Жак-Ален Миллер , курс 2010-2011 гг
Бытие и Одно // Совсем Одно
10 сеанс, 6 апреля 2011

Жак-Ален Миллер, курс 2010-2011 гг
Бытие и Одно // Совсем Одно
10 сеанс, 6 апреля 2011
Nous terminons aujourd'hui une période de ce cours, qui reprendra le premier mercredi du mois de mai.

Voici longtemps que je lis Lacan. C'est d'ailleurs cette lecture qui m'a conduit à pratiquer la psychanalyse, d'abord à faire une psychanalyse, et ensuite moi-même à la pratiquer. Bien sûr, il y a d'autres déterminations qui sont entrées en jeu, mais d'où je vois la chose maintenant, c'est tout de même la lecture de Lacan qui m'a donné mon impulsion.

Il y a un itinéraire de Lacan. C'est la même racine que le mot itération, dont j'ai fait usage. Mais cet itin éraire n'a pas été une simple itération de la part de Lacan: il n'a pas répété le même. Encore que sous un autre angle, on pourrait le dire. Il a toujours en définitive visé, dans un vocabulaire différent, dans divers cadres conceptuels, il a toujours visé le même: le point exquis de la psychanalyse.

Cet itinéraire de Lacan, celui de sa pensée – pour autant que nous en avons le témoignage, la trace dans ses propos et dans ses écrits –, il m'est arrivé de le scander de trois moments.

Le premier, M1, se déplaçant dans le registre de l'imaginaire; le second donnant la primauté au symbolique dans le ternaire, alors seulement conçu, de RSI, réel, symbolique et imaginaire, qu'il a introduit dans une conférence qui précède son écrit qu'il considérait comme inaugural Fonction et champ de la parole et du langage; et tro isièmement, le dernier moment est orienté par la catégorie du réel. J'ai perçu cette tripartition il y a déjà longtemps et à la reconsidérer, elle me paraît tout à fait valide.

Le premier moment, c'est celui que Lacan considère comme le temps de ses antécédents, sa préhistoire, celle de son enseignement. Il vous suffit d'aller au dernier des textes de cette période, tels qu'ils sont réunis dans le recueil des Écrits, à savoir celui qui est intitulé Propos sur la causalité psychique, pour vérifier qu'en effet son abord de la ps ychanalyse est tout entier du registre imaginaire. Dans ce recueil, il est le dernier texte de la période, en dépit de la chronologie: c'est un texte de 1946 et Lacan recueille avant des textes antérieurs et postérieurs; il faut donc croire qu'il donne à ce texte une valeur singulière qui est précisément celle de mettre en valeur que tout alors pour lui se tient dans le registre imaginaire et en particulier la causalité qui est en jeu à la fois dans la psychanalyse et dans la constitution même de ce qu'il appelle encore le psyc hisme. Voyez la partie 3 de ce texte, qui commence page 178 et qui s'intitule Les effets psychiques du mode imaginaire. À le relire – alors que je l'ai déjà commenté, et pas qu'une fois –, je suis frappé par cette combinaison d'un appel à l'éthologie animale – la maturation de la pigeonne, le comportement social du criquet pèlerin – avec un sartrisme d'époque, l'implication de ce que Jean-Paul Sartre à cette date appelait le choix originaire et dont il avait donné un exemple mémorable dans une petite monographie sur Baudelaire. Il n'y a vraiment que Lacan pour marier ainsi la référence animale à la postulation la plus échevelée à la liberté absolue de ce que tous les deux, Sartre et lui, appelaient à l'époque la réalité humaine.

Le second moment, c'est ce qu'on appelle l'enseignement de Lacan, et ce qu'on a retenu à ce titre. Alors que le troisième, c'est vraiment l'envers du lacanisme. J'ai appelé ça le dernier, le tout dernier enseignement de Lacan. Là, Lacan sort de Lacan. Il démontre qu'il n'est pas prisonnier de son propre enseignement, il accomplit une tâche qui aurait pu revenir à ses critiques les plus acerbes, on peut dire qu'il met à l'épreuve ses propres prémisses. Et ce que je peux, il me semble, aujourd'hui préciser, c'est quand ça commence, ce passage à l'envers.

