. Il dit: si on ne reconstitue pas le mouvement pur de la conscience, eh bien on s'imagine que les évènements psychiques sont comme des choses alors qu'il faut restituer la spontanéité de la conscience dans l'évènement psychique. Il emploie l'expression, qui est très freudienne il faut dire, et donc – ça a lancé d'ailleurs la mode, générale, de dire: ne sont pas des choses.
Par exemple il y a un sociologue, qui s'appelait Jules Monnerot, qui a écrit un livre dont le titre, au moins, était resté célèbre:
Les faits sociaux ne sont pas des choses. Et donc on pouvait décliner ça, et c'est resté assez vivant, mais un peu spiritualiste. L'idée: il ne faut pas traiter les gens comme des choses, il ne faut pas traiter ce qui leur arrive comme des choses, ce ne sont pas des choses... Il faut entendre que l'humanité de l'homme l'empêche d'être une chose et donc les humanistes traitent les hommes comme pas des choses et les autres les traiteraient comme des choses etc.
Lacan a pris toutes ses distances avec cette dégradation la en parlant de
La Chose freudienne. Et à ce moment là, il dit justement: on a fait des grimaces – on a fait des grimaces parce qu'en mille neuf cent cinquante six, quand on lit
La chose freudienne, les gens veulent dire: mais non ce n'est pas une chose! C'est passé ça!
Alors, à partir de là-c'est un ingrédient tout à fait important que la critique de l'ego par Sartre, disons elle rentre, si on voulait... La lecture par les influences, évidemment, à des limites et d'ailleurs ce n'est pas ce que je fais et ce n'est pas ce que Clotilde a fait, la lecture par les influences; on doit noter simplement des transports de termes, des transports d'expressions. C 'est ça essentiellement qu'on repère, mais on peut dire quand même que Lacan fait un cocktail, au départ, dans lequel entre la critique, par Sartre, de l'ego comme objet, dans ce cocktail rentre aussi l'expérience du miroir telle que Henri Wallon – qui était un psychologue – l'a mise en valeur et avant lui, c'était Darwin qui avait repéré ça, le comportement spécial du jeune enfant dans le miroir et Hegel avec sa dialectique du maitre et de l'esclave.
Avec
La transcendance de l'ego de Sartre, on a la notion d'une conscience pure qui se fait, ceci ou cela, de sa propre spontanéité et qui est donatrice de sens. C'est plutôt Husserl, ça, d'ailleurs. D e l'expérience du miroir, on a l'idée du rapport, on va l'appeler le sujet puisque c'est le terme de Lacan, du sujet et de l'Autre son image et avec Hegel, on a l'idée d'appliquer sur ce rapport du moi et de l'Autre la structure du maître et de l'esclave.
Sartre apporte ici la notion d'un être qui se fait, ou d'un être qui a à se faire, d'un être en devenir, en devenir depuis le néant vers l'être, mais là il n'est pas question de l'Autre, dans
La transcendance de l'ego, on est tout seul, d'ailleurs c'est un absolu, quand on est absolu, on n'a pas d'Autre, il n'y a pas d'Autre de l'Autre pour l'absolu, c'est l'absolu tout seul. Sartre apporte ça. Avec le miroir, on ajoute l'Autre et avec Hegel, ça commence à devenir intéressant avec le maître, l'esclave et voilà...
Je le dis comme tel: c'est une scène qui se monte progressivement. La racine commune de Sartr e et de Lacan, c'est Kojève. Sartre n'était pas – je crois – des auditeurs de Kojève à cette date mais il en avait tous les échos et il a du y figurer, Merleau- Ponty, en tout cas, y était, qui est la racine commune des deux.
Donc, on a l'idée, là, d'une conscience qui a à être ce qu'elle est, c'est-à-dire une dynamique qui provient d'un décalage initial, comme vous l'avez rappelé, la faille irréductible etc.
Eh bien Lacan a eu l'idée, la notion, que pour désobjectiver la psychanalyse, la dépsychologis er – comme vous l'avez dit – premièrement il fallait revenir à la première topique, c'est-à-dire rendre ses droits à l'inconscient – ça nous paraît aller de soi que la psychanalyse, ça a rapport à l'inconscient mais ça n'avait rien d'évident quand Lacan a commencé son enseignement, au contraire c'était considéré comme désuet c'était remplacé par l'ego. Donc: rendre sa place à l'inconscient et définir l'inconscient sur la même forme de ce rapport de la conscience à ce qu'elle a à être. Un inconscient qui a à être, qui n'est pas déjà là tout constitué, mais qui est constituant.