Il me semble que ça commence avec sa profération: Yad'lUn, avec la suprématie de l'Un du signifiant comme existant. Si donc aujourd'hui j'avais à résumer l'itinéraire de Lacan, je pourrais dire qu'il va de l'ontologie à l'hénologie, de l'être à l'Un, et que l'angle qu'on peut prendre sur la pratique analytique varie singulièrement selon qu'on l'ordonne à l'être ou à l'Un.

Pourtant, j'ai dit aussi que je c onsidérais encore ma tripartition comme valide. J'ai donc à me demander comment on passe ainsi de trois scansions à deux. On peut y passer parce que M1 et M2 relèvent tous les deux de la perspective ontologique. Et c'est seulement avec le moment du réel que Lacan l'abandonne, ou la relativise, son ontologie.

Dès M1 – j'ai relu dans cette perspective les textes afférents –, il est évident que Lacan fait référence à l'être, et il est déjà pleinement hégélien dans son moment imaginaire. Dès l'abord, Lacan a pensé la psychanalyse en termes diale ctiques et précisément la fonction du désir, sous les espèces qu'avait dégagées son maître Kojève, le bien connu aujourd'hui désir de faire reconnaître son désir. C'est dans ce cadre qu'il lit Freud, on peut vraiment dire qu'il lit Freud avec Hegel, comme il parlera plus tard de lire Kant avec Sade, comme instrument. C'est-à-dire qu'il injecte dans l'élaboration de Freud un élément qui, il faut bien dire, n'y figure nullement: le désir comme désir de faire reconnaître son désir. Ce qui est déjà établir le désir comme désir de l'Autre, et ce qui est installer d'emblée le sujet – terme qu'il n'emploie pas à l'époque, il dit: l'homme –, l'installer dans la médiation, le vouer à la médiation, et par là le vouer à la dialectique.

Cette dialectique est celle de «l'être de l'homme», il emploie cette expression. Et la médiation par laquelle passe cette dialectique ouvre sur, ou émerge dans une synthèse qui est celle, hégélienne, de la particularité et de l'universel, de telle sorte que Lacan peut définir alors la fin de l'analyse comme l'universalisation par l'homme de sa particularité.

Cette universalisation comporte qu'il reconnaisse ce qui dans sa particularité est mensonge dont seul l'universel donne la vérité. Dans ce cadre conceptuel hégélien, la particularité a son nom freudien, c'est le narcissisme. Donc, lisant Freud avec Hegel, Lacan est amené à concevoir la fin de l'analyse comme une traversée du narcissisme, en tant que ce rapport foncier à l'image de soi fait écran à l'universel, à l'universel où il n'y a plus moi tout seul avec mon image mais où il y a tous, ou chacun. Donc, la fin de l'analyse, c'est en somme: comment puis-je être compatible avec les autres?, et par là avec l'ordre du monde?, sans renoncer à ma particularité mais tout de même en la transformant, en la modelant.

Il y a un autre obstacle à surmonter dans la particularité du narcissisme, c'est qu'il est défini alors par Lacan comme mortifère, en référence au mythe de Narcisse, qui, captivé par son image, bascule dans l'eau et s'y noie. C'est ce que Lacan souligne d'un rapport foncier de l'image à la tendance suicide, et où il articule la pulsion de mort freudienne; il articule la pulsion de mort freudienne à l'imaginaire: derrière le narcissisme, il y a la mort. Il y a donc quelque chose à traverser aussi de la mort pour franchir lenarcissisme.

Dans ce cadre, la fonction de la répétition peut être par lui qualifiée – voyez page 187 – d'un adjectif qui du point où nous sommes et où Lacan nous a emmenés laisse

rêveur, fait sourire, la répétition est qualifiée de libératoire. Déjà Lacan avait repéré le Fort! Da! dans l'Au-delà du principe du plaisir, et il considérait que dans ce jeu l'enfant se libérait de tout lien avec la matérialité de l'objet qu'il perd par la séparation, par le sevrage, que la répétition signifiante était idéalisante. C'est ainsi qu'il analyse ce qu'il repère en effet comme le caractère itératif du jeu infantile, il a valeur de libération. C'est une liberté de maître: l'enfant est supposé maîtriser sa perte en la jouant, en la dématérialisant, en la convertissant en semblant.