Ça n'est pas écrit ça, mais ça se retrouve dans la notion même de Lacan du
sujet supposé savoir. Dire qu'il est supposé, c'est précisément dire qu'il n'est pas déjà tout constitué et qu'il est plutôt – le sujet supposé, c'est une variante du sujet en tant que manque d'être, comme disait Sartre pour la conscience et Lacan fait une variation en disant
manque à être qui laisse entendre qu'il veut être et c'est pour ça que je disais que la traduction que Lacan avait choisie de manque à être en anglais est meilleure que l'expression française, puisqu'en anglais on peut dire want to be. Want to be, avec l'équivoque du mot want, qui veut dire à la fois vouloir comme verbe et qui, comme substantif veut dire manque. Et donc là, on a un manque qui veut.
Alors c'est d'autant plus adéquat concernant la psychanalyse que le minimum de ce qu'on attend de la cure psychanalytique, de l'expérience analytique, c'est qu'elle soit ce que j'appellerai avec pédantisme un processus transformationnel, que ça transforme. Donc il s'agit de savoir qu'est-ce que ça transforme? Et comment ça transforme? Alors l'idée de Lacan, celle qu'il l'exprime au départ, dans
Fonction et champ de la parole et du langage – il y a plusieurs versions de l'inconscient, mais il y en a une qui est: c'est le chapitre censuré de mon histoire et, d'une certaine façon, l'inconscient est de l'ordre historique, mais l'histoire entendue comme la suite des significations que j'ai donné à ce que j'ai vécu.
Et l'inconscient, c'est la partie que je n'ai pas pu faire signifier. Donc Lacan comprend au départ le refoulement comme ce qui est resté... c'est quand même un inconscient traumatique – j'emploie déjà le mot signifiant qui ne viendra chez lui que plus tard – l'inconscient, ce sont les signifiants qui n'ont pas pu signifier. Ce sont les signifiants du trauma, de traumatisme, dont le sens est resté bloqué, qui sont restés dans le non sens ou dans un sens bloqué et donc la cure, c'est de débloquer le sens. C'est ça qu'il appelle la dialectique: c'est une dynamique qui comporte un certain nombre de renversements de signification.
Alors il y a une opposition, ce n'est pas si facilement compatible.
À certains moments, dans son élaboration pl utôt logicienne, Lacan présente l'inconscient comme un système. Il fait son schéma des plus et des moins pour montrer – où l'inconscient apparaît comme un système de signifiants, un système qui est là. Là, il apparaît sous un aspect un peu substantiel. Et puis il y a l'inconscient qui est dialectique, qui suit la dialectique du désir, ou l'inconscient qui est supposé savoir et ce sont deux aspects qui, parfois, sont en tension. Est-ce que c'est là et il s'agit de le découvrir ou il s'agit de l'inventer ? Il y a dans l'élaboration et dans la réflexion une tension entre ces deux pôles.
D'une certaine façon, ça a basculé, pour Lacan, du côté : ça s'invente, le savoir s'invente. Il radicalisé cette notion que, dans une analyse, le savoir s'invente, mais il a radicalisé aussi dans l'autre sens, c'est- à- dire le sinthome, qui se répète et on n'y peut rien.
À la fin, il y a un écartèlement qui apparaît dans l'expérience analytique entre tout ce qui est invention et qui n'est pas simplement fantaisie, les inventions qui ont des conséquences, l'invention de nouvelles vérités par le sujet, il les essaye, il peut les écarter mais il peut aussi s'y accrocher, elles ont une certaine densité. Lacan radicalise l'aspect inventif au point de dire: la psychanalyse – à un moment, il avait lâché comme une sorte de boutade, mais les boutades, on ne sait pas jusqu'où ça va, que la psychanalyse ne se transmet pas, elle se réinvente avec chaque psychanalyse.