Ensuite, nous avons M2, le moment que Lacan a si fort accentué comme étant celui où je commence, pour de vrai, et qu'il a assigné a son Rapport de Rome sur langage et parole. En effet, c'est le premier écrit où Lacan affirme la primauté du symbolique, donc ni celle de l'imaginaire, il surclasse l'imaginaire par le symbolique, il attribue au symbolique la causalité en jeu et par là-même il met en question le sujet à proprement parler, il en crée le nom, c'est-à-dire qu'à côté du moi dont l'instance répond au narcissisme, il inscrit le sujet comme sujet de la parole, sujet du langage, sujet de l'inconscient auquel il donnera plus tard le symbole $. Ceci en effet commence avec M2. Et bien des fois, j'ai moi-même accentué ce moment et sa valeur de coupe.

Mais ce qui me frappe davantage aujourd'hui, c'est la continuité entre M1 et M2 , en particulier la permanence du cadre hégélien dans lequel Lacan saisit à la fois l'œuvre de Freud et l'expérience de la psychanalyse.

D'abord, cette novation que constitue la primauté du symbolique n'empêche pas que le pouvoir est intégralement préservé de la dialectique, et d'une dialectique foncièrement transindividuelle qui débouche sur l'universel, de telle sorte que la fin de l'analyse continue d'être pensée comme universalisation; en particulier dans ce Rapport de Rome, Lacan peut écrire qu'à la fin de l'analyse, «la satisfaction du s ujet trouve à se réaliser dans la satis faction de chacun ». C'est vraiment énorme, c'est supposer une satis faction absolue – à côté du savoir absolu –, une satisfaction absolue d'une merveilleuse harmonie de chacun avec chacun.

On voit bien que là, Lacan n'a pas encore focalisé sur la chacune, si je puis dire, qui fait une certaine objection, une certaine difficulté à l'universalisation de la satisfaction. Il limite ses ambitions, il n'emporte pas l'humanité dans son rêve d'harmonie, il emporte seulement « tous ceux que la satisfaction du sujet s'associe dans une œuvre humaine. » Je dois dire que, tout en étant plus limité, ça reste quand même très perplexifiant. On n'aperçoit pas exactement que ceux qui s'associent dans une œuvre humaine, que ce soit une école ou un parti, brillent par la compatibilité de leur satisfaction, on aperçoit plutôt qu'ils se mangent le nez. Et à l'horizon, il y a, page 321, l'idée de rejoindre la subjectivité de l'époque. C'est vrai qu'à l'époque où Lacan écrivait, il y avait encore une subjectivité de l'époque, l'époque formait encore, semblait-il, un monde un peu ordonné. Aujourd'hui, on ne pourrait plus écrire au singulier la subjectivité de l'époque, on constate au contraire que l'époque est subjectivée de façon singulièrement compétitive et conflictuelle, jusqu'à ce qu'on a appelé le conflit des civilisations. Lacan écrit à une époque qui, pour commencer à devenir post coloniale, est quand même fortement marquée par le rêve d'empire. D'ailleurs Lacan l'a écrit, le plus grand respect pour la formation des empires, qui rendent apparemment compatibles précisément des satisfactions hétérogènes, qui organisent des cultures, des langues, des religions différents, et il annonçait d'ailleurs que viendrait le temps où on les regretterait, ces empires. En tout cas, on constate que l'époque post impériale dans laquelle nos sommes inhibe la formation d'une subjectivi té de l'époque.

Premièrement, disais-je, le pouvoir est préservé de la dialectique, et deuxièmement, sur le chemin de l'universalité, on continue de rencontrer la mort, en tant que le dépassement de la particularité narcissique passe par ce qu'on pourrait appeler mort du sujet. Après quoi on espère qu'elle soit relevée par l'Aufhebung hégélienne et qu'elle se surmonte dans l'universalité; la particularité périt pour que surgisse l'accès à l'universalité.

Et Lacan – pour continuer à indexer sa pensée de noms de philosophes – est en même temps attiré par la version heideggérienne de la mort, celle que comporte le concept d'être-pour-la -mort. Et la mort heideggérienne, telle qu'elle est définie dans l'ouvrage Sein und Zeit auquel Lacan se réfère, cette mort ne se laisse relever dans aucune universalité, c'est une mort solitaire et définitive, c'est une mort de pure fin itude, sans le rêve d'infinitude et d'absoluité qu'elle comporte chez Hegel. Et avec l'audace conceptuelle que nous lui connaissons, ça n'arrête pas Lacan de se référer d'un côté à un philosophe qui rêve de la synthèse de la particularité et de l'universalité, et de l'autre côté à un philosophe pour qui cette synthèse est précisément impossible; et Lacan donc de rêver que sous l'égide de l'analyse se conjuguent – on se demande par que miracle – le sujet du savoir absolu, Hegel, avec l'homme du souci, Heidegger. Vraiment le lacanisme, s'il n'était que ça, serait un syncrétisme.

Ce qu'on observe par la suite, c'est une bascule heideggérienne de Lacan. C'est-à-dire que le thème de l'universalisation recule alors que s'impose la vision d'une solitude essentielle du sujet, de telle sorte que la traversé du narcissisme, qui continue d'être la boussole de Lacan concernant la fin de l'analyse, se traduit par la subjectivation de sa mort par l'analysant. C'est-à-dire que la fin de l'analyse serait d'accéder à l'être-pour-la-mort, d'accéder à la conception, à la conscience, à l'assomption de son statut d'être comme être-pour-la- mort, qu'une fois dissipés les mirages imaginaires du narcissisme, le reste, c'est la figure de la mort, la figure irreprésentable de la mort, comme seul maître que puisse se reconnaître un analyste, dont l'opération ainsi se développerait sous le regard de sa propre mort. Toutes les harmoniques d'un certain pathétique sont alors mobilisées par Lacan, ce pathétique dont on peut dire que le dernier Lacan aura horreur, mais qui à la date où ces textes étaient écrits faisaient vibrer toutes les résonnances de la culture du moment.

Si on suit son itinéraire, on voit bien que ça va dans le sens d'une certaine dessiccation. Lorsque Lacan essaie d'articuler la fin de l'analyse au terme de son écrit La Direction de la cure, on observe dans son discours une mutation de la mort en néant. L'au-delà du narcissisme perd le pathétique de la mort pour la sécheresse du terme néant, ou du terme manque; on passe de la mort au manque. C'est là que Lacan peut dire que l'interprétation pointe vers – comme je l'ai cité la dernière fois – «l'horizon déshabité de l'être». Les harmoniques qui auparavant étaient celles de la portée mortifère du narcissisme se convertissent dans les harmoniques du silence, relatif à la parole, à savoir dans la position d'un impossible à dire. Le dernier mot sur le désir est impossible à dire, le désir est incompatible avec la parole.

Voilà autant de déformations comme topologiques du même point que j'appellerai déjà d'ex-sistence, en l'écrivant comme Lacan l'écrivait en faisant valoir le ex d'existence, un point qui subsiste hors de — qui d'ailleurs lui a été inspirée par Heidegger qui écrit Eksistenz. On voit revenir le même point d'ex- sistence où se joue la fin de l'analyse, baptisé de noms différents et chaque fois plus secs, plus formels. C'est dans la mesure où il y aurait un im possible à dire que l'interprétation se fait allusive, c'est- à-dire porte à côté de l'être, elle porte alors sur le par-être, pour reprendre une écriture que Lacan a apportée bien plus tard.

Dans tout cela, dans tout cet effort pour situer le point d'ex-sistence où se termine l'analyse, pas question encore de la jouissance. C'est bien parce qu'elle est dans cette perspective exclue que Lacan la fait revenir d'une façon sens ationnelle avec son Séminaire VII, L'Éthique de la psychanalyse. On peut dire qu'après avoir élaboré Les Formations de l'inconscient,Séminaire V, et avoir déduit la direction de la cure qu'elle comporte, Séminaire VI sur Le Désir et son interprétation, c'est après ça que Lacan fait retour à la pulsion et s'oblige à repenser la pulsion freudienne. Dans la mesure où la pulsion, il ne l'a jamais inscrite au registre des formations de l'inconscient.