D'un côté, il radicalise l'invention, l'invention par l'analysant d'une vérité qui, de toute façon, sera menteuse. Et de l'autre côté, il radicalise l'inertie, le statique d'un symptôme qui – il se répète mais ça veut dire – il se répète de façon stationnaire, l'itération, ça veut dire: c'est stationnaire. Donc il radicalise d'un côté la dynamique de l'expérience, mais de l'autre côté, il radicalise aussi son aspect stationnaire et, en effet ça produit un certain déchirement, un déchirement à le penser aussi, un déchirement à admettre que l'élan de l'invention ne puisse pas corriger le stationnaire du sinthome.
Maintenant il faut quand même mentionner la grande différence entre Sartre et Lacan, si c'est nécessaire, c'est que, pour Sartre tout ça se fait selon la logique du phénomène de conscience. Sans l'action et dans l'urgence que j'ai d'attraper le bus, c'est ça qu'il avait à sa disposition à son époque de plus innocent pour marquer le rapport entre l'action et l'urgence, c'était l'urgence de prendre le bus. On se demande pour aller ou? Il faut croire que ça lui apparaissait un absolu, de prendre le bus. Donc il y avait cette urgence et puis, rendu chez lui, le philosophe qui n'a plus à prendre le bus, il n'a plus qu'à prendre le café, le thé, ou pas chez lui, au Flore, il prend le bus, il attrape son bus, il va au Flore, là il flemmasse un peu, il fume, là il peut penser à son moi, là il est un moi, il dit – je plaisante à peine puisque c'est au niveau de «attraper son bus».
En tout cas, j'anoblis cet exemple en disant que Sartre décrit la structure interne de la conscience, à travers le bus et la cigarette et c'est comme ça qu'il obtient la différence entre le champ irréfléchi de conscience sans je et l'irruption du je par l'acte réflexif.
Lacan n'obtient pas ça de cette façon là. Il obtient ça en tenant compte du langage. L'opérateur pour Lacan, ne se fie pas à la description du phénomène de conscience qui, pour un analyste, apparaît comme un phénomène de surface extrêmement équivoque mais, pour Lacan, ce qui fait qu'il y a, pour ce qu'il appelle le sujet, la dimension de l'être, la dimension ontologique, ce qui introduit cette dimension, c'est le langage et sans ça, il a l'ensoi de Sartre. Ce qui fait la différence entre l'ensoi et le sujet, c'est le langage. La thèse de Lacan, c'est que ce qui introduit même la dimension de l'être, et ce qui introduit la dimension de manque d'être ou de manque à être, c'est le langage.
C'est le signe, il faut qu'il y ait un signe posé, un élément posé, on l'enlève et à ce moment là, il y a du manque et c'est impensable sans cette référence c'est-à-dire en ce sens, c'est le langage, c'est-à-dire le symbolique, c'est-à-dire, en dernière instance, le Un qui introduit la dimension de l'être et en cela, le champ ontologique est sous la dépendance du champ de l'Un.
Vous avez très bien dit que, en effet, chez les structuralistes, il n'y a pas d'ontologie, mais Lacan, il a tiré l'ontologie à partir de la linguistique de Saussure. C'est-à-dire, il a tiré une ontologie à partir de la notion de système où les éléments sont relatifs les uns aux autre, c'est-à-dire ce qu'on appelle une relation diacritique, c'est-à-dire d'opposition... Chaque élément est ce que les autres ne sont pas et donc là, il a une ontologie saussurienne, plus exactement une ontologie que Lac an déduit de Saussure et ça l'occupera beaucoup, cette déduction, sur le rapport entre le manque et le signifiant.
Ça l'inspirera dans sa construction du signifiant un et du signifiant deux et ça sera présent aussi dans ses développements sur le Un, là où on observera la prévalence du langage sur l'être: avant l'être, il y a le langage et à cet égard, donc, l'être est une création de langage, ce qui est assez, on voit bien que là, ça a vocation à ne pas être limité et ça n'est limité que par l'itération du sinthome et c'est encore une autre face du Un qui se répète. Donc il y a un Un qui se diversifie et un Un qui se répète.
Eh bien écoutez, je crois qu'on est arrivé au terme de la réunion d'aujourd'hui. Je remercie en votre nom Clotilde de nous avoir apporté ce travail qui sera certainement publié – je le souhaite; ce n'était pas prévu comme ça mais je crois que ça le mérite – je ne vous donne pas rendez-vous pour une date précise l'année prochaine parce que je l'ignore mais vraisemblablement dans les temps vous aurez l'occasion encore de m'entendre et peut-être de nous entendre dans les temps qui vont venir.