Il l'a fait pour le symptôme, peu ou prou, enfin il a inscrit le symptôme dans les formations de l'inconscient, à cette date, mais il y a quelque chose dans la pulsion freudienne de trop puissant pour pouvoir être inscrite au registre de ces formations de l'inconscient, dont il faut bien dire que le trait le plus évident mis à part le symptôme, c'est le caractère fugitif: les rêves s'oublient, s'effacent, le lapsus fulgure, l'acte manqué trébuche, le mot d'esprit est une saillie, mais on voit bien qu'il sont d'une ontologie spécialement fragile, et c'est bien ce qui fait que le symptôme, si on peut l'inscrire dans les formations de l'inconscient parce qu'il se déchiffre comme se déchiffrent les formations de l'inconscient, parce qu'il se déchiffre entre guillemets «comme un rêve», évidemment il apparaît d'une ontologie plus stable, précisément parce qu'il comporte une répétition, et dès que des formations de l'inconscient se répètent, elles ont tendance à changer de registre : quand vous avez un rêve répétitif, vous supposez, ou vous avez devant les yeux, l'évidence d'un trauma; un acte manqué, une fois ça va bien, si vous faites toujours le même acte manqué, ça devient un trouble du comportement, c'est-à-dire un symptôme.

Mais en tout cas, la pulsion, Lacan n'a jamais pensé en faire une formation de l'inconscient, même si dans son graphe du désir il lui a donné la même structure que les formations de l'inconscient, simplement, au niveau supérieur. Il a donné la même structure à la pulsion mais en disant qu'elle a un autre vocabulaire, et qu'elle a un autre point de capiton, celui qu'il a appelé S DE GRAND A BARRE

S (A barré)

qui est vraiment le point de capiton des pulsions et qui écrit ce qui ne peut pas se dire. Cette impuissance, cet impossible est marqué par la barre qui raye le A comme lieu du signifiant, mais hors de ce lieu, on peut quand même écrire que ça ne peut pas se dire. Ce qui ne peut pas se dire peut quand même s'écrire.

Donc Lacan a d'abord fait revenir la jouissance dans son Séminaire VII, mais dans le même mouvement – là, les Séminaires vont par deux, sa pensée fait une stase et repart dans le même mouvement –, dans le Séminaire suivant précisément, il investit ce qu'il a situé de la jouissance dans une élaboration sur le transfert. Dans le Séminaire VII, vous avez le monstrueux das Ding, en quelque sorte informe, dont n'est pas si clair ce qu'il y a lieu d'en faire si on veut opérer correctement, et dans le Séminaire suivant, das Ding devient l'objet petit a, et avec l'objet petit a, à cette date Lacan explique comment faire avec, comment das Dingest présent dans l'expérience analytique sous cette modalité-là, et que sous les espèces de petit a, la jouissance est maniable dans l'analyse. Elle est maniable comme objet caché et même comme savoir caché et que ça, ça a la même valeur.

C'est à partir de là que Lacan peut installer comme au sommet de la pyramide et aussi comme l'os du processus analytique le fantasme qui associe le sujet de la parole et la jouissance sous les espèces de l'objet petit a. La jouissance sous les espèces de l'objet petit a, c'est la jouissance comme significative et comme imaginaire, c'est pourquoi le fantasme est alors une formation qui prend la forme d'un scénario lui- même articulé à moins phi, c'est-à-dire à la castration imaginaire. Le fantasme est défini alors comme une conjonction du symbolique et de l'imaginaire. Ce sont deux registres différents mais qui ont quelque chose en commun, les deux font sens. C'est comme mes trois scansions que je ramène à deux: symbolique, imaginaire et réel, ça fait trois, sauf que symbolique et imaginaire, les deux ça fait sens, et c'est ça qui aimante Lacan vers la position du fantasme.

Avec le fantasme, nous avons une nouvelle édition de ce que Lacan nous présentait avant comme le narcissisme, comme la cage du narcissisme à franchir pour que le sujet se libère. Ici, dans le fantasme, le sujet de la parole est comme prisonnier des mirages imaginaires de la jouissance. Et ce que Lacan a appelé la passe – je vais utiliser le même adjectif qui m'a sauté aux yeux quand j'ai relu le Propos sur la causalité psychique –, la passe est conçue comme la comme la traversée «libératoire» du fantasme supposée rendre sa liberté au sujet de la parole, qui se trouvait captif de l'inertie de la jouissance imaginaire, comme gelé dans la même jouissance.

Ce que Lacan a appelé une fois le fantasme fondamental indique qu'il visait le rapport du sujet de la parole à la jouissance. De la même façon que je suis passé de trois moments que je distinguais de l'itinéraire de Lacan à deux, je pourrais passer à un: dire qu'il y a une seule chose qui l'a occupé du début jusqu'à la fin, c'est précisément ce rapport de la parole et de la jouissance, et qu'il l'a d'abord pensé à partir du narcissisme – à partir de l'imaginaire –, qu'il l'a pensé ensuite à partir du fantasme, et vient le moment du réel, le moment où ce qui l'arrête, c'est ce qu'il sait des limites de cette libération du sujet. C'est bien ce qui avait retenu Freud aussi de dire que l'analyse avait une fin naturelle, ce qui a obligé Freud à rallonger son titre : finie et infinie; elle s'arrête mais il faut bien qu'elle reprenne.

Freud distingue trois facteurs qui détermin ent ce qu'il appelle les chances de la thérapie analytique: le traumatisme – les influences qu'il peut avoir –, les pulsions et leur force constitutionnelle, et la modification du moi. Il s'arrête spécialement sur la force de la pulsion et sur ce qu'il lui attribue de puissance «irrésistible» – c'est son terme – dans la causation de la maladie. Ce que Freud ponctue là, c'est l'incidence de la jouissance, dans les termes dont nous faisons usage aujourd'hui.

Cette jouissance, Lacan s'est épuisé à la penser comme imaginaire dès le moment où il a commencé à écrire sur la psychanalyse. À travers M1 et M2, à travers toutes les scansions et les avancées, il s'est orienté foncièrement sur le narcissisme et il a défini par là la jouissance à partir du corps, mais du corps en tant que vu, du corps présent par sa forme, du corps du Stade du miroir; chez Lacan, le corps était avant tout ce qui se voit, à la différence de l'organisme, et c'est là que se fait une bascule essentielle quand il est comme forcé de faire ba sculer la jouissance dans le registre du réel. Définie par le corps sans doute mais par un corps qui est tout entier situé par la sui-jouissance, par le fait qu'il se jouit, sans médiation, précisément, sans la médiation de l'autre qui voit même si cet autre, c'est moi-même. Au fond, Le Stade du miroir tel que Lacan l'a écrit, c'est un phénomène dialectique où je me vois comme l'autre me voit.

Il en va tout autrement si on définit le corps à partir de sa jouissance de lui-même. Là, on bute sur un terme qui est immédiat et qui ne fait pas appel à l'autre. À partir du moment où la jouissance bascule dans le registre du réel, c'est-à-dire à partir du moment où on n'arrive plus à l'appareiller dans le registre imaginaire, où l'appareiller dans le registre imaginaire précisément laisse des restes symptomatiques, que constate Freud? Alors, l'enjeu de l'expérience passe du fantasme au symptôme.

Si l'on se réfère à la force de la pulsion, comme dit Freud, alors disons que le fantasme est une formation imaginaire de la pulsion, tandis que le symptôme est une production réelle de la pulsion. Et l'incidence du réel rejette l'ontologie dans l'imaginaire, tout ce qui est de l'ordre de l'être, toute la dialectique de l'être qui débouchait en définitive sur un néant.

C'est bien ce que comporte que Lacan ait été amené à faire du sujet de l'inconscient et de l'inconscient en lui-même des supposés, à les inscrire dans le registre de la supposition, conformément à l'indication de Freud pour qui l'inconscient était une hypothèse, une hypothèse nécessaire, mais une hypothèse. Et par rapport à quoi s'inscrit en faux l'incidence d'un réel qui revient à la même place, qui itère à la même place – itère, le verbe, au sens de l'itératif et précisément pas de l'itinéraire.

Dans son Séminaire XXII, fin 1975, donc avant le Séminaire Le Sinthome, Lacan posait encore la question, et c'était à peu près là- dessus qu'il terminait: est-ce à dire que comme tout supposé l'inconscient soit imaginaire?, c'est le sens même du mot sujet supposé comme imaginaire. On voit l'ébranlement que produit sur l'appareil conceptuel l'incidence du réel puisque clairement c'est à faire passer l'inconscient défini comme sujet supposé savoir au registre de l'imaginaire, au registre du mirage, comme le lieu de ce que Lacan appellera la vérité menteuse. On sait que l'inconscient peut mentir – on a dans Freud les exemples classiques de la chose –, est-ce à dire que l'inconscient est imaginaire? On voit bien que dans son dernier enseignement, Lacan s'avance jusqu'à cette question de savoir si l'inconscient n'est pas un mirage, si l'inconscient ne relèverait pas après tout d'un délire à deux, produisant une grande satisfaction et d'ailleurs rejoignant la satisfaction de toute une communauté; on réaliserait ainsi l'objecti f de synthèse de la particularité et de l'universalité que Lacan visait au début. En effet, pour être cru, ce qui se découvre à Lacan quand il s'avance dans son dernier enseignement, c'est que l'ontologie n'est qu'imaginaire, que la dialectique, le désir, c'est foncièrement imaginaire et ça débouche sur la figure de la mort dont on dit qu'elle n'est pas représentable, ce qui est encore la qualifier dans des termes qui relèvent de l'imaginaire. Et quand on dit que petit a n'est pas spécularisable, quand Lacan l'élabore à ce titre avec de la topologie, c'est encore le situer par rapport à l'imaginaire.

C'est alors que Lacan – et c'est ça qui l'anime dans son Séminaire Le Sinthome – tente de faire passer l'inconscient au niveau du réel, de le faire passer au niveau du réel avec le symptôme. D'une certaine façon, il s'agit pour lui d'appréhender le sym p tôme comme réel et de montrer ensuite que l'inconscient n'est pas l'imaginaire de ce réel mais qu'il est au même niveau que le symptôme. C'est la valeur de ce qu'il indique en passant dans le dernier écrit de ses Autres écrits, «l'inconscient, réel, à m'en croire». Pourquoi est-ce qu'il dit «à m'en croire»? Parce que précis ément le symptôme a deux faces: une face où il relève de l'interprétation, et une face où il relève de quelque chose d'autre que j'appellerai pour l'instant, faute de mieux, la constatation.

Que le symptôme soit interprétable, c'est de l'ordre de la croyance. Et Lacan, on le sait, a fait un petit développement à l'époque sur y croire et la croire. Mais je m'arrête à on y croit. Quand est-ce qu'on dit: on y croit? On le dit quand on croit que quelque chose existe, et il faut ça pour le symptôme analytique. À la difference du symptôme que précisément l'universel peut constater parce que ça trouble le bon ordre du monde, le symptôme analytique repose sur le témoignage du sujet, et à l'occasion c'est absolument insoupçonnable par quiconque hors ce témoignage. Donc pour que le symptôme analytique soit constitué, il faut d'abord que le sujet l'isole comme tel, lui-même, et s'il l'allègue pour s'analyser, pour en parler, es pérant en en parlant le réduire, c'est qu'il croit que le symptôme est déchiffrable, il croit que le symptôme est de l'ordre du rêve, que le sym ptôme, ça parle, que ça peut parler. Ça, c'est un registre.

Par ailleurs, l'autre face du symptôme, c'est qu'on constate que ça se répète. Et qu'est-ce qui se répète ? C'est ce que j'appelais la dernière fois l'Un de jouissance. Ça n'est pas quelque chose qui se déchiffre, ça n'est pas quelque chose sur quoi la parole opère comme sur les formations de l'inconscient, pour la bonne raison que c'est comme une écriture sauvage de la jouissance – Lacan a employé cet adjectif, sauvage –, ça veut dire hors système, c'est une écriture de l'Un tout seul. Alors que le S2 auquel il serait corrélé est seulement supposé. C'est dire que la racine du symptôme, c'est l'addiction.

Est-ce que Lacan était prêt à considérer que cette notion du réel n'était rien de plus que son symptôme à lui? Comme il disait : ça pourrait être ma réponse symptomatique à l'inconscient tel que Freud l'a découvert, lequel ne suppose pas du tout obligatoirement le réel dont je me sers. Ici, il se demandait dans quelle mesure la notion du symptôme comme réel n'était pas une croyance à lui, et qu'il répondait à l'inconscient freudien, celui qui se déchiffre, par la position de ce réel.

Le dernier enseignement de Lacan est fait de cet effort de mettre l'inconscient au niveau du symptôme, donc de faire passer l'inconscient de l'être au réel, jusqu'à dire: «l'inconscient est réel, comme il ajoute: à m'en croire» – Autres écrits, page 571. «À m'en croire», c'est-à-dire à faire le même choix que j'ai fait, le choix de cons idérer que le symptôme fait ex- sistence de l'inconscient. Mais évidemment ici l'itération n'est pas du tout libératrice, comme Lacan était parti à le croire, l'itération ici est au contraire asservissante et c'est cette itération que Lacan vise quand il assimile le symptôme à partir d'un dit d'analysant à des points de suspension, à unet cætera.

C'est alors qu'on voit en effet jusqu'où peut aller la symptomatis a tion dans la psychanalyse. À partir du moment où on réserve au sym ptôme la qualité de réel, on s'aperçoit de l'ampleur qu'on peut donner à la symptomatisation des catégories analytiques, que Lacan es quisse seulement, mais précisément à propos de la fonction du père, dont il a essayé de construire et de protéger le mystère, dans l'analyse, l'élément mi pensable, et en même temps le caractère organisateur.

Eh bien, dans cette symptomatisation générale des catégories analytiques, Lacan esquisse que l'essentiel de la fonction du père, c'est d'être un symptôme, et qu'il a précis ément – c'est le sens de ce développ ement que Lacan a pu faire sur l'exception que doit représenter le père, il parle du père comme exception parce qu'il veut montrer que le père a le caractère d'ex-sistence, de subsistance hors de –, et donc il lui faut à ce moment-là caractériser le père non pas par l'universel mais au c ontraire par la particula rité de son symptôme. Et c'est en ce sens que Lacan a pu dire: le père est un pervers. Ça veut dire: le père freudien même n'est pas le père de l'universel, il est au contraire au niveau de la particularité du symptôme; il est essentiel qu'il ne soit pas Dieu, précisément. Freud avait montré la racine de l'illusion religieuse dans la fonction du père et Lacan au contraire marque le mirage divin qui est à proprement mortifère ou psychotisant quand il est supporté par le père. Il faut que le père soit pervers au sens où il doit être marqué par la particularité d'un symptôme.

Ce symptôme, on peut lui donner une catégorie, Lacan parle de la perversion paternelle. La perversion paternelle, c'est précisément que le désir du père soit lié à une femme entre toutes, c 'est-à-dire à une femme comme unique. Et c'est dans la mesure où cet unique, cet Un-là le marque, qu'il s'avère ne pas être Dieu et aussi ne pas dire tout. Le père, c'est celui qui ne dit pas tout, et qui par là préserve la possibilité du désir et ne prétend pas recouvrir le réel, c'est-à-dire qu'il ne prétend pas être ontologique. Et cette limite est précisément la face opératoire de ce que Lacan attribuait au père comme l'humanisation du désir.

L'itération du symptôme, l'itération de l'Un de jouissanc e, il m'est arrivé durant la semaine – où j'ai eu à parler à Londres – de la comparer au processus qui génère ce qu'on appelle en mathématiques les objets fractals. Ce sont des objets qui sont exactement autosimilaires, c'est-à-dire où le tout est semblable à chacune des parties. Eh bien, c'est sur cette référence que je vais m'arrêter pour dessiner la configuration du symptôme dont la matrice est élémentaire et dont pourtant les formes sont les plus complexes de celles qui peuvent se rencontrer dans les mathématiques.

Je vous donne rendez-vous au premier mercredi de mai.

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Tilda